la Maison Usher ne chutera pas
Publié le
17.4.17
Par
Vance
Sous ce titre ô combien référentiel et péremptoire se cache en fait un recueil de trois nouvelles de Pierre STOLZE, trois nouvelles assez longues de cet auteur né à Metz qui ne se prive pas de situer ses récits dans notre belle région lorraine et, plus précisément, dans un secteur compris entre Metz et Thionville, ce sillon mosellan à l'histoire plusieurs fois millénaire et qui fut fortement impacté par l'abandon irrémédiable des industries lourdes.
Stolze, professeur de Lettres classiques semble écrire de la SF
pour s’amuser ; en tous cas, dans ces nouvelles, il est évident qu’il
prend un plaisir non dissimulé à jouer avec les mots et à étaler avec brio sa
grande culture par le biais d’expressions imagées et populaires, de références
culturelles et de citations savantes. Ses personnages principaux, narrateurs
acerbes et volubiles, apparaissent bien souvent comme des extensions de
lui-même et les dialogues sont empreints d’un humour bon enfant et éclairé,
malgré la longueur de nombreuses tournures et la richesse d’un vocabulaire
encyclopédique, autant de fioritures chargées sur une structure narrative
finalement très simple. Pour ainsi dire, la première nouvelle (Élucidation du
Gouzipanpan), charmante, est presque comique.
Pourtant, l'auteur messin ne prend pas la science-fiction à la légère : constamment, au-delà de ses mots, on perçoit un amour respectueux envers ce genre trop longtemps marginalisé en France. La douce folie qui baigne ses phrases paraît ainsi comme une sorte de manifeste pour défendre les littératures de l'Imaginaire.
Du coup, pour peu qu'on adhère à son style malicieux et un peu bavard, bourré
d’aphorismes et d’allitérations, on se prend à suivre avec intérêt les
mésaventures des deux déménageurs dans la seconde nouvelle, avec cette
association mystérieuse d’intellectuels rappelant, en plus léger, ceux qui
président à la naissance du Rosemary’s baby (le film de Polanski ou le roman d'Ira Levin). La dernière, qui donne son titre
au recueil, est encore davantage chargée de références et d’hommages (Edgar Poe, bien
sûr, mais aussi Corneille – le narrateur se nomme Rodrigue et sa fiancée
Ximena - ou encore Borges) tout en s'aventurant dans le monde mystérieux des fractales et en se plongeant carrément dans l’ésotérisme. Toutes trois ont en commun
non seulement de trouver comme point d’ancrage géographique les quartiers
bourgeois de Thionville, les vieilles rues de Metz et l’inquiétante présence de
la centrale nucléaire de Cattenom, mais aussi et comme en parallèle cosmique,
certaines constellations comme Cassiopée ou la chevelure de Bérénice, la
nébuleuse d’Andromède et l’étoile Aldébaran.
Tous ces détails et références pourraient faire fuir ceux que la hard science [1] rebute. Ce serait un mauvais réflexe : on est moins ici dans la SF pure et dure que dans une sorte
de fantastique quotidien, entre Jean-Pierre Andrevon et Daniel Walther, mais sans aucun
caractère inquiétant, sans rechercher les coups de théâtre et révélations
finales (les explications, lorsqu’elles sont fournies, sont brumeuses et
insatisfaisantes). On a parfois l'impression de lire des versions longues de nouvelles de Dino Buzzati. A la frontière entre le merveilleux (il y a des dragons !) et la dark
fantasy ou l’anticipation, avec des préoccupations très actuelles (le
nucléaire, bien entendu, mais aussi l’écologie, l’éducation et certaines
valeurs galvaudées comme la bienséance) et un goût immodéré pour les mots,
Pierre Stolze n’hésite pas à dénicher des synonymes improbables pour en
constituer des litanies parfois indigestes, quoique proférées avec ô combien de
générosité !
[1] hard science : sous-genre de la SF mettant en avant la plausibilité scientifique des faits avancés en s'appuyant autant que possible sur l'état des connaissances contemporain à l'écriture. Cela donne des récits détaillés dans lesquels les progrès technologiques, minutieusement décrits ou extrapolés, ont tendance à étouffer les personnages (cf. Larry Niven, Greg Egan ou Arthur C. Clarke).
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