Aux Origines du label Marvel Max : Fury
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Retour au début des années 2000 avec Fury : Lève-toi et marche, une mini-série qui inaugura à l'époque le label Max.

Nick Fury s'ennuie. Il n'est plus sur le terrain. Les temps ont changé et le voilà bombardé "directeur exécutif du planning opérationnel initial et intermédiaire". Pas vraiment la place d'un vieux bourlingueur.
Lorsque Nick rencontre Rudi Gagarine dans un bar, les deux hommes évoquent leurs anciennes guerres secrètes. États-Unis contre Union Soviétique, SHIELD contre Hydra. Le bon vieux temps des manipulations, des opérations commando et des assassinats. Pour se remettre en selle et faire passer ses élans nostalgiques, l'ancien ennemi de Fury va l'entraîner dans un conflit qui risque de dégénérer rapidement. Une petite île du pacifique est bientôt l'objet de tensions internationales. Une république communiste est mise en place, Cuba et la Chine la soutiennent, les États-Unis menacent d'intervenir.
Fury va avoir sa guerre.
Des gens vont mourir mais ça n'a pas d'importance. Pas vraiment. Car Fury sait qu'au final, quels que soient les gagnants, le monde sera toujours aussi merdique.

C'est à l'aube du XXIème siècle que Marvel lance la ligne Max, censée regrouper des récits musclés et hors continuité. L'on va donc y trouver du matériel adulte, parfois très dur (cf. justement le Punisher de Garth Ennis), des auteurs qui peuvent laisser libre cours à leurs penchants les plus extrêmes, et une prise de liberté avec l'univers classique de la Maison des Idées. Toutefois, à part de rares exceptions (comme le décevant War is Hell), les comics publiés sous le label Max gardent un lien très net avec le marvelverse, notamment par l'intermédiaire des personnages.
À l'époque, pour le coup d'envoi de cette nouvelle gamme, c'est à l'excellent Garth Ennis (Preacher, The Boys, La Pro...) que l'éditeur américain fait appel. Accompagné de Darick Robertson au dessin, l'auteur va mettre en scène Nick Fury (cf. encadré ci-dessous), un baroudeur jouant parfois un rôle central dans certaines sagas mais qui reste finalement peu connu du grand public.


Des choix loin d'être innocents puisque, si Fury est connu pour sa rudesse et son côté rentre-dedans, Ennis est lui un spécialiste des récits violents et transgressifs. L'idéal donc pour se démarquer d'entrée de jeu des gammes plus "gentillettes" et orientées tout public.
Les habitués reconnaîtront ici quelques tics de Garth Ennis au niveau des personnages : le loser un peu décalé et poissard qui gonfle tout le monde (ici le neveu adoptif de Fury, qui peut faire penser au Soap de la série Punisher (cf. la scène #31 de notre Bêtisier Marvel)) ou encore le quasi monstre de foire, à la fois drôle et pathétique (Fuckface, qui évoque le Tête-de-Fion de Preacher). L'on retrouve également l'ultra-violence ou les allusions sexuelles plus ou moins appuyées chères au scénariste mais, surtout, l'on peut déjà sentir l'acidité du propos derrière l'exubérance des scènes.

Car Ennis est tout sauf un chantre du politiquement correct auquel certains auteurs cèdent si facilement en se donnant des airs de rebelles éclairés. Cela ne veut pas dire qu'Ennis est sans reproche. Il utilise aussi ici quelques facilités (ou des raccourcis disons) idéologiques, mais il n'aboutit pas forcément à des conclusions angéliques et monolithiques pour autant. La frontière entre ses "méchants" et ses "gentils" est mince, ses héros sont cassés, aigris, ils ont les mains sales et la conscience qui taraude. Ennis n'hésite pas à dire à ses lecteurs qu'un héros, c'est tout sauf Tintin. Un héros, c'est un type qui baise, qui picole, qui a de la merde sous les ongles et qui serre les dents lorsqu'on lui demande de sourire devant les caméras. Sans doute parce qu'il a trop morflé pour avoir le rictus facile.
Et cette volonté de briser l'imagerie classique du bon samaritain, d'aller au-delà des apparences, est tout à fait respectable. Mieux, c'est un souffle d'air frais qui rend les planches plus légères et l'histoire plus profonde.

Nick Fury : badass par nature, héros par devoir 

Soldat d'élite, ancien agent de la CIA, ex-directeur du S.H.I.E.L.D. et spécialiste des coups fourrés, Nicholas Joseph Fury est de ces personnages cultes qui font partie intégrante de la mythologie Marvel. S'il est respecté (souvent) et craint (toujours) par la plupart de ceux qui croisent sa route, c'est que le gusse a bourlingué, c'est le moins que l'on puisse dire. Entre sa participation aux grands conflits mondiaux (s'il a l'air de ne pas vieillir, c'est à cause d'une potion qu'il a ingurgitée et qui, effectivement, ralentit son vieillissement : pratique pour garder la forme et résoudre certains problèmes scénaristiques), sa lutte contre le terrorisme et son habitude de côtoyer et gérer des surhumains bardés de pouvoirs, le type impressionne. Calme, sûr de lui, il a l'apparente froideur de ces gens qui survivent à tout.

Ses méthodes ? Celles qui sont efficaces. La fin justifie souvent, chez lui, la plupart des moyens. Le président ne souhaite pas prendre en compte son avis ? Peu importe, il recrute une équipe et mène une guerre secrète jusqu'en Latvérie. Il doit récupérer un virus en Russie ? Pas de problème, il y envoie le Punisher. La loi, il la respectera lorsqu'il aura le temps, lorsque les problèmes seront réglés, lorsqu'il fera beau. Un jour, peut-être.
Malgré tout, il ne fait peur qu'aux véritables salopards, pas vraiment au lecteur qui lui garde une certaine sympathie malgré son statut de barbouze aux solutions expéditives. Et en effet, il est difficile de le prendre en grippe ce bougre-là, tant il incarne ce type de héros "larger than life" qui peut s'affranchir des petits règlements intérieurs puisqu'il se bat pour le Bien, un Bien à l'ancienne qui ne s'embarrasse pas de détails ou de teintes de gris. Pour incarner le grand Nick, on imagine facilement un Clint Eastwood vers la cinquantaine, cabossé mais cognant dur.

Pendant la guerre civile qui divisa la communauté super-héroïque (cf. Civil War), c'est lui qui, invisible mais efficace, va fournir un abri à son vieil ami Steve Rogers et aux rebelles. Car, bien sûr, en espion prévoyant, il a toujours un coup d'avance, un repaire sous la main et quelques ficelles à tirer. Et entre l'organisation d'un putsch et la destruction d'un nid de terroristes, il a encore de l'énergie à revendre. Une preuve ? Le lit king size dans lequel reposent, à côté de lui, pas moins de trois demoiselles, apparemment endormies et satisfaites (cf. "Mère Russie", le tome 4 du Punisher dans la collection Max). L'on retrouve d'ailleurs pratiquement la même scène dans le récit dont il est question dans cet article (cf. illustration ci-contre). Eh oui, quand on est un homme, un vrai, les gonzesses, on se les tape par brochettes de trois !

Évidemment, ces clichés, volontairement excessifs et assumés comme tels, renforcent encore plus le côté "énorme" du personnage. Si Fury n'a pas le fan club d'un Spidey ou d'un Wolverine, il faut reconnaître qu'il est l'un des rouages importants du marvelverse. Présent dans les coulisses d'un pouvoir qu'il ne respecte pas vraiment, il agit dans l'ombre pour, à sa façon, arranger les choses. Il a son propre code de l'honneur, sa propre vision de ce qui est juste ou non et un certain sens de l'amitié et de la droiture. Il est entier. Rassurant par son côté tranché. Inventif, présent lorsqu'il le faut, c'est lui que l'on appelle lorsque l'on est dans une situation désespérée et que les moyens habituels de se sortir du pétrin ne fonctionnent plus. Le genre de mec que l'on est prompt à condamner dans l'absolu mais que l'on aimerait connaître dans la réalité, sans trop oser se l'avouer. Et si vous le croisez dans le hall d'un aéroport, que vous lui faites remarquer qu'il n'a pas le droit de fumer ici et qu'il vous répond un sobre '"va chier", excusez-le... lorsque l'on est occupé à sauver le monde, l'on n'a pas toujours le temps d'en suivre les règles. 


Niveau graphisme, l'on est dans du classique, semi-réaliste, avec de vraies "tronches" et une représentation non-aseptisée de la violence. Quelques scènes plutôt osées (comme un type qui se fait étrangler avec ses propres intestins, ce qui est somme toute assez rare) justifient tout à fait l'avertissement présent sur la couverture.
Reste à aborder la traduction... et là, putain, c'est pas triste ! Pour l'identité de la traductrice, je vous le donne en mille... eh oui, c'est la championne du monde, la déesse de la "translation" : Geneviève Coulomb. Alors si vous ne la connaissez pas, comment vous dire... imaginez une Eve Angeli sous acide en train de lire Nietzsche dans le texte et vous aurez une idée du niveau d'incompréhension totale et de nullité crasse que peut atteindre Coulomb (cf. le long encadré de cet article pour plus de détails).

Ici, elle continue de maltraiter des auteurs qui ne lui ont rien fait. Niveau erreurs, il y a un peu de tout, je vais donner quand même quelques exemples. Un truc récurrent chez elle, c'est les expressions "presque" bonnes. C'est à dire que l'on comprend ce qu'elle a voulu dire mais il manque tout de même toujours un petit quelque chose pour que la phrase soit correcte, genre "les troupes ont d'ordre de se borner à observer", ou encore "nous n'enverrons pas les marines avant plus ample informé". Et même quand c'est plus ou moins juste sur le plan de la langue, on retrouve les magnifiques tournures dont elle a le secret (ceux qui ont survécu au récit illustré Elektra & Wolverine savent ce qu'est la souffrance presque physique qu'engendrent les écrits coulombiens pour le lecteur). Mais parfois, ça devient drôle. Comme quand elle doit traduire une heure exprimée par des militaires. Or, visiblement, elle ne sait pas du tout comment faire. Et, comme à chaque fois qu'elle est devant un truc qu'elle ne comprend pas - autant dire souvent - au lieu de chercher à savoir, elle tente le coup en improvisant. Ce qui donne "décollage à 1300 heures". Au bout d'un moment, elle se rend compte que c'est un peu foireux, alors elle change carrément de méthode en cours de route (mais sans corriger ce qu'elle a fait avant !). Elle passe donc des chiffres aux lettres, et là on a un "zéro-huit-cents heures" qui ne veut toujours rien dire (la traduction correcte serait "huit zéro zéro" dans le jargon militaire).
Bref, si vous le pouvez, optez pour la VO. Sinon, pour une vingtaine d'euros en occasion, vous aurez droit à cette parodie d'adaptation, sortie en 2009 chez Panini.
Notons qu'Ennis retrouvera bientôt Nick Fury dans une mini-série dédiée à l'un de ses personnages fétiches (cf. cette news). Inutile de dire que l'on attend ça avec impatience.

Une mini-série bourrée d'action, d'humour et de cynisme, et presque historique puisque marquant le début d'un label important pour Marvel. Avec Ennis aux commandes, ce qui est un plus indéniable.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La qualité d'écriture d'un Ennis qui se paie le luxe d'être à la fois bourrin sur la forme et subtil sur le fond.
  • L'ambiance graphique.
  • Le côté non manichéen.
  • L'humour décalé. 

  • La VF, franchement à chier.