Hurlements
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Le recueil Hurlements, publié aux éditions Black Box en 2015, nous promet cinq histoires à perdre la raison et à hurler de terreur.
Chaque nouvelle propose un schéma des plus classiques  : un personnage se trouve confronté à une expérience surnaturelle, issue ou non d’une pseudo légende urbaine. Commis par Masaya Hakazono, un mangaka moult fois publié en France avec Inugami (14 tomes, en arrêt de commercialisation chez Akata/Delcourt), Emerging (2 tomes, Kurokawa), Freak Island (Delcourt, 5 volumes, en cours) et bien d’autres, dont une bonne partie en tant que scénariste, ce manga ne révolutionne en rien le genre.


Dans le premier récit, l’employé d’un vidéo-club se voit confier une VHS d’un film d’horreur amateur, La fille écarlate. L’adolescente en question, sœur décédée de l’auteur de la bande maudite, viendrait rendre visite juste après le visionnage, surtout si le spectateur possède lui aussi une sœur. L'homme ne peut s’empêcher de la regarder et... la fin se devine sans problème.

Le second traite d’un appartement hanté. Mme Shibata, employée d’une agence immobilière, acculée par son patron, doit tenter de faire louer un logement, dans lequel les habitants ne restent pas, en échange de la reconduction de son contrat. Elle subira des événements surnaturels, mais poussée par le chantage à l’emploi, elle va se démener pour purifier l’endroit, jusqu’à en perdre la raison.

Dans le troisième récit, Takayuki Morita, étudiant à l’aise financièrement, autant envié que haï par ses camarades, vit depuis six mois avec la présence du fantôme d’une jeune femme dont il ne connaît pas l’identité. Six mois durant lesquels il a cherché à s’en débarrasser (sel, amulettes...) en vain. Il commet par erreur l’irréparable... et la conclusion du récit se veut drolatique. Cette histoire illustre la frontière ténue entre l’humour et l’effroi. Pathétique et burlesque, la meilleure du recueil.

La quatrième nouvelle se déroule près d’un HLM. Un homme se fracasse sur le sol au milieu des habitants. Takaki, photographe de la police, apprend qu’il s’agit du douzième cas. Il constate une foule armée de smartphones, pointant leurs objectifs, malgré le cordon de sécurité sur la marque au sol, avide de sensations fortes et de voyeurisme putassier. Mais voilà qu’il commence à cauchemarder les badauds et qu’il découvre, dans les archives de la police, leur présence sur de nombreux lieux de suicides.

La dernière fiction se situe dans un grand hôpital. Tôyama, un stagiaire, est intrigué par l’un des pavillons à l’abandon. Ces camarades, qui le chambrent à cause de son sérieux, se délectent d’une légende urbaine selon laquelle le bâtiment est hanté par une belle jeune femme qui ensorcelle médecins et infirmières qui s’en approchent. C'est plus fort que lui, après une nuit de cauchemar, il pénètre dans le pavillon condamné, et découvre une adolescente qui grave des fleurs sur les murs et au sol d’une chambre, à l’aide d’une cuillère. Le lendemain, il vole son dossier médical et décide de l’aider, ce qui lui coûte son stage, pour son bien d’après son directeur. Contre tous, il poursuit son but. Une nouvelle lorgnant vers le fantastique au lieu de l’horreur, et qui se révèle touchante.

Malgré des histoires aux résumés sympathiques et possédant du potentiel, impossible de frissonner. Et ce ne sont pas les quelques litres d’hémoglobines qui changeront la donne. Les scénarii apparaissent sages, attendus, et ne cachent pas leurs influences flagrantes (Ring [1], Ju-on [2]...). La forme courte ne sied pas à cet auteur, réputé bon scénariste. Difficile d’éprouver de l’empathie pour les personnages et les chutes tombent parfois à plat. Plutôt des récits récréatifs, de petites parenthèses, qui surfent sur des acquis : un dessin sans prétention, mais qui ne cherche pas une forme horrifique par le biais de son encrage ou de déformations ; une mise en scène efficace mais sans éclat ; là aussi, pas de diagonale, pas de plans où la noirceur jaillit entre les cases. C’est propre, trop propre pour effrayer. L’auteur emploie souvent des photos en guise d’arrière-plans ou de lieux particuliers.

Moins inventif et subversif qu’un Junji Ito, moins viscéral et sombre qu’un Kazuo Umezu, Hurlements est un manga d’horreur grand public, proposant finalement quelque chose d'assez proche du conte, mais sans message ni double sens, avec une touche d’humour noir. Masaya Hakazono ne sort pas de ses thèmes de prédilections, à savoir horreur et science-fiction au sein d’un cadre urbain contemporain.


Hurlements demeure dans les standards des débuts de l’édition de Black Box : papier épais, couverture mate, sans jaquette ni rabat, marges intérieures, quelques coquilles mais une traduction claire et certains noirs d'impression trop denses, nuisant à la lisibilité.
Ce recueil, de 216 pages, s’avère un héritier sans saveurs des légendes urbaines nippones qui fleurissent depuis les années 80, dont la plus célèbre représentante par chez nous se nomme Sadako, issue des films Ring.
Une lecture détente pour combler l’ennui. À moins d’être archi fan et de se jeter sur Insomnia, un recueil en deux volumes toujours chez Black Box du même acabit, les autres travaux de Masaya Hakazono vous tendent les bras.


[1] Le film de Hideo Nakata d'après les romans éponymes de Koji Suzuki, sorti en 1998 : le visionnage d'une cassette vidéo entraîne la mort, une semaine après.
[2] Ju-on, une série de six films d'horreur japonais dont le premier sort en 2000, est réalisée par Takashi Shimizu et propose des variations sur la maison hantée.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La touche d'humour
  • Un seul volume
  • Des récits très convenus, sans réelle surprise
  • Un auteur qui ne sort pas de sa zone de confort
  • Impression aux noirs trop denses
À part Franquin, la BD c'est de la merde
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Coucou ! C'est Poncif, je suis avec mon pote Niaiserie, on vient pour découper les auteurs de BD en rondelles !


Tiens, ça fait longtemps que je n'avais pas réagi à une ineptie. Faut dire que j'ai été pas mal pris ces derniers temps et que j'ai pratiqué une salutaire diète des médias. Ne se préoccuper que de fictions en mettant de côté les milliards de conneries que l'on peut voir ou lire sur le net ou à la télévision, ça fait un bien fou.
Et puis, un jour, c'est la boulette. Le click de trop. Et l'on tombe sur un article de LaLibre.be dans lequel un écrivain, Florence Richter, sort quelques énormités et se coupe le doigt en maniant une hache trop lourde pour elle.
Du coup, comme ce dimanche gris et pluvieux incite à côtoyer l'abîme, hop, on plonge dedans.

Alors, qui est-ce, déjà, Florence Richter ? Car vu ce qu'elle assène, avec la tranquille suffisance de l'ignorant ne se rendant pas compte de la portée de ses paroles, c'est peut-être bien de s'intéresser un peu à son parcours. Le site écrivainsbelges.be nous apprend qu'elle est criminologue de formation et qu'elle travaille fait acte de présence dans l'administration. Jusque-là, pas spécialement le CV qui tend à faire croire que la personne est spécialement versée dans le neuvième art. L'on apprend tout de même qu'elle a été éditrice aux éditions La Renaissance du Livre et qu'elle est rédactrice en chef de Lectures, la revue des bibliothèques publiques (belges). En tant qu'auteur, la jeune femme a publié La déesse et le Pingouin, un "conte philosophique où se fécondent mutuellement l'essai et la fiction" selon l'éditeur. Ça va, ce n'est pas trop pédant comme présentation. Outre donc l'hybride fécondé, Florence a aussi publié deux livres consacrés aux auteurs ayant eu des démêlés avec la justice, ce qui lui permet de rapprocher (et féconder ?) ses deux passions : la littérature et les criminels.

Rien de personnel, hein, Flo.
Bon, pas un parcours transcendant donnant une éclatante légitimité pour juger l'ensemble de la bande dessinée et ses auteurs, m'enfin, reconnaissons une fibre littéraire et une implication réelle dans le monde des livres, ce qui devrait inciter, en général, à les respecter un peu.
Ce n'est pourtant pas vraiment le cas au vu des propos de Florence.
Que nous dit-elle exactement ?
Eh bien, qu'à son avis, la BD ne fait pas partie des Beaux-Arts. Sauf Franquin.
Et c'est bien cette exception incongrue qui rend l'avis saugrenu et la sentence ridicule. Voyons cela en détail.

Pour ce qui est du débat stérile "est-ce que tel machin est un art plus grand que tel autre ?", franchement, on s'en bat les organes reproducteurs jusqu'à éjaculation. L'art, quand il est bien pratiqué, il est forcément grand, il est forcément beau, il est forcément universel et essentiel, qu'il repose sur des dessins, des notes de musique ou des mots. Laissons donc l'épineux problème de la classification des supports artistiques aux amateurs de masturbation neuronale et tentons de rester sur le factuel.
Pourquoi diable, selon Florence, Franquin échapperait-il au gros paquetage mental dans lequel elle semble ranger l'ensemble de la production mondiale de BD ? Tout simplement parce que, lui, "il écrit et dessine plus que des histoires, il a créé un univers, mieux : une vision du monde".
Hmm... on parle bien du même, hein ? André Franquin, l'auteur de Gaston Lagaffe ? Le créateur du Marsupilami ? Qui a bossé aussi sur Spirou et Fantasio ? Oui, c'est bien lui.

Mais enfin, Florence, c'est hallucinant de connerie ce que tu racontes là. Franquin serait le seul auteur de BD, dans le monde, a avoir créé un univers ? À pouvoir s'enorgueillir de posséder une "vision" qui lui est propre ?
Sans vouloir faire offense à Franquin, qui n'a rien demandé le pauvre et est sans conteste l'une des grandes figures de la BD franco-belge classique, en quoi serait-il si unique ? Qu'est-ce qui lui permettrait de distancer aussi nettement des artistes tels que Hergé ou Jijé, pour en rester dans les auteurs belges qui ont œuvré avant lui et ont même été ses mentors ?
Et quid du reste de la production mondiale ?
Parce que, des artistes qui ont une vision du monde et ont créé un "univers" leur étant propre, on en connaît quand même un paquet. Qu'est-ce qui pourrait justifier qu'un Franquin (pour qui on a le plus grand respect, encore une fois) soit mis à part, devant des Moore, Thompson, Miller, Smith, Mignola, Talbot, Ennis, Ware, Eisner, Mack... ?
Ben rien. C'est ça le problème.
Peut-être que Florence aime beaucoup Franquin, peut-être même qu'elle ne connaît que lui, mais malheureusement pour elle, le fait d'ignorer tout un pan artistique que l'on se permet de juger ne le fait pas disparaître pour autant.

Voyons un peu maintenant pourquoi Florence aime autant Franquin.
En vrac, la fan de ce bon vieux Gaston nous dit qu'il se bat contre les méchants capitalistes, qu'il est écolo, pas macho, tolérant, "anti-spéciste", bref, en gros, Florence nous explique que Gaston est un bobo gauchiste adepte de toutes les merdes idéologiques à la mode (sans doute pratique-t-il, dans son esprit, l'écriture inclusive), et qu'il incarne à la perfection l'aboutissement intellectuel du mâle post-soixante-huitard moderne.
Mais en fait, Florence, tu écris sous acide ou bien ? Parce que, perso, j'avais toujours vu dans Gaston un type décalé, fainéant, naïf, gentiment bébête, rêveur et passionné de cuisine et de musique, mais certainement pas le personnage décrit à travers des lunettes trop contemporaines et subjectives pour pouvoir se fier à leur effet de grossissement sélectif.
Tout cela se termine par une défense maladroite de l'adaptation cinéma sortie récemment et condamnée par la propre fille de l'illustre auteur, Isabelle Franquin. Cette dernière a évoqué un "désastre" et a regretté de n'avoir rien pu empêcher malgré son droit de regard (cf. cet article du Figaro).

Je ne sais pas du tout ce qu'a voulu faire Florence – défendre un auteur, un film, parler d'art en général, montrer sa connaissance de la BD – mais en tout cas, c'est raté.
Font chier ces connards avec leur art mineur !
Elle dit au début de l'article : "je dois être bête, bornée, ringarde, complexée, élitiste..."
Certainement, oui. Mais là n'est pas le problème. Enfin, si, être bête est un problème. Mais l'on peut être borné, ringard, complexé et élitiste tout en défendant un point de vue avec intelligence. Ici, ce n'est pas le cas, tout simplement parce que les éléments évoqués pour censément démontrer la supériorité de Franquin sur l'ensemble des autres auteurs de BD, dans le monde et à travers le temps, ne sont évidemment pas de taille à soutenir le propos.

Évidemment, les gens peuvent proférer des âneries. C'est même la fonction première de la plupart des gens. Mais quand c'est un auteur, travaillant en plus dans le domaine de l'édition, qui se permet de faire des généralités absurdes sur un pan du secteur qu'il se devrait de comprendre et connaître, là, c'est quelque peu inquiétant.
Florence dit aussi dans sa chronique que, tout comme la BD, la "chanson" ne peut être rangée dans la catégorie – apparemment prestigieuse – des Beaux-Arts. C'est là tout le problème de ce raisonnement biaisé : les chansons, tout comme les BD, sont trop nombreuses pour que l'on puisse les juger en bloc. Peut-être qu'effectivement je ne rangerais pas La Merguez Party ou Tu veux mon Zizi ? dans les Arts Majeurs, cela n'empêche pas des titres comme Sultans of SwingChild in Time ou Another Brick in the Wall d'en faire, à mon sens, partie. 
L'idiotie de la position de Florence vient du fait qu'elle juge le contenant (et en l'occurrence un contenant qu'elle connaît visiblement mal) en évoquant le contenu, et un contenu très limité. Pour faire une analogie simple, c'est un peu comme si je vous disais qu'une bouteille ce n'est pas très pratique parce que je n'aime pas le cidre. 
Ça a l'air con, hein ?
C'est parce que ça l'est.

Les méandres de la Pensée sont comme certaines ruelles, l'on y rencontre des Monstres qu'il faut parfois combattre.

UMAC's Digest #47
Par
Les sélections UMAC dans l'actu de la pop culture




 -- RÉALITÉ VIRTUELLE --

Plus de 500 millions de dollars de recette à l'heure où nous écrivons ces lignes, un retour critique et public dithyrambique, et des spectateurs de tous âges conquis par Ready Player One, dernier long-métrage de Steven Spielberg. Très surprenant pour un film qui est, certes, très divertissant et original dans son concept (dans un futur proche, le monde entier se réfugie dans un jeu virtuel) mais totalement prévisible par son scénario (un jeune homme découvre des clés/artefacts secrets laissés par le créateur du jeu et sauve les participants d'une affreuse entreprise capitaliste qui souhaite aussi récupérer le trésor promis par le même créateur, mort depuis plusieurs années).
Pire encore : un manque cruel d'émotion, d'attachement aux personnages et de surprises. Comme beaucoup trop de blockbusters actuels, "on passe un bon moment, c'est sympa mais... sans plus". Les nombreuses références gratuites à la culture populaire des années 80 ne servent pas à grand-chose, à l'exception de la séquence "Shining 2.0" qui revisite le classique de Kubrick d'une élégante façon. Jouissif pour les cinéphiles. Tout le reste est, malheureusement, vite oublié…
#AutantRebrancherSonPropreCasqueVR





-- RÉALISATEUR INTERSTELLAIRE --

Toujours dans le domaine du cinéma, un ouvrage à signaler : Christopher Nolan, la possibilité d'un monde de Timothée Gérardin. Il s'agit de l'analyse du parcours d'un metteur en scène talentueux qui s'est frayé un chemin hors-norme à Hollywood, garant systématique de rentabilité économique et conservant la carte blanche artistique si précieuse et rare dans le milieu.
En trois partie (Le labyrinthe des subjectivités, Le maître des illusions et Humains après tout), le livre dresse un portrait passionnant du réalisateur anglo-américain et de ses thématiques habituelles. L'essai revient évidemment sur les dix films réalisés par Nolan en vingt ans de carrière : Following, Memento, Insomnia, Batman Begins, Le Prestige, The Dark Knight, Inception, The Dark Knight Rises, Interstellar et Dunkerque (évoqué dans cet article). La moitié au minimum peuvent être considérés comme des chefs-d'œuvre du septième art (on peut juste reprocher une certaine froideur dans la plupart des métrages). Christopher Nolan, la possibilité d'un monde est le onzième livre de la collection EdPS de Playlist Society, spécialisé dans les ouvrages sur le cinéma et les séries. Saluons le travail éditorial de qualité pour l'éditeur né il y a quatre ans et qui se fait une place petit à petit dans le milieu en proposant de « beaux livres » à prix correct (14€). À noter que le 12 mai prochain, Christopher Nolan présentera une copie 70 mm restaurée à partir du négatif original de 2001, l'Odyssée de l'Espace, de Stanley Kubrick (encore !), pour les 50 ans du film et à l'occasion du Festival de Cannes. Il animera une master class le lendemain sur sa propre filmographie et sa passion pour Kubrick.
#IncontournablePourLesFans




-- CIVIL WAR --

Autre livre indispensable pour les fans de comics cette fois-ci : Super-War, Marvel versus DC Comics de Reed Tucker aux éditions Fantask (25€).
Comme son nom l'indique, c'est un véritable documentaire sur la « guerre » informelle entre les deux plus gros éditeurs américains : Marvel et DC Comics. Ou comment le premier a réussi à innover et dépasser le second, leader sur le marché pendant un temps mais trop conservateur par la suite.
C'est écrit sans langue de bois, dans un style vif et soutenu, et c'est évidemment extrêmement passionnant ! Sourcé et contextualisé, l'épais ouvrage (500 pages) est déjà une référence dans le domaine. De nombreux grands noms des comics témoignent et enrichissent le travail de l'auteur, comme Neal Adams, Chris Claremont, Denny O'Neil, etc. Un ouvrage qui donne envie malgré quelques lourdeur au niveau du style dans la VF.
#MeilleursEnnemis



-- DONJONS & DRAGONS --

Une biographie en bande dessinée, en noir et blanc, de Gary Gygax, co-créateur du mythique jeu de rôle Donjons & Dragons. Voilà ce que propose Glénat dans L'Éveil du Maître du Donjon, livre d'environ 150 pages.
Nul besoin d'être joueur pour apprécier cette histoire puisque son intérêt est double : par son intrigué tirée de faits réels bien sûr (de la matrice de D&D à son essor populaire, jusqu'à son héritage culturel ou les déclinaisons assumées en jeux de cartes et jeux vidéo, en passant par la disparition d'un joueur adolescent...) et par sa composition originale. Le livre est en effet découpé en neuf chapitres, chacun du point de vue de Gary Gygax ou d'une personne ayant gravité autour de lui (dont par exemple Dave Arneson, l'autre concepteur du jeu, et William Dead, détective privé). Tous proposent donc une subjectivité intéressante pour reconstruire un parcours factuel passionnant. On y apprend beaucoup de choses sur l'envers du décor. David Kushner signe, avec brio, ce récit qui se lit d'une traite et bénéficie d'une approche d'une fluidité étonnante rappelant les fondamentaux du JdR. Koren Shadmi, de son côté, croque les personnages avec un certain réalisme manquant un peu d'énergie tout de même. Une postface de François Marcela-Froideval, figure française marquante dans le milieu, conclut l'ouvrage un poil onéreux (17,50€).
#HistoiredeD




-- BATMAN & FLASH DANS WATCHMEN --

On en parlait avec beaucoup d'enthousiasme il y a quelques mois (cf. cet article) quand DC Comics a décidé de faire cohabiter l'univers de Watchmen avec celui des super-héros DC classiques grâce au nouveau relaunch : DC Universe Rebirth. L'éditeur poursuit cette confrontation inédite à travers la mini-série Le Badge (The Button en VO) qui regroupe deux chapitres de la série Batman Rebirth et deux de Flash Rebirth.
Au programme : le fameux « badge » du Comédien, le retour de Néga-Flash, Thomas Wayne en Batman et des voyages dans le temps et les dimensions pour comprendre ce qui est en train de se passer. Assez confus pour les non-initiés (logique) mais passionnant pour les connaisseurs, ce one-shot est surtout une introduction à la gigantesque série Doomsday Clock prévue en douze chapitre qui verra (enfin !) les Gardiens et les super-héros DC se rencontrer. Quatre épisodes sont sortis aux États-Unis et on a hâte de découvrir l'intégrale en France car le début est très prometteur !
Une critique plus détaillée concernant Le Badge est disponible sur le site de Thomas.
#OpérationManhattanVol2



-- ET 4 DE PLUS ! --

Avec le printemps, de nouveaux éditeurs apparaissent sur le marché de la bande dessinée et plus spécifiquement celui du manga et des œuvres qui embrassent leur format, codes graphiques et autres particularités. D’autres développent cette branche de leur catalogue. De quoi encore diversifier l'offre, faire écrouler les étagères des libraires et remplir vos bibliothèques... gare à l'inDigestion !
ChattoChatto 
Créé début 2018, ChattoChatto a pour vocation de faire découvrir de nouveaux talents, au-delà des frontières. La première bande dessinée annoncée pour juillet 2018 s’avère un webcomic réputé de Shilin Huang, une Canadienne d’origine chinoise, Carciphona. Une série d’aventure, toujours en cours de parution.
Site / FB / le webcomic
Michel Lafon x Shibuya Productions
Les deux entreprises ont annoncé leur association, le 24 février lors du festival MAGIC à Monaco, pour se lancer dans le manga. Michel Lafon a déjà sorti un titre estampillé manga, Ki & Hi, du vidéaste sur Youtube le Rire Jaune. Les premières bandes dessinées publiées seront celles qui auront remporté le concours de manga réalisé par le festival.
Site / FB
Vega
Vega est une nouvelle collection, dédiée au manga, du groupe Steinkis (Jungle, Warum... Atlantic était leur branche comics) en association avec Nexusbook à laquelle appartient Stéphane Ferrand, ex-directeur de collection des éditions Glénat Manga de 2007 à 2015, ancien rédacteur-chef du magazine Virus Manga et commissaire de l’exposition Fairy Tail au Festival d’Angoulême 2018. L’annonce des nouveautés se fera durant le printemps.
Site / FB
Mana book
Mana book, spécialisé dans les livres en rapport avec le monde du jeu vidéo, se met au manga avec Final Fantasy : Lost Stranger de Hazuki Minase et Itsuki Kameya qui sortira le 5 avril 2018.
Site / FB




-- EN VRAC --

Quelques sorties récentes à évoquer, comme le second tome de King of Eden, qui nous a davantage convaincu que le premier, sorti en début d'année, mais qui n'est pas non plus extraordinaire. L'histoire gagne en profondeur et s'assume davantage mais l'ensemble reste peu passionnant. On abandonne…

En DVD et Blu-Ray, le très segmentant Star Wars - Les Derniers Jedi offre une relecture du film (à voir à la suite du Réveil de la Force pour mieux l'apprécier) et, surtout, plusieurs bonus intéressants : commentaire du réalisateur Rian Johnson, making-of, divers documentaires… dont un de plus d'une heure et demie qui montre l'incroyable travail sur les décors, les animatronics, la logistique, le tout entrecoupés d'interviews. Fascinant. Et l'on a droit aussi à 17 scènes coupées ! Soit près de 25 minutes de contenu inédit supplémentaire. On apprécie particulièrement une version longue de la fuite du casino, un autre test entre Rey et Luke, une séquence allongée de l'infiltration de Finn et Rose chez l'ennemi, ou encore un plan avec une jolie transition entre Luke et Leia.
Ce huitième épisode a continué de diviser les fans avec le temps malgré son beau succès au box-office avec plus de 1,3 milliards de dollars de recettes (c'est plus que Rogue One et son milliard tout juste franchi mais nettement moins que Le Réveil de la Force qui avait carrément dépassé les deux milliards !). De quoi reprendre une bonne dose de Star Wars avant le film Solo, centré sur le célèbre contrebandier, qui arrive le 23 mai.

Le même jour sortira également en salle Mutafukaz (avec Orelsan et Gringe au doublage), adaptation animée de l'excellente bande dessinée éponyme qui ressort le 4 mai en édition intégrale, dans une superbe version augmentée et définitive (rassemblant les 6 tomes de la série). Ankama publie ce pavé de près de 600 pages (34,90€) sous son label 619, géré par Guillaume Renard, plus connu sous le pseudonyme de Run, qui est justement l'auteur et dessinateur de Mutafukaz mais aussi le co-réalisateur (avec Shoujirou Nishimi) du film d'animation ! On a hâte de voir ce thriller urbain déjanté au cinéma et de le (re)découvrir dans cette belle édition.


Je suis Pilgrim
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Je suis Pilgrim mérite bien les louanges qui l'ont accompagné depuis sa sortie et devrait donner lieu à une adaptation cinématographique assez incroyable, surtout si James Gray est aux manettes. 

Évidemment, tout n'est pas parfait : le style manque de tenue et se repose sur l'efficacité avant tout, ainsi que la pertinence des remarques, l'acuité des détails et la variété inouïe des décors. C'est un peu comme si on avait Homeland traité à la manière d'un Jason Bourne - mais sans les pugilats - et avec l'âpreté et la frénésie d'un 24h chrono. Ces références ne sont pas anodines car l'auteur, Terry Hayes, est avant tout connu pour ses scénarios de film (Mad Max 2, Payback et surtout From Hell) et ceci est son premier roman. Un travail de longue haleine a certainement été nécessaire pour réunir dans ces 600 pages autant d'éléments narratifs. 

Une réussite, donc, et ce malgré un découpage très proche des thrillers modernes (des mini-chapitres de deux-trois pages se terminant inlassablement par une révélation ou un happening), de nombreux allers et retours dans le temps (tant dans le passé du narrateur que dans celui de l'homme qu'il poursuit) et de trop nombreuses coquilles parsemant l'édition française de J.C. Lattès qui auraient pu faire sortir le lecteur moyen de la trame du récit. Heureusement, on ne peut décemment pas quitter la lecture de ce pavé d'une densité hallucinante, rédigé à la première personne, reprenant le rythme et le découpage d'un bon épisode de série TV, multipliant les indices, les lieux et les noms sans jamais nous perdre grâce à une construction méticuleuse.

Comme dirait Salieri dans Amadeus, au début c'est simple, presque comique : une équipe de la police de New York vient enquêter sur un crime dans un hôtel de seconde zone ; le commissaire, un certain Bradley, fait appel à l'une de ses relations, ancien agent secret reconverti dans la littérature d'investigation, car la victime n'est pas identifiable - et le tueur l'est encore moins. Lorsque l'ex-espion (le "Pilgrim" du titre, le narrateur du livre) comprend que le meurtre a été perpétré en utilisant les méthodes décrites dans son livre, il sait qu'il a mis le doigt dans un engrenage infernal, sur la piste d'un tueur dangereux car méthodique et intelligent. Mais ce problème-là devra attendre car un autre individu entre en scène : le Sarrasin, nom de code donné à un Musulman radical ayant décidé de frapper "l'ennemi éloigné" (les États-Unis) en plein cœur grâce aux recherches médicales qu'il a entreprises. Un péril planétaire est sur le point d'éclater, et Pilgrim est la dernière arme dont les services secrets puissent user pour l'en empêcher. Mais comment retrouver la trace d'un fanatique patient et rusé qui s'était naguère illustré dans les rangs des moudjahidin et dont personne ne connaît le nom ou le visage ?

Le suspense est total : malgré des ficelles archi-connues (Hayes aime souvent jouer avec l'anticipation, annonçant les réussites et les échecs plusieurs chapitres avant, semant des détails qui ne deviendront révélateurs que 300 pages plus tard), impossible de résister aux sirènes de cette enquête protéiforme où le passé douteux de l'un se mêle au passé énigmatique de l'autre, où les ressources et la technologie se heurtent à l'acharnement, la foi et la détermination à accomplir la tâche qui leur est due. Par le biais de son personnage très moderne (car très solitaire, rêvant de la quiétude illusoire d'une vie de famille qu'il n'aura jamais), l'écrivain et scénariste britannique nous gratifie d'une tendance épidermique à jeter un regard acerbe sur les populations et régimes du monde entier, se mettant parfaitement dans la peau d'un super-espion américain revenu de tout : les états islamiques en prennent pour leur grade, le narrateur ne cessant de mettre en lumière les contradictions internes de leurs sociétés systématiquement corrompues, mais l'aveuglement et le laxisme de l'Union Européenne ne sont pas mieux lotis, non plus que l'impensable fiasco des services secrets américains au moment du 11 Septembre.
Et des pays, il y en a dans Je suis Pilgrim, à croire que ça a été écrit pour un James Bond ou un Mission : Impossible : si la Turquie et l'Afghanistan y ont une place de choix, on ira au gré de l'histoire de chacun des protagonistes tant à Berlin qu'à Karlsruhe, tant en Alsace qu'à Paris, tant dans la bande de Gaza qu'au Bahreïn ou en Syrie, sans parler de MoscouLondres, New York et Washington. Pourtant, point de morgue souveraine ou de complexe de supériorité chez cet ancien des hautes sphères de l'espionnage, on admet assez aisément qu'il s'agit du point de vue vaguement blasé d'un homme ayant observé le monde sous son aspect le plus sombre, des prisons secrètes de la CIA où la torture est de mise aux débordements financiers des oligarques des pays de l'Est (annonçant l'Affaire Daphné à Malte), Pilgrim, l'homme aux mille identités, est revenu de tout, mais ne sait pas comment planifier son avenir ou gérer les rares traces émotionnelles de son passé. Seuls le rock'n roll et la douceur de vivre parisienne trouvent grâce à ses yeux endoloris par tant de cruautés et de bassesses, la vilenie dont sont capables la plupart des hommes qu'il a croisés.


Outre cette dissection amère de notre monde contemporain rongé par les attentats, on remarquera très vite que l'autre point fort du roman réside dans les personnages. Car dans chaque contrée inhospitalière où l'État de droit n'est qu'une façade (la Turquie et l'Arabie Saoudite en tête), si certains potentats et petits chefs se voient décrits comme des caricatures de vaniteux incapables, d'autres s'illustrent par leur piété, leur sens du devoir, leur engagement ou leur courage et ce, de quelque côté de la Loi qu'ils se trouvent : s'il n'est pas difficile de voir des héros chez ce commissaire de police new-yorkais intègre, ce hacker américain amateur de culture nippone ou ce médecin australien alcoolique, on s'aperçoit que l'auteur ne cache pas non plus son admiration pour le Sarrasin, ce pieux musulman dévoué à sa tâche consistant à éradiquer le peuple américain, ou pour ce mystérieux tueur d'un motel miteux de Manhattan, dont le génie indiscutable viendra plusieurs fois perturber la pointilleuse enquête de Pilgrim. En prenant ces êtres singuliers comme les deux faces d'une même pièce, Hayes rejoint des œuvres comme Homeland ou Fauda qui invitent à condamner les actes mais pas les motivations de ces hommes et femmes que la vie a placés sur une mauvaise pente.
Redoutablement addictif.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un tempo implacable.
  • Une course contre-la-montre précédée d'enquêtes méticuleuses et d'une préparation d'attentat dont la minutie fait froid dans le dos.
  • Une plongée en apnée au cœur des services secrets.
  • Une multitude de lieux exotiques (la Place rouge, les ruines antiques de Bodrum), où le charme dissimule des ombres menaçantes.
  • Des personnages fascinants.
  • Une construction parfaitement lisible malgré les multiples retours en arrière dans l'histoire des protagonistes.
  • Quelques punchlines pertinentes.

  • Des coquilles inexcusables dans l'édition française.
  • Une traductrice qui a fait le job mais manqué quelques références culturelles importantes (la référence à Overlook devrait pointer vers Shining et pas vers un simple jeu de mots).
  • Un rythme un peu trop imposé par les happenings, très télévisuel.
  • Des remarques brutales sur les pratiques de certains peuples et États, qui peuvent déstabiliser par leur ton.
I Kill Giants
Par

Réédition, le mois prochain, d'un chef-d'œuvre de la bande dessinée : I Kill Giants.

Barbara est une petite fille intelligente, débrouillarde, imaginative et quelque peu cynique. À l'école, elle est cependant isolée et réputée... "tarée". En effet, Barbara n'a pas d'amis, il lui arrive de parler toute seule, et elle prétend combattre des géants.
Mais quelque chose ne tourne pas rond dans la vie de la fillette. Au point que celle-ci, pour se protéger, a dû en arriver à s'inventer des aventures fantastiques. Même la psychologue de l'école ne parvient pas à franchir la muraille dont Barbara s'est entourée. Un jour, pourtant, Barbara se lie d'amitié avec une nouvelle, Sophia. Mais toutes les deux vont devoir faire face à Taylor, une fille qui les harcèle, les menace, les vole. Une fille bien plus grande et lourde qu'elles. Un... géant en quelque sorte. Du genre de ceux que l'on combat parfois, dans la vraie vie.

Cette BD, sortie chez Image aux États-Unis, avait déjà été publiée en VF il y a quelques années chez Quadrants, filiale de Soleil. L'ouvrage sera réédité, en mai, par Hi Comics qui tient là son premier gros "hit". Du genre qui se classe facilement dans le top 10 des meilleurs comics de tous les temps.
Le scénario est signé Joe Kelly, les dessins, en niveaux de gris, sont de J.M. Ken Niimura. Les deux artistes réalisent une prestation exceptionnelle, sur un sujet lourd qu'ils parviennent à magnifier.
Voyons cela plus en détail.


Sans trop en révéler, disons que la thématique est clairement adulte et grave. Elle est cependant traitée avec finesse et tact par un Kelly qui, si on les voit un peu arriver, maîtrise parfaitement ses effets. Les personnages sont profonds, "justes" et attachants, Barbara en tête. Tous les seconds rôles sont d'ailleurs parfaitement campés, de la psy à la grande sœur, en passant par Sophia ou Taylor.
La narration, rythmée et efficace, est un exemple de savoir-faire. Quant à la métaphore, teintée de fantastique et de merveilleux, elle est d'une intelligence remarquable.
L'aspect graphique est également très réussi. Les visages sont expressifs, les scènes "coups de poing" frappent là où ça fait mal, et certaines planches sont carrément impressionnantes.

La conclusion est dure, d'une tristesse infinie, mais également belle et pleine d'optimisme. Le lecteur passe d'une émotion à l'autre, tour à tour amusé, intrigué ou ému aux larmes, et finit lessivé et fébrile. Heureux en tout cas d'avoir passé un moment magique que seul le papier peut procurer, pour peu qu'il soit enchanté par des plumes et des crayons suffisamment habiles.
I Kill Giants fait partie de ses œuvres magistrales qui, tout en étant divertissantes et d'un abord facile, parviennent à toucher à l'universalité et à vous remuer autant les tripes que les méninges.
Le tout est complété par des bonus comprenant une galerie d'illustrations et une partie "coulisses", dans laquelle les deux auteurs évoquent leur travail.

Magnifique. Bouleversant. Indispensable.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La thématique, dure mais parfaitement traitée.
  • Les personnages, touchants et crédibles.
  • La puissance des dessins.
  • Les bonus.

  • RAS.
Defendor : seul vrai bon film de super-héros ?
Par


Ce que Kick-Ass promettait, Defendor vous le donne et le sublime. Il y en a même un peu plus, on vous le met quand même !

Arthur Poppington est un type un peu naïf, profondément honnête, qui a un job inintéressant. Quelqu'un de banal en somme, qui ne se fait pas remarquer. Mais le soir venu, Arthur change du tout au tout et devient Defendor.
Sa quête à lui consiste à enfin mettre la main sur le terrible Captain Industry, qu'il juge responsable du trafic de drogue et de la criminalité galopante. Pour cela, il a quelques gadgets très limités, un certain aplomb et sa folle détermination.
Seulement voilà, les rues sont peuplées de vrais criminels. Et bien involontairement, Arthur va devenir une menace pour certains caïds et autres ripoux. Accompagné d'une prostituée à qui il a porté secours et qui, dans un premier temps, tente de profiter de sa gentillesse, Defendor va prendre quelques raclées mais aussi gagner une vraie popularité auprès des habitants.
Jusqu'à ce que la justice s'en mêle. Jusqu'à ce qu'un mafieux décide de l'éliminer pour de bon.
Et dans la vraie vie, on le sait bien, les balles font infiniment plus mal que dans les comics.

Oh putain que c'est jouissif de voir un film aussi bon ! Et que c'est triste de le voir sous-exploité, tant en France qu'aux États-Unis. Très peu de salles à l'époque en Amérique du Nord et du Direct-to-Video en Europe, ça donne envie de se flinguer... surtout quand on voit le succès des adaptations actuelles, sorte de soupes tiédasses pour amateurs d'encapés décérébrés.
Enfin, bref. Alors, Defendor c'est quoi ? Ben, je serais un peu tenté de dire que c'est Kick-Ass (le film) mais avec des idées et de l'émotion. Le film est réalisé par Peter Stebbings qui signe également le scénario. Le gars est quasiment inconnu (mis à part des apparitions en tant qu'acteur dans diverses séries TV) mais sacrément doué. Le personnage d'Arthur, magnifiquement interprété par un Woody Harrelson au top, est écrit avec beaucoup de finesse et de sensibilité. L'homme, souffrant de traumatismes profonds, navigue entre névroses et une bonté maladroite qui se révèle réellement touchante. Son passé est peu à peu dévoilé, sans jamais tomber dans le larmoyant. Et même si l'aspect dramatique de l'histoire est essentiel, avec des passages particulièrement éprouvants, l'humour est bel et bien présent tout au long du film. C'est sans doute d'ailleurs la principale qualité de ce long métrage : n'être ni une comédie, ni un drame, ni un film d'action, mais posséder les qualités inhérentes à tous ces genres.


Voilà sans conteste le meilleur film de super-héros réalisé jusqu'à présent. Car il ne s'embarrasse pas de codes à la con destinés à plaire à tous - donc, souvent, à personne - et parvient en plus à évoquer un sujet réputé difficile et peu crédible avec une force et une délicatesse peu communes.
Sans pouvoirs, sans costumes à l'esthétique étudiée, Defendor traite de l'essentiel. L'abnégation, l'amour véritable, le sens du devoir, le courage... des valeurs au centre du super-héroïsme et abordées ici avec un côté brut et tranché qui sent bon l'enfance. Cette thématique est d'ailleurs constamment présente : Arthur est un enfant abandonné, Kat est une enfant à qui l'on a volé son innocence, même le meilleur ami d'Arthur veille sur lui à cause d'un enfant qu'il a sauvé. La réflexion sociale, voire politique, n'est pas en reste puisque la mission la plus "facile" de Defendor sera aussi celle qui lui vaudra le plus d'ennuis avec les représentants de la loi et qui l'empêchera, pour un temps, d'être lui-même. Ce qui permettra également quelques interrogations fondamentales que même la psychologue mandatée par la justice ne pourra résoudre.

Au final, à l'aide de bouts de scotch, d'abeilles et de billes (véridique !), Defendor aura plus fait contre les criminels que beaucoup de "véritables" justiciers. Surtout, il aura agi sans filet et dans notre dimension. Se faisant, il rend hommage non aux demi-dieux bardés de pouvoirs, mais bien aux individus qui, à leur échelle, tentent de s'élever contre l'injustice et l'ignominie.
Naïf ? Peut-être...
Beau ? Assurément !

Un vrai bon film, émouvant et drôle, se permettant le luxe de n'être ni trop démonstratif ni trop bien pensant. L'un des rares longs-métrages, avec l'adaptation de Watchmen, à traiter de la thématique des encapés sans se plier à des recettes fadasses et ennuyeuses. 
Du divertissement intelligent. Une pépite rare.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un mélange parfait d'humour, d'action et d'émotion.
  • Un casting excellent.
  • La thématique super-héroïque traitée de manière réaliste.
  • Profond et divertissant.
  • Les nombreux niveaux de lecture et d'interprétation. 

  • RAS en ce qui concerne le film en lui-même, par contre il faut signaler sa sous-exploitation scandaleuse au regard de sa qualité. Mais bon, quand on est habitué à boire de la pisse, c'est vrai que le lait à la fraise, ça doit déstabiliser. 
Animation et dédicaces spécial Lovecraft
Par

Un petit mot pour vous parler du prochain évènement organisé par la librairie Hisler à Thionville (Moselle), le samedi 21 avril (de 14h à 18h).
La thématique tournera autour de Lovecraft et du mythe de Cthulhu. J'aurai le plaisir d'être présent et de dédicacer le recueil de nouvelles Sur les traces de Lovecraft (dans lequel je signe Retour au Wewelsburg), ainsi que Le Sang des Héros et The Gutter. Je serai en compagnie de Christophe Thill, auteur du Guide Lovecraft, et du collectif Phylactères (L'Innommable Illustré).
Des jeux et animations, placés sous le signe des Grands Anciens, sont prévus !
Si vous voulez frissonner, vous amuser, dénicher quelques bons bouquins ou simplement nous faire un petit coucou, n'hésitez pas à passer.
Et n'oubliez pas... Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !



La photographe
Par
Clic-clac, dans la boite. Une fleur de cerisier, une ruelle méconnue au charme nostalgique dissimulée entre deux immeubles, des reflets sur l’eau, des demeures d’écrivains célèbres... La voleuse d’images, Ayumi Yumeji, capture les instants qui se présentent à elle grâce à son appareil argentique soviétique, un Kiev. Passionnée par son nouveau loisir, la photographe débutante — élève au club du lycée — sillonne Tokyo dans ces recoins les plus insolites et intimes, se perfectionnant par la même occasion.

Ce manga singulier de Kenichi Kiriki se découpe en très courts chapitres, d’environ quatre pages, dédiés à un parcours au cœur de la mégalopole. Un gros plan sur l’héroïne introduit chaque récit. L’ensemble se conclut parfois sur quelques remarques autour du thème traité (le marché des raquettes hagoita...), ou du quartier visité avec une carte des endroits intéressants, dont des demeures d’écrivains célèbres, tels que Roka Tokutoni [1] ou Higuchi Ichiyô [2]. La lycéenne déambule souvent seule pour fixer anecdote, tranche de vie et tradition, entrecoupée de quelques réflexions sur le temps qui passe, les lieux qui se métamorphosent (la construction du Tokyo Skytree [3]). La flânerie aborde tous les aspects de la ville complexe qu’est Tokyo. L’amour de la capitale y transparait : les trajets résultent des rencontres et des promenades que l’auteur lui-même a faites.
L’évolution d’Ayumi et ses proches apparait par petites touches. Ainsi, Tamaki, son camarade de club, adore photographier des trains, une sortie est prétexte à l’achat d’un appareil bi-objectif... À partir du second volume, un concours se profile et quelques explorations ont lieu en dehors de la capitale (Takarazuka et son passé d’avant-garde photographique, le musée Tezuka). Au sein de cette tranquillité se trouve un étonnant chapitre dans lequel une jeune fille, Madoka, chute. Un homme vient sans gène immortaliser, avec son boitier, sa culotte...

Publié au Japon depuis 2012, puis en France, grâce à Komikku en 2015, La photographe est un manga en trois volumes, toujours en cours de parution. En grand format, sans jaquette, il conserve le sens de lecture japonais. Cette bande dessinée se place à la croisée d’un journal de bord, un guide touriste et un carnet de voyage. La préface des traducteurs éclaire sur les particularités de Tokyo, la manière toute japonaise de visiter et d’aborder les lieux. Le manga contient des pages de notes, vierges, pour les lecteurs qui aimeraient à leur tour y consigner leurs explorations. De temps en temps, des conseils et considérations sur la technique de la prise de vue interrogent sur notre rapport à l’image. Qu’est-ce qu’une photo réussie ? Le prix qu’on met dans l’appareil ? L’angle, la chambre noire ? La jeune Ayumi avoue que : « le travail sous l’agrandisseur est comme la création d’un tableau à la main. » Les boitiers argentiques et numériques sont présentés succinctement avec leurs qualités et défauts respectifs, et ce que l’on peut attendre de chacun. Des questions intéressantes sur l’art et la perception ouvrent la voie à une réflexion plus profonde sur l’utilité de la retranscription fidèle de la réalité, thème abordé par Walter Benjamin dans son essai  L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique au début du XXe siècle, toujours d'actualité.

Hélas, une impression de survol des sujets, des lieux, de la contemplation dû à de trop courts chapitres empêche une immersion complète. Par moment, le ton dégouline un peu trop de bons sentiments. Les récits apparaissent inégaux. La traduction agréable n’omet pas quelques menues imprécisions [4].

L'un des points forts demeure le graphisme semi-réaliste de Kenichi Kiriki qui dégage beaucoup de douceur, évoquant les premières séquences du manga Mai, the psychic girl, illustré par Ryoichi Ikegami. Les personnages ont un trait marqué, désuet. Les décors sont fins et détaillés. Des trames apportent textures et matières. Très japonais, de multiples motifs poétiques, romantiques et mélancoliques de feuilles, pétales et papillons, emplissent l’atmosphère. L’auteur n’emploie pas d’ombres fortes. Les dessins débordent des cadres, engloutissant les marges.

La photographe est un charmant manga à classer entre les ouvrages de Florent Chavouet, de Nicolas Bouvier et les déambulations de Jirô Taniguchi. Une ode à la découverte, tout en douceur et tranquillité, et une romance discrète. Un livre tout public pour les amoureux et les curieux d’un Tokyo différent de l’idée que l'on se fait de la mégalopole tentaculaire.

[1] Roka Tokutoni est le nom de plume de Kenjirō Tokutomi, un écrivain japonais des ères Meiji et Taishô, influencé par Léon Tolstoï.
[2] Higuchi Ichiyô est le nom de plume de l’écrivain japonais Higuchi Natsu, décédée à l’âge de 24 ans, et qui laissa quelques récits sur les conditions de vie difficiles des femmes nippones.
[3] Tokyo Skytree : tour de radiodiffusion, située dans l’arrondissement Sumida de Tokyo, inaugurée en 2012. Elle mesure 634 mètres ; c’est la deuxième plus haute structure autoportante du monde. Gris-bleu, elle renvoie au tapis la célèbre tour rouge et blanche de Tokyo avec ces 332,6 mètres de haut.
[4] Par exemple, Edogawa Ranpo a-t-il déménagé 46 ou 48 fois (chap 9, vol 01) ?

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des dessins très agréables, dans une édition grand format.
  • La photographie et les réflexions qu'elle engendre.
  • Un tas de petites informations pour découvrir Tokyo.

  • Du pinaillages sur des détails : la culotte, les petites imprécisions...
  • Récits au déroulement trop rapide.
La Parenthèse de Virgul #10
Par

Un maximum de badass et de flingues au sommaire de cette parenthèse puisque l'on évoque deux séries franchement musclées, The Shield et Sons of Anarchy !
Gratouillous les matous !

Flics & bikers
Il existe de nombreux points communs entre les séries TV The Shield et Sons of Anarchy. Bien entendu, il s'agit de deux séries policières très dures, à l'ambiance sombre. Elles ont toutes deux été diffusées sur FX aux États-Unis et comptent chacune 7 saisons. Le créateur de SoA, Kurt Sutter, a fait partie des scénaristes de The Shield, créée par Shawn Ryan. Et deux des réalisateurs s'étant succédés au fil des nombreux épisodes de ces sagas, Guy Ferland et Bill Gierhart, ont œuvré sur les deux titres.
Pas étonnant donc que l'atmosphère tendue, la réalisation nerveuse et le style d'écriture habile, accumulant les scènes choc, se retrouvent dans les deux récits. Mais c'est loin d'être tout.
En effet, si certains éléments fictifs sont communs aux deux histoires, comme le gang des One-Niners (ou "Niners"), ce sont surtout les acteurs qui, en faisant des apparitions dans SoA, seront autant de clins d'œil à The Shield. L'on peut citer, entre autres, Kenneth Johnson (Lemansky dans The Shield, Kozik dans SoA), Jay Karnes (Dutch Wagenbach dans The Shield, Josh Kohn dans SoA) ou encore Kurt Sutter lui-même (Margos Dezerian/Otto Delaney). L'on verra également David Rees Snell (Ronnie Gardocki dans The Shield) faire une apparition dans SoA, tout comme Benito Martinez (alias David Aceveda).
Les scénaristes ont aussi glissé ici et là de discrètes références. Ainsi, dans la saison 4 de SoA, alors que Juice est dans sa cellule, l'on peut voir un épisode de The Shield diffusé à la télévision. Ultime clin d'œil, aussi douloureux que bien vu : Michael Chiklis, inoubliable Vic Mackey dans The Shield, fait une apparition au volant d'un camion dans la dramatique scène finale de SoA.
Enfin, il reste encore à citer le destin tragique des deux anti-héros au centre de ces histoires. Vic Mackey, flic bourru, aux méthodes pour le moins borderline, et Jax Teller, criminel en quête de rédemption à la tête d'un gang de motards. Les deux personnages, bien qu'agissant parfois de manière très violente, sont largement humanisés par les auteurs qui dévoilent leurs questionnements, leur vie familiale, leurs espoirs et émotions, et, au final, leur perdition.
Voilà donc deux séries incontournables et pouvant facilement s'enchaîner l'une après l'autre, d'autant qu'elles ont aussi en commun une très bonne bande son. Citons par exemple l'hallucinant final de la saison 2 de The Shield, sur l'envoutant Overcome de Live, ou le terrible et crépusculaire Come Join the Murder, de The White Buffalo, la puissante voix de Jake Smith venant clore l'ultime épisode de Sons of Anarchy.
Miaw !