la Chute des Géants
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Le 22 juin 1911 est le jour où Billy Williams descendit pour la première fois dans une mine du pays de Galles. Cette initiation est le point de départ des destins croisés de plusieurs familles, certaines galloises (Billy justement qui deviendra soldat, sa sœur Ethel qui passera d’intendante à journaliste puis députée travailliste) ou britanniques (comme le comte Fitzherbert, qui aura Ethel pour maîtresse, et sa sœur Maud, suffragette avant l’heure, amoureuse d’un aristocrate allemand), d’autres américaines (Gus Dewar, conseiller du président Wilson) ou russes (les frères Pechkov qu rêvent d’aller en Amérique pour y trouver un régime démocratique, l’un finissant par participer à la chute du tsar, l’autre faisant fortune à Buffalo), ou encore germaniques (Walter von Ulrich, ami des Fitzherbert et attaché militaire à Londres). Tous ces personnages vivront le choc ultime que sera la Première Guerre mondiale et en subiront les conséquences tant morales que sociales ou économiques : leur monde va changer, et de manière irrémédiable. Les relations de naguère, les amitiés et amours y survivront-elles ? 

Publié en 2010, La Chute des géants est un roman historique de Ken Follett constituant le premier volet d'une saga intitulée Le Siècle qui s'étend des prémisses de la Première Guerre mondiale jusqu'aux conséquences de la Seconde. Le fait est que le roman a tout pour plaire, et pas seulement aux lecteurs qui ont apprécié (ils sont nombreux) Les Piliers de la Terre et Un monde sans fin : on y trouve comme d'habitude chez l'auteur une flopée de personnages au caractère marqué, un contexte historique à la véracité enrichie de nombreux détails et des passions capables de déplacer des montagnes bien que contrariées par des pressions familiales ou politiques. Tout y est, et c'est perceptible dès la lecture du résumé de quatrième de couverture. Mieux : au lieu d’un conflit majeur mais trop méconnu par son antiquité (la Guerre de Cent Ans, qui sert de point d’ancrage à Un monde sans fin), on nous expose ces amours et désamours au travers de la Grande Guerre, la der des ders ! Follett affiche son ambition de retranscrire au travers d’une sélection pointue d’individus entiers, tourmentés, rigides ou révolutionnaires la façon dont notre civilisation a basculé irrémédiablement, bouleversant les anciens ordres établis et plombant l’avenir sous la menace permanente d’une déflagration universelle. Ambitieux et alléchant programme.

Jongler avec autant de personnages tout en les insérant dans des actualités au déroulement millimétré est une tâche ardue et complexe et l'on sait désormais que Follett en est largement capable. En fait, dès l’entame du bouquin, pour peu qu’on ait apprécié l’une ou l’autre de ses précédentes prestations littéraires, on s’attend à un chef-d’œuvre ou, à tout le moins, à une réussite grandiloquente.

p. 131 de l'édition Robert Laffont 2010

Or, on déchante. Et vite.

D’abord parce que le savoir-faire qui permet à tous ces héros de se retrouver mêlés de près ou de loin aux événements politiques préalables à l’entrée en guerre de l’Allemagne, de l’Angleterre et de l’Amérique ou à la chute du régime tsariste ne s’avère rien d’autre que ce qu’il est : un mécanisme, habile certes, mais indubitablement artificiel, rendant la lecture de ces chapitres largement moins palpitante qu’elle aurait pu l’être. Certes, on s’émeut volontiers de la condition exécrable des mineurs gallois (sur)exploités ou du combat permanent (qu’on sent vain) de ces femmes au caractère bien trempé qui cherchent à se faire entendre au niveau du gouvernement – Follett semble d’ailleurs toujours avoir été fasciné par les personnages de femmes modernes construisant sur les vestiges de leurs malheurs la volonté inébranlable de créer un monde meilleur (on retrouve un peu de Caris chez lady Maud). Mais on déchante vite lorsqu’on tombe sur ces péripéties laborieuses censées rythmer le roman autrement que par la cadence des faits de guerre : ainsi, comment faire progresser l’intrigue liée à lord Fitzherbert ou aux frères Pechkov ? Facile ! Il suffit qu’ils mettent enceinte la femme avec laquelle ils couchent. Le procédé, s’il fait sourire au départ, devient vite répétitif et agaçant : on se doute bien que les rejetons de nos protagonistes leur joueront des tours plus tard. D’autant que les scènes un peu lestes dans lesquelles se complaît l’auteur de L’Arme à l’œil deviennent ici autant de passages obligés, en perdant du coup leur pouvoir érotique.

p. 561 de l'édition Robert Laffont 2010

Et c’est bien là que le bât blesse. En dehors de quelques passages où l’écrivain gallois parvient encore à transcrire la flamme qui anime les amants maudits (le couple Maud/Walter jouissant des plus belles scènes avec leur liaison secrète), et de quelques piques bien senties envers l’establishment conservateur, seul l’intérêt historique anime le reste de l’ouvrage et l'on se contente bien vite de suivre d’un œil distrait l’ascension et la chute de Lev aux États-Unis ou le destin d’Ethel, féministe avant l’heure. Sans déplaisir, mais sans vraiment de surprise non plus. L'amateur d'Histoire ou d'anecdotes historiques saura néanmoins se réjouir de la masse d’informations distillée avec maestria, tout en pestant contre une traduction parfois douteuse (mais difficile à prendre en défaut malgré tout, la faute sans doute à un manque de coordination entre les traducteurs – ils étaient quatre !) et surtout la présence de coquilles inhabituelles à ce niveau d’édition : une phrase telle que 

Malgré l’arrogance avec laquelle les autres demandes étaient formulées avec une certaine arrogance, les Serbes pourraient probablement les accepter. 

est difficilement acceptable à ce niveau. Quelques autres répétitions ou maladresses du même acabit parsèment l’œuvre : elles sont rares, mais sensibles. 

Saluons tout de même la présentation du livre chez Robert Laffont : quoique épais et volumineux, il dispose d'une couverture légèrement veloutée, certes sensible aux traces de doigts mais qui s'avère très agréable au toucher et résistante au transport. Le visuel en ombres chinoises, bien que discret, est également réussi.

Une déception donc, à la hauteur des promesses, mais un ouvrage d'une rare ambition et à la portée imposante qui saura trouver son lectorat.

p. 727 de l'édition Robert Laffont 2010





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des perspectives vertigineuses.
  • Les destins croisés de plusieurs familles de différents pays sur fond de guerres mondiales.
  • Des personnages forts.


  • Des scènes de sexe trop complaisantes.
  • Une forme d'artificialité dans les intrigues et l'enchaînement des péripéties.