Barbares
Publié le
11.5.25
Par
Vance
En moins de 100 pages, Larson nous impose un rythme dément pour raconter une histoire de chasse au trésor dans un lieu hautement improbable menée par deux contrebandiers déprimés financés par des jumeaux richissimes qui cachent bien leur jeu. Dès le départ, on est happé par le tempo infernal imprimé par l'auteur qui laisse au lecteur le soin de dresser un background à peu près cohérent au travers de dialogues incisifs, de très courtes descriptions teintées d'ironie et d'une litanie de néologismes et mots-valises avec lesquels le traducteur a dû beaucoup s'amuser (ou s'arracher les cheveux, sans doute un peu des deux). Pas de prologue, pas d'introduction à l'univers qui nécessitera de faire appel à une certaine culture littéraire afin de comprendre les tenants et aboutissants : Larson ne s'embarrasse guère de digressions, à peine une vague analepse sous forme de souvenir honteux pour expliquer comment l'un des personnages en est venu à perdre son corps...
Yanna est le copilote du Bandit chétif, petit cargo de l'espace avec lequel elle traficote en compagnie de son ami d'enfance, Hilleborg. Ce dernier est réduit à une tête reliée à un sac protéinique et s'exprimant par le biais des circuits du vaisseau : les conséquences d'un emprisonnement suivi d'une exécution sommaire après un coup foireux. La proposition des jumeaux tombe à pic : une excursion à la surface d'un nagevide, ces gigantesques créatures qui parcourent les océans de l'espace que Yanna a la chance de bien connaître. Sauf qu'ils en choisissent un qui se meurt en orbite autour d'une géante rouge et qu'ils n'ont pas été très honnêtes quant à leur motivation première...
![]() |
Vaisseau de contrebandier |
Les amateurs de SF auront tôt fait de trouver les points de repère nécessaires pour se sentir en terrain étrangement familier : le ton mordant du narrateur, le techno-babble permanent, les ellipses savamment disposées requerront uniquement un petit effort supplémentaire pour se faire une idée acceptable du contexte. Des contrebandiers de l'espace, la littérature en regorge depuis la nuit des temps : Yanna n'est pas Han Solo et son vaisseau est loin d'avoir les performances du Millenium Falcon (il n'est même pas armé), cependant on comprend bien le concept - et la mention d'une cache spécifique destinée aux marchandises douteuses en fera sourire plus d'un. Un blogueur pertinent évoquait d'ailleurs des images de ses dessins animés de jeunesse, tels Capitaine Flam : la vision d'un Hilleborg réduit à une tête parlante a de quoi frapper les esprits et rappeler ce genre de références. On pourra ajouter également les Acantis, ces baleines extraterrestres utilisées par les Broods (qu'on peut voir dans cet article s'en prendre à Kitty Pryde) comme vaisseaux dans la saga X-Men : c'est en tous cas la première image qui m'est venue en lisant la description de ce nagevide. De même, le bestiaire imaginé tant dans la biosphère de cette gigantesque bête que sur les rares planètes évoquées rappellent certaines des créatures créées par Dan Simmons dans Les Cantos d'Hypérion (les vonNeumanns qui se nourrissent d'énergie semblent un peu similaires aux ergs).
![]() |
Un Acanti, ces baleines cosmiques utilisées par les Broods comme vaisseaux et habitat dans la saga X-Men |
Néanmoins, et systématiquement, ces références se retrouvent perverties par l'ambiance iconoclaste du roman : Yanna est certes une pirate du cosmos, mais elle n'a jamais tué personne. Elle est rongée par le remords à propos de la sentence exécutée sur son ami et pose sur le monde un œil assez désabusé. Hilleborg, presque littéralement désincarné, communiquant avec un synthétiseur vocal, semble lui faire perpétuellement la tête - à raison, comme on finira par le comprendre. On a régulièrement l'impression que Larson cherche à flinguer avec jubilation nombre de codes de ce genre de récits d'exploration et d'aventures, surtout lorsque la fausse excursion se mue chasse au trésor et qu'un cinquième larron vient se joindre à ces réjouissances, bien décidé à empocher le butin avant tout le monde. La perspective de gagner une tonne de fric s'éloigne bien vite lorsque votre existence est remise en question par une bande de mercenaires surarmés... Yanna n'a rien d'une héroïne et ce ne sont que quelques considérations très égoïstes qui vont la pousser en avant dans cette entreprise de plus en plus périlleuse. Au point d'enchaîner les coups de Trafalgar, les coups du sort et les coups de génie à une fréquence de plus en plus élevée.
Le nagevide en lui-même s'avère un lieu atypique et absolument hallucinant, propice à bon nombre de péripéties et chausse-trappes : sa surface gigantesque abrite un écosystème aussi varié que dangereux (gaffe aux arbres-bouchers !) et tout l'environnement est saturé par ses fluides vitaux et ses gaz internes qui s'échappent lentement dans l'espace, créant une sorte d'atmosphère vaporeuse tandis que sa peau se craquelle et engendre failles et crevasses titanesques tandis que ses nageoires se délitent au ralenti. Le tout avec un firmament presque entièrement occupé par la géante rouge dont la lumière écrase les perspectives et engourdit les perceptions.
Impossible de s'ennuyer, d'autant que la plume acerbe de l'auteur fait savamment reluire le caractère bien trempé de Yanna, qui ne se prive pas de dire ce qu'elle pense à tous ceux qui l'emmerde, à commencer par ses commanditaires qui l'ont plongée dans cette histoire.
Frais, revigorant et dynamique, une lecture qui fait du bien.
Frais, revigorant et dynamique, une lecture qui fait du bien.
![]() |
Image générée par IA |