Alice Matheson, saison 1 (6 tomes)
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« Je me nomme Alice Matheson.
Je suis une infirmière qui tue discrètement ses patients.
Je pensais être le seul monstre qui hante cet hôpital.
Jusqu’à cette nuit où ma patiente s’est relevée d’entre les morts. »

 

 
La sortie du tome 6 de Alice Matheson nous offre  l'occasion de revenir un peu sur cette série éditée par Soleil.

À l’origine du scénario, on trouve Jean-Luc Istin (oui, le co-initiateur de la série concept Elfes dont je vous ai déjà parlé à deux reprises puisqu’elle engendra d’autres séries comme Maîtres Inquisiteurs, Nains, Orcs et Gobelins et enfin… Mages, dont vous pourrez trouver mes chroniques des tomes 1 et 2 ici-même) et Stéphane Betbeder.
Au dessin se succédèrent Philippe Vandaëlle  (tome 1 et… retour au tome 6, belle façon de souligner le « retour à la normale » qu’est l’arrêt de l’épidémie), Zivorad Radivojevic (tomes 2 et 3), Federico Pietrobon (tome 4), Lucio Leoni et Emanuela Negrin (tome 5).
Les couleurs, elles, froides et cliniques, sont initialement l’œuvre de Jean Bastide (tomes 1 et 2) et c’est dans un total respect de cohérence graphique que Digikore Studio poursuivra ensuite le travail.
Alice Matheson, ce sont six tomes à ce jour décrivant un arc entier et autosuffisant appelé « Saison 1 » (ça devient très à la mode, ces derniers temps).

Le thème


Pour beaucoup, Alice Matheson n'est sans doute qu'une énième histoire fantastique à la sauce zombie dont la seule caractéristique originale est de se dérouler dans un hôpital. Si l'on se limitait à regarder les couvertures des albums, on pourrait en effet souscrire à cette idée mais ce serait aller un peu vite en besogne et oublier de tenir compte du fait que cette série s'inscrit bel et bien dans la collection "Anticipation" de son éditeur et non dans une approche fantastique du phénomène zombies.
En effet, l'on a ici un traitement doublement original de l'apparition des zombies dans la bonne ville de Londres, tant au niveau du point de vue que du contexte. Et l'un comme l'autre déploient tout un éventail d'arguments ancrant le récit dans un environnement réaliste et contemporain.

Le point de vue


Notre héroïne, Alice, n'est rien d’autre que ce que les tabloïds appellent "un ange de la mort", une de ces infirmières donnant prématurément la mort à des patients qu'elle estime condamnés à plus ou moins court terme.
Mais Alice est plus complexe que ça. Dès les premiers instants, l'on apprend qu'elle n'a nul besoin de ce travail pour vivre et qu'elle est très largement surqualifiée pour le job. La demoiselle ne donne pas la mort à ses patients en raison d'une pitié quelque peu dévoyée mais elle a au contraire choisi d'être infirmière pour avoir des patients à se mettre sous la seringue ! Alice est une prédatrice. Intelligente, séduisante et d'une totale insensibilité, elle s'interroge elle-même fréquemment sur sa sociopathie en en cherchant les origines dans son passé... passé sans doute très traumatisant puisqu'elle a tout oublié de son enfance et ne se souvient finalement de ses jeunes années que depuis son adoption par la très opulente famille Matheson.
L’on pourrait reprocher à la série la difficile identification à son héroïne mais… cet argument usé jusqu’à la corde est d’une pauvreté abyssale et, dans ces abysses, on ne trouve nulle trace de pertinence. J’adore lire Les Annales du Disque-Monde, du regretté Sir Terry Pratchett, et principalement ceux impliquant Mémé Ciredutemps. Il m’est pourtant impossible de m’identifier à une vieille sorcière adepte de têtologie, crainte de tous, vivant dans une zone boisée d’une planète plate et circulaire posée sur le dos de quatre éléphants eux-mêmes juchés sur le dos d’une tortue géante errant dans l’espace… Mais ça marche quand même ! Même sans m’identifier à personne. Parce que l’histoire est prenante, parce que le style me plaît et parce que, si Mémé n’a rien de sympathique, son manque apparent d’humanité est mis en situation de contraster avec la bonhommie de ses consœurs. La mayonnaise prend et ça suffit amplement.
Alice ne ressent aucune émotion, certes. Elle n’attire guère la sympathie, certes. Si vous me dites vous identifier à elle, je vous conseillerai d’urgence de consulter un professionnel compétent, certes. Mais elle est intrigante, intéressante, troublante. Elle est mystérieuse et maîtrise une forme de séduction venimeuse et mensongère qui ne peut que susciter curiosité et intérêt. À certains moments, lorsqu’elle nous explique sa façon de naviguer parmi nous en multipliant les masques, feignant les émotions, stratégisant le moindre contact avec autrui, elle a beau ne pas être sympathique, elle n’en est pas moins fascinante.
Et comme c’est aussi le cas pour Mémé Ciredutemps, sa froideur offre un contraste entre elle et son entourage. En effet, là où les sens et les passions n’affectent aucunement notre tueuse, tous ses collègues, eux, en sont les marionnettes : l’un est obsédé par une femme, un autre est amoureux d’une morte au point de faire des folies, un troisième couche avec tout ce qui bouge au point de même tourner autour d’Alice malgré sa froideur, une femme négligée et moquée avoue sa passion amoureuse en sacrifiant sa vie… Alice est un glaçon dans une fournaise. Et c’est précisément parce que, malgré la chaleur, le glaçon ne fond pas le moins du monde qu’il finit par être intéressant.
De plus, même si ma phrase va paraître étrange, la sociopathie est un élément narratif terriblement actuel. Cette passion que nous avons pour les thrillers, les faits divers et les tueurs en série est une caractéristique contemporaine qui permet à cette série de paraître parfaitement actuelle et réaliste.


L’environnement


Sans la composante zombie et l’urgence bien compréhensible qui en découle, cette histoire pourrait bien être un épisode de Grey’s Anatomy un peu glauque qui aurait décidé de faire de l’œil aux spectateurs d’Esprits Criminels en choisissant comme personnage principal la sœur sexy de Dexter. Mais cet environnement hospitalier est surtout, à mes yeux, l’endroit privilégié pour faire ce que la plupart des autres récits de zombies ne font pas : donner au phénomène une explication médicale, cartésienne et même lui offrir une origine crédible et originale (pour le béotien moyen en médecine que je suis, en tous cas).
Vous ne trouverez ici que des comportements pragmatiques et plutôt rationnels de la part des personnages diplômés et, finalement, seul Sam Gibbs, le geek de service sous-qualifié passionné de survival, se la jouera The walking dead en s’armant et en fonçant dans le tas. Avouez que c’est quand même rafraîchissant, pour une fois, de ne pas voir comme unique réaction de la part de gens voyant une invasion de morts dans les rues : « J’ prends mon shotgun et j’ casse du zombie… et si j’ croise un autre taré comme moi, j’ trouve une raison pour lui trouer la peau à lui aussi… parce que la solidarité en période de crise, c’est très surfait ! » Vous croyez que je vise The walking dead, là ? Moi ? Mais non, jamais !
À dire vrai, j'aime bien The walking dead mais force est de constater que cette série fait naître autant d'espoirs qu'elle en assassine... et depuis quelques tomes déjà, les espoirs ont ressuscité et Rick les a plantés sans plus aucune chance de retour.  

Un survol rapide


Tome 1 : Jour Z. On découvre Alice et sa vilaine addiction au meurtre de personnes à l’agonie. Dans la morgue où elle s’y adonne, les morts se relèvent… elle y comprend qu’il faut leur blesser le cerveau pour les arrêter, ce qui fait d’elle la première experte de ce problème. Un des zombies disparaît de l’hôpital… la contamination à l’extérieur commence.
Tome 2 : Le tueur en moi. On étudie de plus près les infectés de façon médicale pendant que la situation se complexifie pour Alice. L’étau se resserre sur elle et elle doit gérer de plus en plus de problèmes… à sa criminelle façon. Son passé, lentement, refait surface.
Tome 3 : Sauvez Amy ! Ce tome nous expose les vices de plusieurs membres du personnel hospitalier qui, la plupart du temps, causeront plus ou moins leur perte. Alice se souvient le temps d’une vision de ceux qu’elle identifie comme ses parents. Une ancienne connaissance reprend contact avec elle et l’on en apprend plus sur les masques que porte Alice en société pour cacher son manque d’émotions. Les événements prennent bientôt un parfum de trahison.
Tome 4 : Qui est Morgan Skinner ? Cet album est quasi uniquement centré autour du grave secret que cache Skinner, le directeur soupçonneux de l’hôpital. Ce long développement aux allures de quasi spin-off offre à Alice un moyen de pression sur son patron trop curieux.
Tome 5 : Les obsessions de Sam Gibbs. Sam est un obscur membre du personnel d’entretien, un peu trop geek, un peu trop gras, un peu trop banal pour être remarqué dans cet hôpital où l’on croise le haut du panier de la médecine londonienne. Mais c’est pour ainsi dire un standalone que ce tome lui offre pour exprimer sa passion et ses frustrations, tant Alice est peu présente dans ce livre un peu atypique dans la série mais néanmoins bien foutu et utile à la conclusion de l’arc narratif.
Tome 6 : L’origine du mal. Ou l’origine des maux puisque ce tome au titre honnête nous révèle l’origine de l’épidémie et effleure l’origine possible des troubles comportementaux de notre sombre héroïne. Une conclusion au goût de situation initiale qui laisse présager d’une saison 2 moins claustrophobe et plus nécessairement sous forme de huis clos : Alice s’est libérée de l’hôpital et le monde s’offre à elle… un monde où son besoin de tuer à nouveau se fait déjà sentir !


La construction narrative


Une construction en parallèle, un peu métaphorique, saute aux yeux : l’environnement hospitalier qui y est décrit, avec ses obsédés, ses queutards et ses coucheries multiples est un magma de vie dans lequel s’insinue la mort, gueule béante et chair putréfiée… un peu comme Alice injecte elle aussi la mort. Sauf qu’elle le fait dans le corps de patients alors que l’épidémie le fait, elle, dans tout le corps… médical !
Une autre construction, en miroir, s’étale au long des six livres : plus la mort s’invite, claudicante et avide, sous formes de morts-vivants, moins Alice a l’opportunité d’infliger la mort à des vivants. C’est même ce manque qui créera chez elle la frustration suffisante pour la pousser à découvrir la cause de l’épidémie et aider à l’endiguer, lui permettant donc de reprendre en fanfare ses exécutions.
C’est donc paradoxalement par attrait pour la mort que l’héroïne va restaurer le respect de la vie. Parce que si Alice désire quelque chose, c’est contenter ses pulsions meurtrières et, pour cela, il faut que chaque chose soit à sa place, que les morts le soient pour de bon… sa passion est de voir la vie s’enfuir des yeux de ses victimes, ce n’est pas pour les voir se rallumer, fut-ce d’une lueur plus faible !
Au fil de l'histoire, on se questionnera autant sur les origines d'Alice que celles de l'épidémie. Les six tomes de cette série auront le bon goût de ne pas vous laisser sur votre faim : vous apprendrez beaucoup de choses sur le passé d'Alice (même si certaines zones d'ombres subsistent, justifiant l'existence des tomes à venir) et découvrirez à l'épidémie une véritable explication qui semble crédible et scientifique au profane que je suis (par contre, l'idée étant plutôt bonne et originale, je ne vous la divulgue pas... je dirai juste que cette astuce scénaristique m'a étrangement fait penser à Deadpool, mais ça doit être moi, j’ai tendance à faire des connexions bizarres, parfois).

La qualité graphique


À mon sens, on ne prendra pas cette série en défaut à ce point de vue.
Malgré les changements de dessinateurs, les styles restent très proches les uns des autres et l'alternance se fait à peine sentir. La charte graphique constante aide à la cohérence de la collection. C’est beau, sobre, traité de façon assez réaliste et crue et cela colle parfaitement à l’ambiance nécessaire pour que cette histoire fonctionne. Hôpital, zombies et meurtres obligent, on a droit à une palette dominée par des verts « médicaux », des couleurs claires livides et des rouges bien sanglants… quoi de plus logique !


En conclusion…


Alice Matheson est une série intelligente, graphiquement un peu austère mais à juste titre et qui a le bon goût, narrativement, d’être tout ce que la référence The walking dead n’est pas ou pas assez.
Ici, pas de mec pouilleux qui a du mal à survivre face à des cadavres qui clopinent, non… Ici, on a une femme supérieurement intelligente habituée aux meurtres. La mort est son jardin. Face aux zombies, nulle peur… juste une sorte d’agacement : ces morts qui reviennent à la vie, c’est pas de la belle ouvrage !
Ici, la société n’est pas dirigée par des gogols qui ne pensent pas à tenter de circonscrire la propagation du phénomène : l’armée est vite déployée en un cordon sanitaire et adopte des stratégies certes perfectibles mais vraiment pas absurdes pour limiter les dégâts.
Ici, pas de gunporn à outrance : ces crétins de zombies peuvent être enfermés, attachés, on peut les ralentir, les arrêter avec n’importe quel outil permettant d’endommager le cerveau. Les seuls qui abordent le problème en fonçant dans le tas comme l’ami Rick le paient de leur vie. Ici, c’est l’intelligence et la ruse qui permettent de survivre.
Ici, quand un gars vous trahit, il a ses raisons, pas juste parce qu’il est d’un autre camp… les humains, par défaut, se serrent les coudes quand les macchabées nous la jouent Thriller.
Ici, l’épidémie a un fonctionnement et une origine. Parce que bon, il est bien gentil, le brave Eugène de The walking dead mais il nous a fait miroiter au bout de maints albums une explication à cette apocalypse zombie pour finalement se dégonfler comme un tas de fake news fadasses. Et que c’était frustrant ! Que j’ai eu envie de mettre une bonne fessée déculottée à tous les gars dont le nom était écrit sur la couverture de cet album quand on a appris la vérité sur l’ami Gégène !
En bref. Si vous aimez les histoires bien foutues avec des changements de points de vue, des héros atypiques, des zombies et un peu d’anticipation ; si vous aimez vous dire « Bah ouais, logique ! » à la vue d’une réaction face au danger et non pas « Mais ne fais pas ça, débiloïde ! Tu penses à quoi ? » ; si vous aimez avoir entre les mains de la bonne bande dessinée contemporaine jouant avec les codes de plusieurs genres sans jamais trop se perdre et respectant assez le lecteur pour apporter de vraies réponses aux questions qu’elle soulève… eh bien Noël approche, les gars ! Six tomes sous le sapin !
Demandez une sociopathe à Papa Nouyel !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un cycle qui relate en six tomes une vraie histoire avec un début, un milieu et une fin.
  • La vraie fin ne clôt néanmoins pas la série.
  • L'histoire est cohérente.
  • Le dessin est beau.
  • Le choix de la palette de couleurs est efficace.
  • L'héroïne est atypique.
  • Le genre zombiesque un peu revisité.

  • Le changement de dessinateurs, même si ça ne se voit guère.
  • Quelques personnages intéressants sous-exploités mais tous ne pouvaient s'illustrer, il fallait bien que certains se fassent trucider.
  • Quelques longueurs de-ci de-là et quelques répétitions dans l'introspection d'Alice.
First Look : Tanguy et Laverdure
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Nouveau First Look consacré cette fois aux débuts d'un duo mythique : Tanguy et Laverdure.

Les aventures des Chevaliers du Ciel débutent dans le journal Pilote, en 1959. Le premier album sera publié en 1961. Aux commandes de ce titre, Jean-Michel Charlier au scénario et Albert Uderzo aux dessins, qui sera remplacé plus tard par Jijé.
Notons qu'à l'époque, les trois grands magazines publiant de la BD disposent chacun de leur série d'aviation : Pilote accueille donc Tanguy et Laverdure, Spirou publie Buck Danny, et le journal Tintin dispose de Dan Cooper. Fait exceptionnel, Charlier a travaillé sur les trois titres (il est à l'origine  et le scénariste historique  de Buck Danny et Tanguy et Laverdure, mais il interviendra aussi sur trois tomes de Dan Cooper). On lui doit également, entre autres, la série western Blueberry ou encore Barbe-Rouge. Il fait sans conteste partie des plus grands auteurs de la BD franco-belge et bien des adultes de nos jours lui doivent leur passion des drôles d'engins qui traversent les cieux.
Après un arrêt en 1988, le titre est relancé en 2002 et compte aujourd'hui 33 albums, auxquels il faut ajouter une seconde série parallèle, baptisée Tanguy et Laverdure Classic (qui comprend 3 albums), plus un album spécial 60 ans (cf. cette news) et, bien entendu, les tomes de l'Intégrale.
Nous allons aujourd'hui nous intéresser non pas au seul premier album des Chevaliers du Ciel mais justement au premier volume de l'intégrale, ce qui permettra de faire un point sur ces rééditions.

Le premier tome de l'intégrale publiée par Dargaud contient les albums L'École des Aigles et Pour l'Honneur des Cocardes. C'est le volume le plus "léger" (120 pages, les suivants faisant entre 168 et plus de 200 pages).
En ce qui concerne l'histoire, l'on découvre ici les premiers pas de Michel Tanguy et Ernest Laverdure en tant que pilotes. Fraîchement issus de l'École de l'Air de Salon-de-Provence, les deux hommes arrivent à la base de Meknès (Maroc) pour y suivre une formation poussée sur le combat tactique. À l'époque, les héros volent encore sur Fouga Magister et Lockheed T-33. Ils ne recevront leurs Mirage III que dans l'album L'Escadrille des Cigognes (à découvrir dans le tome 2 de l'intégrale).
Outre la gestion houleuse d'un coéquipier hautain et maladroit, Tanguy et Laverdure devront faire face au détournement d'une fusée expérimentale française.

Ponctuation "free style" et lettrage un peu limite... le point faible d'une Intégrale pourtant magistrale.

Dès les premières planches, les rôles sont immédiatement distribués, avec un Tanguy posé et raisonnable accompagné d'un Laverdure gaffeur et excentrique. Les gags, plutôt sympathiques, viennent agréablement entrecouper les scènes d'action, forcément nombreuses. La série flirte aussi bien avec l'espionnage que les missions plus traditionnelles, le tout dans l'ambiance, étonnamment pas si désuète que ça, du début des années 60.
L'écriture de Charlier s'avère en effet suffisamment intemporelle pour que l'on puisse prendre plaisir, de nos jours encore, à la lecture de ces péripéties parfaitement orchestrées. Uderzo, plus connu sans doute pour son travail sur Astérix, livre lui aussi une magnifique prestation dans un style réaliste et dynamique, qui parvient sans problème à retranscrire les évolutions des appareils. Les avions, tout comme les différents équipements, sont d'ailleurs parfaitement représentés.

Mais voyons maintenant les particularités de cette belle Intégrale. Tout d'abord, les bonus sont incroyablement nombreux et passionnants. Tout au long de la collection, l'on va découvrir de courts récits inédits, des documents techniques, des extraits de tapuscrit, des illustrations et des reproductions de planches (souvent propres au magazine Pilote), le tout étant parfaitement explicité et remis dans le contexte de l'époque, avec force informations et anecdotes. L'on a clairement l'impression d'une véritable valeur ajoutée à l'ensemble. Une curiosité : le roman L'avion qui tuait ses pilotes (de Charlier himself), publié initialement dans la Bibliothèque Verte (et introuvable de nos jours), est repris intégralement dans les tomes 7 et 8.
Au niveau des épisodes, là encore, un grand soin a été apporté à cette réédition. Outre une colorisation revue, l'on va disposer de l'intégralité des planches publiées dans Pilote (avec parfois donc des versions plus longues que celles des albums classiques). Tout cela est d'ailleurs parfaitement détaillé, avec tous les comparatifs et dates utiles. Le parent pauvre de cette réédition s'avère être finalement le lettrage, qui aurait bien mérité un petit coup de dépoussiérage également (il y a parfois des petits soucis de ponctuation, d'espace, voire des lettres partiellement effacées, mais globalement rien de rédhibitoire).

Alors, cette intégrale est-elle à conseiller ? Clairement oui. Trois albums (la plupart du temps) remasterisés, réalisés par deux légendes de la BD, accompagnés de documents et textes de qualité, le tout pour 20 euros, ça vaut clairement le coup.
Que l'on soit un ancien lecteur nostalgique, aujourd'hui adulte, ou un(e) jeune passionné(e) d'aviation, la magie opère encore et est même soutenue par des bonus utiles et intéressants.
Un incontournable de la bande dessinée franco-belge.



Les autres BD de la rubrique First Look : 



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un classique de la BD.
  • Probablement la meilleure série d'aviation de Charlier.
  • Le style Uderzo, parfaitement adapté au contexte.
  • La grande qualité, le nombre et la variété des documents additionnels.

  • Le lettrage, clairement pas (ou plus) à la hauteur.
Yamraj Universe
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Sortie du tout premier numéro de Yamraj Universe, une revue bien épaisse et bourrée de comics "old school".

La petite structure associative Yamraj vient donc de publier un énorme ouvrage de plus de 170 pages, contenant des récits super-héroïques mais aussi de la SF et du thriller, avec même une petite touche de gore parfois.
Le projet, plutôt intéressant, consiste à remettre au goût du jour d'anciens personnages tombés dans le domaine public, le tout en bâtissant un multivers peuplé également de créations originales.

Les aventures des différents héros (Captain Lazer, FreeJack, Amazona, DevilDead...) se déroulent dans les années 40/50, dans les années 80 ou même de nos jours. Sergio Yolfa (dont on connaît déjà le travail sur The Gutter) assure une grande partie des dessins, les scénarios sont, eux, l'œuvre d'Antonio Pastucci. Citons également Bruce Cherin et Bruno Citrugni à la colorisation, ainsi que Pascal Erhard assurant la traduction de certains titres ainsi que la relecture.

Chaque épisode est introduit par une cover ainsi qu'une présentation du personnage, de son parcours éditorial et du contexte général. Outre les BD, ce recueil (15 euros en boutique, comptez 8 euros de frais de port en plus pour une commande par correspondance) contient plusieurs articles, notamment sur les fan-films par exemple ou encore les super-héros et le handicap (un texte particulièrement original, intéressant et bien documenté).

Bref, un énorme travail réalisé par une équipe de passionnés.
À conseiller à tous les fans de comics "rétro"et d'action.







Wind River : du sang dans la neige
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Wind River est un film de Taylor Sheridan, sorti en 2017. Retour sur un thriller âpre et tendu ayant pour cadre la dure réalité des réserves amérindiennes.

Cory Lambert vit dans le Wyoming où il travaille pour le United States Fish and Wildlife Service. Dans un paysage aussi vaste et grandiose que dangereux, il s'occupe d'éliminer certains prédateurs issus d'une faune encore sauvage. Un jour cependant, alors qu'il piste un puma, c'est le cadavre d'une jeune femme qu'il découvre.
Pour enquêter, la police de la réserve amérindienne de Wind River, dont les moyens sont dérisoires, reçoit alors l'aide... d'un seul agent du FBI : Jane Banner, encore en formation et directement débarquée de Las Vegas. Jane découvre bientôt les dures conditions de vie de la population locale, mais aussi la rigueur du climat. Elle va heureusement pouvoir compter sur Cory pour l'aider dans sa tâche. Ensemble, ils vont essayer de rendre justice à une gamine victime non d'un seul tueur, mais bien d'un système qui broie lentement les gens...

Eh bien voilà un long-métrage qui vaut sacrément le détour, tant pour son casting réussi (Jeremy Renner et Elizabeth Olsen en tête, mais les seconds rôles sont particulièrement bons également) que pour le cadre inhabituel ou le propos, engagé sans être larmoyant ou manichéen.
En gros, l'on a affaire à un meurtre (plusieurs meurtres même) et l'on a un duo sexy et complémentaire (le mec bourru qui connaît bien le coin et la nana un peu naïve qui découvre un environnement extrême). L'on pourrait donc croire que l'on est en présence d'un récit ultra-classique et prévisible, mais fort heureusement, Sheridan (qui signe aussi le scénario et semble s'être particulièrement bien documenté sur le quotidien des populations locales, au point même de faire lire son scénario par les tribus Arapahoe et Shoshone) va habilement éviter tous les clichés pour bâtir une intrigue relativement réaliste et terriblement humaine.


Les personnages sont fort bien écrits (et interprétés). Ceux qui vivent à Wind River sont particulièrement cabossés voire fracassés par l'isolement, les conditions de vie, la violence et l'indifférence d'un gouvernement qui ne peut engager des moyens démesurés dans un État qui s'avère être le moins peuplé de tout le pays (moins de 600 000 habitants pour une superficie équivalant à presque la moitié de celle de la France).
Le Wyoming leur a tous pris quelque chose, en les grignotant patiemment. Pour certains leurs enfants, tués par le froid et la bêtise de quelques salopards. Pour d'autres leur humanité, leur capacité d'empathie.

Même si le film dispose de scènes d'action efficaces, c'est sans doute les moments intimes qui sont les plus puissants. Rarement un cinéaste aura réussi à mettre aussi bien en avant le côté insupportable de la souffrance psychologique, de la peine, lorsqu'elle devient étouffante, atroce, noire et totale. Au point qu'une souffrance physique semble une bonne idée pour parvenir à s'en détourner un instant.
Terrible moment aussi entre Cory et Martin, le père de la jeune fille retrouvée violée et abandonnée dans la nature. Cory parvient même, dans un moment poignant et poétique, à trouver une justification à cette douleur lancinante et obscène qui suit la perte d'un proche. Dans ce coin perdu, ceux qui ont encore des sentiments humains se soutiennent comme ils le peuvent.

Bien sûr, tout n'est pas parfait dans ce pourtant très bon film. Certains lui ont même reproché un rythme trop lent... heu, c'est clair que si votre trip, c'est Fast & Furious ou Expendables, ce n'est clairement pas l'ambiance. Mais le rythme n'est aucunement lent pour autant, et le suspense bien présent. Jamais l'on ne s'ennuie pendant ces 107 minutes dont chaque seconde est pensée et utile. Si l'on doit émettre une réserve, c'est sans doute plus du côté de la vraisemblance du comportement de quelques personnages lors de certaines scènes (mais après tout, des gens qui deviennent cons après une beuverie et sont emportés par l'effet de groupe, ça existe aussi... malheureusement).

L'on peut également s'interroger sur la morale finale véhiculée par le film. Elle est dure, violente et très fortement individualiste, mais tout est une question de contexte. Quand l'on ne peut avoir recours à la justice, quand la police est inefficace (souvent parce qu'on l'empêche de faire son travail), quand le danger est trop grand, alors... il faut agir. Non par vengeance, mais pour préserver les innocents encore en vie.
C'est peut-être d'ailleurs l'un des sous-textes les plus intéressants du film, qui met en opposition la blancheur immaculée de la neige et les éclaboussures écarlates d'un sang que l'on ne peut faire semblant d'ignorer. Entre les bien-pensants, gorgés d'une idéologie extrême et absolue qui ne tient jamais compte du réel et est prompte à condamner celui qui ne fait que se défendre, et les excités pensant faire justice eux-mêmes pour une queue de poisson ou un regard, il y a le Wyoming. Un Wyoming éthéré, décentré, que l'on rencontre aussi bien en France qu'au Brésil ou en Allemagne. Un Wyoming qui oblige certains types à faire le sale boulot alors qu'ils n'ont rien demandé. Un Wyoming qui hante les Pères et terrasse les gamins. Un Wyoming qu'il est absolument nécessaire de prendre au sérieux. Car s'il peut avoir ses bons côtés et ses paysages grandioses, il peut également tuer en une fraction de seconde ceux qui auront la faiblesse de se croire en sécurité dans un monde en proie à des prédateurs multiformes.

Un divertissement élégant et habile, doublé d'une réflexion plutôt couillue sur les dérapages générés par le contexte et l'effet de groupe.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un casting parfait.
  • Un cadre original et fascinant.
  • Une intrigue tendue et efficace, soutenue par des personnages bien écrits.
  • Des moments poignants.
  • Un sous-texte osé et intelligent.

  • Certaines facilités ou invraisemblances, mais rien de bien méchant.
2 nouveaux Tanguy & Laverdure
Par


Deux nouveaux albums des Chevaliers du Ciel viennent de paraître il y a quelques semaines.

D'une part, Retour aux Cigognes, premier tome d'une aventure en deux parties dans laquelle Tanguy est obligé d'abattre l'un de ses coéquipiers qui, subitement, s'est mis à tenir des propos incohérents et à attaquer des véhicules sur une autoroute. Le pilote, plutôt secoué, va tenter de comprendre ce qu'il s'est vraiment passé. Une enquête passionnante sur fond de complot et de manipulation mentale.
Un très bon album, scénarisé par Frédéric Zumbiehl et Patrice Buendia, et parfaitement mis en images par Sébastien Philippe.

D'autre part, sortie également d'un Spécial 60 ans, contenant 6 histoires inédites (de 8 à 12 planches), écrites et dessinées par 12 auteurs différents, parmi lesquels par exemple Francis Bergèse, qui a bien entendu œuvré sur la série Buck Danny.
Des récits humoristiques ou sérieux, entrecoupés de pas mal de bonus et documents.
Un bel hommage pour l'anniversaire de Tanguy et Laverdure.

Bref, si vous êtes un mordu d'aviation et de BD, voilà de quoi vous envoyer en l'air.




The Vision
Par


Retour sur l'excellente mini-série The Vision.

Vision est un synthézoïde. Pas tout à fait un homme mais bien plus qu'une machine. Membre émérite des Avengers, il a également entretenu une relation amoureuse (plutôt mouvementée) avec la Sorcière Rouge. Après avoir purgé son système des émotions qui étaient associées à ses souvenirs, Vision se lance dans une quête bien particulière. Afin de retrouver son "humanité", il va tenter de vivre comme monsieur et madame tout le monde.
Pour ce faire, il emménage dans une petite maison d'une banlieue tranquille, à Arlington. Il est accompagné de sa nouvelle compagne, Virginia, et de ses deux enfants, Viv et Vin. Tous sont des synthézoïdes, tout comme lui. Tous ont beaucoup à apprendre. Malheureusement, il est rare que l'on apprenne sans commettre d'erreurs. Les leurs seront dramatiques...

Ce récit (que l'on vous avait conseillé à l'époque, cf. ce Digest) écrit par Tom King, et publié en français dans deux 100% Marvel par Panini (en 2016 et 2017), fait partie de ces pépites inattendues qui vous redonnent foi dans les comics mainstream, surtout après s'être tapé des events parfois soporifiques et difficilement compréhensibles (la plupart dus à un Hickman surcoté qui aura réussi à me dégoûter des Avengers, un exploit). Bien entendu, il s'agit ici d'un personnage secondaire (même s'il est très connu des fans de comics), mais ce que King parvient à en faire dépasse largement son rôle habituel et lui confère même une profondeur nouvelle.

L'une des grandes qualités de cette mini-série est sa parfaite accessibilité. Malgré de nombreuses références au passé super-héroïque de Vision, l'on peut se passer de connaissances approfondies en matière de comics Marvel pour finalement considérer ces 12 épisodes comme une passionnante histoire de science-fiction, mâtinée d'une touche de polar et d'une atmosphère dramatique.
Car, évidemment, tout ne va pas très bien se passer dans l'expérience menée par les Vision.
Le scénariste parvient d'ailleurs à installer une ambiance froide et inquiétante dès le début, grâce à une narration quelque peu distanciée et les échanges étranges entre les membres de cette singulière famille.


Si au départ, les problèmes tournent autour de points de sémantique et du vocabulaire à adopter, les vrais ennuis pointent leur nez rapidement, que ce soit au lycée pour les enfants, ou même au sein du foyer, où une Virginia, quelque peu déstabilisée par une visite inattendue, va avoir une réaction pour le moins... radicale. S'ajoute à cela un maître-chanteur qui vient encore plus pourrir la situation. Tout semble s'écrouler, petit à petit, et les efforts de Vision pour conserver un semblant de normalité n'en sont que plus pathétiques et même... effrayants.
Car à travers cette fable sur la famille type, la vie idéale et la recherche de l'intégration, c'est à une réflexion sur notre propre comportement que l'auteur nous invite habilement. Et il faut bien reconnaître que la frontière savamment floutée entre le bon père de famille et le psychopathe meurtrier fait son petit effet. Le basculement n'est jamais très loin et, lorsqu'il se fait (presque) en douceur, dans une course en avant aussi dangereuse qu'inévitable, il n'en devient que plus fascinant.

Les dessins sont, eux, réalisés par Gabriel Hernandez Walta. Le style graphique adopté, froid, descriptif, sans effets appuyés mais avec de nombreux détails au niveau des décors et un soin particulier apporté aux expressions des visages (ou même aux absences d'expression), souligne parfaitement les intentions et effets de King. La colorisation de Jordie Bellaire, tout en teintes automnales et lugubres dans un premier temps, puis jouant sur un registre plus hivernal, contribue à donner aux planches une impression de fausse normalité et de danger latent.

Difficile de ne pas éprouver de l'empathie pour ces personnages à la fois si humains dans leurs excès et si enfantins dans leurs interrogations. Entre la violence, les larmes et certaines angoissantes interrogations, un geste banal mais touchant, un mot gentil ou la farouche volonté de préserver les siens vont faire des Vision bien plus que des robots étranges ou des héros... peu à peu, ils deviennent l'incarnation de rêves, d'échecs, d'aspirations et de réactions universelles. Notamment lorsque, touchés par une peine indicible, ils vont s'agenouiller et... prier. La boucle est bouclée, le surhomme intangible, immortel, sans limites, accède alors à la souffrance, à la peine, aux baumes de l'esprit confectionnés pour permettre, un temps au moins, de supporter l'insupportable.
Poignant. Magistral.

Un excellent récit, intelligent, divertissant, touchant et dépassant complètement le registre super-héroïque. 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une belle histoire, poignante et parfaitement mise en scène.
  • Un propos ambitieux qui évite de tomber dans la facilité ou la condescendance. 
  • Des scènes vraiment fortes.
  • Clairement une borne (qualitative plus que chronologique) pour le personnage de Vision.

  • RAS.