Notre-Dame de Paris par Georges Bess
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L'illustrateur Georges Bess est un habitué de ce site dans lequel nous avons déjà évoqué son grandiose Dracula et parlé plus longuement de son Frankenstein. Les éditions Glénat ont également fait paraître en 2023 son travail d'adaptation de ce monument de la littérature qu'est Notre-Dame de Paris. Si la cathédrale fait partie du Patrimoine Culturel de l'Humanité (rappelez-vous à quel point l'incendie avait choqué le monde entier), Quasimodo est une icône presque aussi universellement connue que le monstre de Mary Shelley ou le vampire des Carpates, d'autant que le roman de Victor Hugo dispose d'un avantage conséquent sur les œuvres précitées : comme eux, il a été adapté maintes fois au cinéma, mais son aura s'est élargie avec le film d'animation de Disney de 1996 (et, mais dans une moindre mesure, avec la comédie musicale de Plamondon & Cocciante). 

On est donc en terrain connu, sauf que les films, et surtout le dessin animé, avaient bien élagué le matériau original, d'une densité assez conséquente et qui bénéficiait en prime de la plume céleste d'un des plus grands écrivains qui soient : l'histoire de La Esmeralda, Quasimodo, Phoebus & Frollo est à la fois plus tragique et plus complexe que ce qu'on en connaît.

Qu'à cela ne tienne : Bess sait y faire. Avec l'aide précieuse de sa femme, il est capable de capturer et rendre l'essence du livre tout en éludant les points les moins importants pour le récit. Si Notre-Dame de Paris peut paraître au départ plus difficile à apprivoiser par son côté imposant et sa vertigineuse profondeur, il va s'appliquer à conserver les points nodaux de la narration, les péripéties et les différents événements qui scandent cette histoire initialement divisée en onze "livres" qui serviront ainsi de base aux chapitres de notre album du jour. Bess traitera ces parties de manière inégale, passant très rapidement sur certaines (comme le livre III sur la cathédrale elle-même ou le livre V glosant de l'impact de l'imprimerie sur la pensée) et simplifiant efficacement certaines sous-intrigues (comme celles liées à Gudule, la recluse du "Trou aux Rats" qui maudit les Bohémiens qui lui ont volé - et mangé ! - son bébé). L'on se retrouve ainsi avec des chapitres parfois très courts, toutefois conformes au découpage du roman avec ses parties très disparates.

Alors oui, il ne faut pas s'attendre aux envolées lyriques du style inimitable de Hugo : l'adaptation se veut avant tout graphique. Toutefois, Bess parvient par moments à insérer quelques expressions récupérées du texte original et à insuffler cette noblesse médiévale qui empesait ce dernier. En outre, il use nettement moins de ces phrases exclamatives qui pullulaient dans son Frankenstein, et parvient à trouver un équilibre idéal entre bulles de dialogues et légendes, ces dernières s'avérant particulièrement moins importantes que prévu. Ces choix contribuent à dynamiser le récit qui alterne entre des cases de formes variables et des dessins propagés sur deux pages. 

L'on y suivra donc ce drame narré par Gringoire, poète sans le sou qui, après l'échec de sa dernière représentation, éclipsée par le "couronnement" de Quasimodo (le sonneur de Notre-Dame sacré par la populace Roi des Fous) et par le numéro de danse de la Esmeralda (dont la grâce fait tourner bien des têtes), finira à la Cour des Miracles tandis que Quasimodo sera mis au pilori pour sa tentative d'enlèvement sur la bohémienne, sauvée in extremis par le beau capitaine de la garde, Phoebus de Châteaupers, dont elle va s'éprendre alors même qu'il est promis à une jeune femme bien née (Fleur-de-Lys). Le tout sous l'œil pervers de l'archidiacre Frollo, le tuteur de Quasimodo, théologien impliqué qui ne sait comment se défaire des pensées impures suscitées par la belle danseuse...

Du sexe, du sang, des larmes et de la violence, sur fond de lutte des classes et d'obsession religieuse : tout cela et bien davantage se trouve mêlé dans cette terrible histoire qui n'épargne personne, fustigeant les codes comme les symboles.



Du point de vue de l'histoire, Bess fait des choix qui apparaissent judicieux, conservant les analepses dont Victor Hugo usait par moments mais réduisant le rôle de personnages annexes et élaguant fortement les passages dans lesquels l'auteur des Misérables digressait quelque peu. On ne s'ennuie guère et l'on constate même un remarquable équilibre entre les moments tragiques et/ou cruels (Quasimodo soumis au pilori, Esmeralda torturée), les dialogues permettant de faire avancer l'intrigue, les instants de tendresse (Quasimodo veillant sur la bohémienne) voire sensuels (Phoebus et Esmeralda) et les scènes cocasses (le jugement du pauvre bossu avec un juge sourd qui interroge un prévenu tout aussi sourd). Et pour ceux qui se poseraient la question, non Gringoire ne chante pas Le Temps des cathédrales, pas plus que les gargouilles ne prennent vie. Évidemment, Quasimodo s'avère bien plus laid que dans vos souvenirs (pour le coup, la créature de Frankenstein semble presque une figure de mode à côté), Phoebus est bien loin du bellâtre dépeint dans la plupart des adaptations : il s'agit d'un officier certes vaillant mais sans le sou qui ne tombe pas vraiment sous le charme de la danseuse - il se laisse plutôt entraîner par la vénération qu'elle lui porte afin de profiter d'elle. Comme tous les autres personnages, il est nettement plus subtil que ce que la culture populaire en a retenu, Frollo décrochant de loin la palme de l'être le plus énigmatique, déchiré entre ses principes, ses pulsions et ses relations.


Quant à l'acte final, il tourne véritablement au jeu de massacre, avec des destins dignes des tragédies antiques : les protagonistes paieront cher leur désir inavouable, leur veulerie ou leur naïveté. Personne n'est épargné dans ce drame historique.

Néanmoins, on ne peut s'empêcher d'être doublement frustré. D'abord parce que l'aspect graphique ne parvient pas à éblouir autant que ce que Bess avait pu nous montrer dans son Dracula ou son Frankenstein : certes, la cathédrale y est montrée sous toutes ses coutures mais on ne retrouve pas ces cases à couper le souffle ou ce jeu expressionniste du noir et blanc. En outre, le Paris médiéval ne peut pas proposer les somptueux paysages visibles dans les ouvrages cités : l'amoncellement de petites bâtisses agglutinées aux édifices religieux confère un sentiment d'oppression qui sied parfois au récit mais lui ôte l'ampleur attendue dans les moments de grande envergure. Enfin, ceux qui ont déjà admiré certaines des précédentes illustrations du roman risquent de faire la fine bouche : la Cour des Miracles représentée par Gustave Doré par exemple propose un spectacle visuel plus impressionnant. Pas évident de passer après une kyrielle d'aquarellistes et de graveurs de renom qui s'étaient fait connaître en tentant de traduire la majesté de l'ouvrage. On remarquera d'ailleurs que certaines des illustrations de chapitres semblent directement inspirées par ces artistes.



Et puis, il y a l'adaptation textuelle qui expurge une partie conséquente de ce qui constitue l'essentiel du texte de Hugo. C'était inévitable, cependant on aurait souhaité sans doute un produit fini plus élégant, plus ambitieux voire plus imposant : on se retrouve avec se sentiment d'inachevé qu'on pouvait ressentir en refermant le Don Quichotte des frères Brizzi. Il n'empêche quand même que cet album appréciable permettra de rendre accessible ce chef-d'œuvre de la littérature à ceux qui y sont réfractaires. Et puis, cela parera n'importe quelle bibliothèque avec style et sobriété.




+ Les points positifs - Les points négatifs

  • Une présentation soignée, du papier de qualité.
  • Un noir et blanc d'une rare élégance.
  • Une adaptation précise et très accessible.


  • On y perd la somptueuse beauté du texte de Victor Hugo.
  • Cela manque d'ampleur, le dessin n'a pas les qualités visibles dans les autres adaptations.