Publié le
2.11.25
Par
Vance
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Poursuivons notre exploration du monde glorieux de la science-fiction. Aujourd'hui, nous allons évoquer un auteur rare, peu traduit en France, mais dont le premier roman avait fait sensation : Ian Watson. Avec L'Enchâssement, sorti en 1973, cet ancien enseignant a lâché une petite bombe dans le monde de la SF anglo-saxonne. Déroutant par son approche, moderne dans son développement, percutant par ses idées et novateur, cet ouvrage s'avère une œuvre hybride, entre hard-science et traité philologique, dont la portée dépasse le cadre de son histoire et de ses personnages.
Watson s'est intéressé à un thème relativement peu abordé dans le genre, généralement traité par dessus la jambe par les auteurs de l'Âge d'or, voire simplement négligé : le langage. On pourra citer Jack Vance tout de même (Les Langages de Pao, 1958) et surtout Samuel Delany avec son implacable Babel 17 (1966), et encore Robert Silverberg dans une moindre mesure (avec L'Homme dans le labyrinthe, 1968) mais les auteurs qui se sont penchés sur la communication entre les peuples ne sont pas légion avant le XXIe siècle.
Toutefois, force est de reconnaître que L'Enchâssement demande nettement plus d'effort pour entrer dans l'histoire : sa narration éclatée, son contexte géopolitique instable et ses constantes références scientifiques ou littéraires peuvent éventuellement nuire au simple plaisir de suivre les pérégrinations des héros, qui en outre se montrent systématiquement désenchantés, écrasés par des révélations, le poids des responsabilités ou un avenir des plus sombres auquel ils ne voient aucune issue.
Au départ, deux lignes d'intrigue se déroulent en parallèle, sur deux continents séparés, avant qu'un événement planétaire vienne créer les points d'intersection qui les feront se rejoindre.
Tout d'abord, nous suivons un linguiste anglais, Chris, engagé dans un projet aussi secret qu'ambitieux dans un centre d'études confidentiel : il travaille sur le développement d'un langage artificiel entre des enfants internés issus de l'immigration, en éliminant toute possibilité de contextualisation ou autres interférences culturelles. Il s'appuie sur des conclusions de travaux menés par une de ses connaissances, l'ethnologue français Pierre Darriand, lequel s'est inspiré du livre de Raymond Roussel, Nouvelles Impressions d'Afrique, rédigé d'une manière si révolutionnaire qu'il suscite encore des théories de nos jours [je vous laisse le soin de faire les recherches adéquates], notamment par son principe de vers qui s'enchâssent les uns dans les autres jusqu'à engendrer un méta-langage.
Justement, ce bon Pierre, qui a en outre été l'amant de la femme de Chris, se trouve en Amérique du Sud, sur le site d'un barrage en construction sur l'Amazone, lequel menace la survie de tout un écosystème dont le territoire des Xemahoa. Or ces derniers, lorsqu'ils sont sous l'emprise d'un puissant champignon hallucinogène, communiquent entre eux suivant un langage enchâssé qui est digne de toutes ses attentions, au point qu'il se met à sympathiser avec les révolutionnaires tentant de faire sauter le barrage, tout en cherchant à participer à l'une des cérémonies rituelles dans le but de pouvoir expérimenter ce fameux langage. Entre-temps, il envoie une lettre à Chris, espérant trouver en lui un appui pour sauver la civilisation xemahoa.
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C'est alors que des officiels américains débarquent : ils ont un besoin urgent des compétences de Chris. En effet, ils viennent de découvrir que des extraterrestres tentent d'entrer en contact avec eux...
Je n'irai pas plus loin dans la description des prémisses. La quatrième de couverture ou les résumés chez l'éditeur sont un peu plus généreux, mais privent du coup le lecteur de certaines surprises dans le déroulement des opérations. L'on se doute bien que Chris et Pierre seront impliqués d'une manière ou d'une autre dans cette affaire d'une ampleur inégalée.
C'est dans cette partie que l'auteur laisse libre cours à une certaine forme d'ironie presque absente des deux premières : l'intervention salvatrice de Chris entouré d'officiels de la NASA et de militaires US rappellera le ton mordant d'un Tim Burton dans Mars Attacks ! Et c'est tant mieux car auparavant l'on commençait un peu à se perdre dans les explications sur son projet de langage, nanties de nombreuses références assez abstruses. En outre, la situation volatile au Brésil souligne les préoccupations de l'époque, et l'auteur se montre assez habile pour renvoyer dos à dos les politiciens bornés, les militaires obtus et les révolutionnaires illuminés, tandis que les indigènes attendent leur sort avec une philosophie totalement détachée, se livrant à leurs rites sans se préoccuper le moins du monde de leur avenir.
Le ton grinçant envahit ensuite le roman pour ne plus le lâcher jusqu'à une fin qui vous prendra au dépourvu, aussi cruelle que malsaine, de laquelle l'humanité ne ressortira pas grandie. Mais le mérite-t-elle seulement ? Cynique et désabusée, la conclusion laisse un goût amer : aucun des personnages ne suscite la sympathie, malgré les efforts des deux scientifiques pour la raison et la vérité (oubliant au passage certains droits humains fondamentaux, tout de même). Le livre laisse dans l'esprit des traces tourbillonnantes où les interprétations s'entrechoquent : on n'est jamais loin des révélations d'un Altered States de Ken Russell, la métaphysique en moins, la politique en plus. Néanmoins, les spectateurs de Premier Contact de Denis Villeneuve y trouveront des points de convergence assez troublants.
Sans aucun doute une œuvre majeure, mais difficile d'accès, ardue à apprécier, volontairement confuse mais sachant faire mal et questionner bon nombre de principes. La frustration consécutive à la chute finale peut engendrer une certaine colère, cela dit. Mais si vous êtes parvenus jusqu'à la fin, vous saurez relativiser.
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