Fluorescent Black
Par


À force de le citer comme référence dans plusieurs articles, que ce soit du fait de son style agressif ou son format peu fréquent, il était nécessaire de faire le point sur l'album considéré par de nombreux libraires spécialisés comme le meilleur de 2011, écrit par MF Wilson, dessiné par Nathan Fox et édité en France dans la collection "Milady Graphics" chez Bragelonne.

Voilà le topo : 
En 2085, les progrès de la bio-ingénierie ont fait de Singapour une cité parfaite, Biopolis, peuplée d’êtres génétiquement purs - c'est-à-dire non pollués par la moindre tare physique. Tous ceux qui ne répondent pas aux critères particulièrement stricts sont impitoyablement rejetés à l’extérieur, dans des villes-ghettos dans lesquelles le moindre organe sain vaut de l’or et où une contre-révolution génétique a engendré des mutants dans toute la biosphère : entre les moustiques transgéniques et les lierres hallucinogènes, l’espérance de vie y est faible et le désespoir règne. Pourtant, des clans de rebelles luttent encore pour leur survie… Au départ, Max et sa bande ne voient que la perspective d'un profit facile en acceptant une mission grassement payée dans Biopolis, mais ils vont vite comprendre qu'ils ont fourré leur nez crottés dans un engrenage aussi retors que mortel.  

Pur produit du comic book underground (au départ, les épisodes étaient publiés dans le magazine Heavy Metal de 2008 à 2010), présentée dans un somptueux album au format inhabituel, l’œuvre est aussi intrigante que son apparence. Des couleurs flashy, très old school, viennent percuter la rétine alors que cette histoire d’anticipation lorgne vers la dystopie et le cyberpunk, puisant dans le vivier des récits les plus puissants et désespérés des années 70. On y retrouve certaines des préoccupations de l'énorme Tous à Zanzibar : cadres et objectifs identiques, personnages écrasés par leur destin, un peu comme si la menace de révolution génétique qui sous-tend toute la seconde partie du formidable roman de John Brunner trouvait son accomplissement visuel dans ce récit. Mais les amateurs de SF évoqueront sans doute d'autres références incontournables à la lecture de ce volume imposant, d'Andrevon à Gibson en passant par le Silverberg des Monades urbaines, à moins qu'ils ne suscitent les visions de certains mangas assez similaires dans leurs préoccupations comme Akira ou Gunnm (cf. à ce sujet l'excellente synthèse Comment la science-fiction peut-elle se renouveler au cinéma ?).


Dense et enlevée, l'histoire s'avère prenante dès les premières pages : le style graphique surprend, certes, mais n'empêche pas l'intérêt et la curiosité. On passera sur ce pseudo-jargon « singlish » qui n’intervient que dans certaines interjections (encore une autre influence des auteurs de SF des années 70) pour s’apercevoir que l'ensemble de l'intrigue se suit d'ailleurs sans trop de difficultés, même malgré les multiples flashbacks et changements de points de vue. En fait, la trame est désormais connue, c’est uniquement le cadre qui diffère : plus bouillonnant que Gattaca, plus coloré que Blade Runner, mais toujours des lendemains qui déchantent et ce constat que, décidément, l’Enfer est pavé de bonnes intentions.



Nathan Fox
ne dédaignant pas les illustrations pleine page, on profite vraiment du format XL, même si les crayonnés, aux traits volontairement lourds et appuyés, ne permettent pas toujours de comprendre l’intégralité des actions, d’autant que les protagonistes, avec leur physique anguleux, ne rendent pas la tâche facile et que l'encrage généreux brouille quelque peu nos perceptions. Néanmoins, on ne peut qu’être séduit par cet album flamboyant mené sur un rythme trépidant qui narre une évolution possible de l’Humanité en quête d’absolu, quitte à abandonner en chemin ses propres rejetons. 



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une édition impressionnante par la taille comme par le contenu.
  • Une dystopie bouillonnante dont les sombres desseins sont contrastés par les innombrables lueurs d'espoir d'individus n'ayant plus rien à perdre.
  • Un style graphique dynamique, une colorisation inhabituelle qui servent le propos.
  • Malgré des sujets maintes fois abordés, l'impression d'avoir entre les mains un objet rare.


  • Des dessins qui ne privilégient pas l'esthétique mais plutôt l'impact, rendant les personnages peu agréables et les cases parfois indéchiffrables.
  • Pas de réédition en vue, un ouvrage désormais difficile à trouver neuf.