The Paybacks & CrossOver #1 - Kids love chains
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The Paybacks narre les premiers pas de personnages que l'on retrouvera assez ironiquement dans Crossover. Crossover, de son côté, promet un melting-pot super héroïque jouissif débarquant dans notre monde. 


Commençons par The Paybacks.
Avec ce comic, Donny Cates lance un concept original et plutôt intrigant. Conscient que les multiples gadgets de nos amis super-héros doivent coûter une blinde, il invente une société de recouvrement de dettes spécialisée dans les affaires super-héroïques. En effet, pour s'offrir tout leur matériel de haute technologie, leurs costumes, leurs véhicules, les héros doivent vraisemblablement emprunter un max. Et lorsque vient l'heure du paiement, si l'activité n'a pas fait florès, c'est par une saisie façon huissier testostéroné que cela se conclut. Parce que c'est bien beau de jouer les cadors, mais tout se paye, mon bon monsieur.
The Paybacks, c'est donc une bande de super-héros hétéroclites peu convaincants totalement ruinés, enrôlés dans l'équipe des Impayés. Ils se spécialisent dans le recouvrement de dettes de super-héros mauvais payeurs tels qu'ils le furent eux-mêmes.
La série met en scène toute une flopée de super-héros originaux bénéficiant de pouvoir plus ou moins inspirés de comics de toutes origines, que l'on traite ici avec une irrévérence et une ironie de bon aloi.
Sous les traits semi-réalistes et dynamiques de Geoff Shaw et Stephen Green, le tout fleure bon les clins d'œil aux comics des années 80 et 90 ; ça sent un peu les films bourrins de la fin du siècle passé et ça n’hésite jamais devant une bonne grosse blague bien grasse des familles.
Quelques idées sont extrêmement pataudes mais d'autres sont vraiment plus originales. Nombre d'emprunts sont également les bienvenus comme, par exemple, ce van (centre névralgique des opérations des Impayés) qui n'est absolument pas un van mais bien une sorte de clone du T.A.R.D.I.S. : minuscule à l'extérieur, gigantesque à l'intérieur.

Bien qu’originale et plutôt intéressante, la série n'a pas vraiment rencontré son public (comme on le dit pudiquement dans les milieux autorisés lorsque le flop est manifeste) et fut donc arrêtée quelques temps après ses débuts. 
L'auteur envisage clairement ce titre comme une sorte de déclaration d'amour à tout ce qu'il a apprécié, enfant, dans les comics. Et comme "qui aime bien charrie bien", c'est dans la moquerie qu'il trouve le moyen d'exprimer son affection.


Venons-en à Cross Over.
Urban à la bonne idée de nous offrir sa traduction en français le même jour que celle de Paybacks, permettant de cette façon aux lecteurs de comprendre d'où sort cette équipe de bras cassés lorsqu'ils la rencontreront dans l'œuvre que nous allons majoritairement traiter ici.
Car si cette chronique a un intérêt, selon moi, c'est bien parce qu'elle va traiter d'un événement original dans le monde des comics : un cross-over prétendant réunir toutes les figures importantes de toutes les industries.
Calmez toutefois vos ardeurs, je vous vois venir. Bien entendu, il n'a pas été possible à notre auteur de dessiner des combats héroïques entre Spider-Man et Superman sous le regard de Spawn. Tout au plus ces derniers sont-ils suggérés, esquissés, dessinés en ombre chinoise. Et oui, évidemment, ce comic doit, comme tous les autres, respecter les droits d'auteur. 
Néanmoins, le pitch initial nous amène vers une invasion de notre monde par tout ce que les comics comptent comme super-héros ou super-vilains dérangés. 
En effet, Donny Cates (encore lui), après une expérience de mort imminente, s'est rappelé l'excitation qu'il éprouvait à l'idée de retrouver chaque mois, adolescent, les héros de ses comics préférés. Eux qui, à cette époque, débordaient de partout dans sa vie furent pour lui les compagnons qu'il eut envie de mettre en scène dans une série les mélangeant tous. Il lança donc ce projet avec son complice Geoff Shaw au dessin, pour un trait semblant miser sur le compromis entre la modernité et un clin d'œil appuyé aux comics de leur enfance.


Il va en profiter pour aborder un commentaire sur la place actuelle des comics dans la pop culture et même une réflexion assez intéressante sur la propension à la radicalisation de certaines couches de la population américaine.
L'idée de base de ce titre est finalement toute bête et nous en avons tous rêvé un jour : les héros de papier de toutes les séries de comics font brusquement, sans que l'on sache pourquoi, irruption dans notre réalité. L'épicentre de ce malheureux phénomène n'est autre que Denver, qui sera tout simplement rasée par les combats que ces personnages ne manqueront pas d'y mener. Bientôt circonscrite à l'intérieur d'un champ de force, cette zone de bataille devient comme une parenthèse dans notre monde où s'affrontent à longueur de temps les personnages de comics que notre Terre a, depuis lors, appris à détester.
Outre l'intérêt du collectionneur de voir s'agglutiner dans un seul album des tas de super-héros, cette œuvre a pour essentielle qualité d'offrir métaphoriquement une réflexion sur des thèmes comme l'immigration, l'acceptation d'autrui et de ses différences, le fanatisme religieux ou la radicalité politique.

Dès sa couverture, l'album revendique un caractère méta. Nous y voyons en effet un enfant tenant entre les mains, le même comic que nous et subissant une explosion de trames d'impression. 
Il faut savoir, en effet, que dans cet album, tous les personnages supposés réels sont dessinés de façon très conventionnelle, alors que les personnages issus de l'univers des comics, traité comme un monde parallèle, se retrouvent avec des trames d'impression extrêmement apparentes.
C'est une caractérisation d'autant plus intelligente qu'elle permet un petit clin d'œil aux vrais fans de comics que sont les cosplayeurs puisqu'un peu de maquillage suffit à un personnage issu du monde parallèle pour nous ressembler trait pour trait. Nous n'avons donc plus ici des gens normaux, se déguisant en héros, mais des héros se déguisant en gens normaux. Et, une fois de plus, les comic books sont donc vus comme des reflets de notre société dans lesquels nous nous mirons mais qui, eux aussi, bien naturellement, s'inspirent de nous.

Pour poser le décor : nous avons donc une ville de Denver ravagée par des super-héros, des super-vilains, des monstres, des zombies, des robots géants et autres entités. Grâce au champ de force généré par un des héros, plus personne ne peut théoriquement entrer ou sortir de la cité. 
Dans un monde ayant subi telle catastrophe, tout autour de ce dôme qui enferme les activités super-héroïques, les comics sont brûlés ou soumis à la propagande gouvernementale. Les super-héros (surnommés "les masques") sont détestés et certains de leurs auteurs se font même tuer par des fanatiques conservateurs n'hésitant pas non plus à brûler les librairies spécialisées. 

Le scénario ne tarde pas à se concentrer sur Ellipse, une jeune cosplayeuse bossant précisément dans une de ces boutiques de comics, et sur Ryan, le fils d'un pasteur menant une lutte acharnée contre les super-héros. Ces deux personnages que tout oppose vont nous permettre de nous interroger sur la censure et le fanatisme que génèrent parfois, aux États-Unis, les œuvres de fiction.

En conclusion, The Paybacks est amusant et irrévérencieux... mais n'est guère mémorable. Crossover est autrement plus ambitieux et donne envie d'une exploration bien plus poussée de son propos. Il offre, en plus, l'opportunité de suivre malgré tout les suites des aventures des héros de The Paybacks... Alors que demander de plus ? C'est un bon compromis.
Toutefois, The Paybacks était parfois tellement pataud que l'on espère que l'auteur parviendra à conserver le ton de Crossover. Y distiller un peu d'humour et de second degré est bienvenu mais les personnages de The Paybacks ont intérêt à modérer leur impact sur la suite, histoire que l'on puisse continuer à adhérer à cette histoire supposée se passer dans notre monde.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • The Paybacks est amusant et irrévérencieux.
  • Crossover est ambitieux et considérablement plus riche dans son propos.
  • The Paybacks n'apporte au final au genre que quelques idées cosmétiques amusantes.
  • Espérons que Crossover ne cède pas à la facilité, l'auteur en étant capable.