Stephen King : Après
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Sorti en 2021, Après est sans conteste un roman mineur dans le catalogue plus que rempli des œuvres de Stephen King (cf. ce dossier). Ses 330 pages n’ont ni la portée, ni la densité ni même le sense of wonder de ses textes les plus représentatifs. À vrai dire, au milieu des autres publications kinguiennes, il fait un peu pâle figure, surtout après un plutôt très bon L'Institut - et en plus, alors que sorti chez le même éditeur en France, il est un peu plus petit, ce qui fera rager les maniaques des étagères bien agencées. Pourtant, il jouit d’un atout majeur, d’une caractéristique particulière qui le rendent sinon indispensable, du moins intéressant à lire : il a été imaginé et rédigé par le créateur de Ça, de Salem et de La Tour sombre. Pour n’importe quel lecteur fréquentant à peu près assidûment librairies et/ou bibliothèques, cela représente déjà une motion de lecture obligatoire. Pour un représentant d’Univers Multiple, Axiomes & Calembredaines, c’est un incontournable, une mission impérative. Ouais, on est comme ça sur UMAC, et nous nous souvenons tous avec émotion du serment que nous prêtâmes naguère, dans un sombre sous-sol humide sous un fort obscur de la Ligne Maginot, la main gauche sur un exemplaire original de La Part des Ténèbres, la main droite levant avec fierté une canette de bière estampillée The Trooper… D’ailleurs Nolt, notre Grand Gourou, prétend que les statuts d’UMAC ont été décryptés à partir d’une copie en latin du manuscrit du Fléau. Allez savoir, si ça se trouve…

Et donc, avant d’aller plus avant, parlons d’Après. J’aurais pu me passer de ces jeux de mots laids mais l’auteur lui-même, par l’entremise du narrateur, ne se prive pas de s’y adonner. Par exemple, dès l’incipit :

Commencer par des excuses, je ne peux pas dire que ça me plaise – je parie même qu’il existe une règle contre ça, tout comme on nous interdit de finir une phrase par une préposition. Seulement voilà : je viens de relire mes trente première pages, et j’estime que je vous les dois bien, ces excuses. À cause d’un certain mot que j’emploie à tout bout de champ, un mot de cinq lettres qui n’est pas celui auquel vous pensez […]. Non, le mot dont je vous parle ici, c’est APRÈS.

Nous voilà prévenus. Et donc ainsi vous savez qu’il s’agit d’un récit à la première personne, dont le narrateur est également le protagoniste et le principal témoin. Jamie Conklin a vingt-deux ans, il est New-Yorkais et il va nous raconter une partie de sa vie, en commençant bien entendu par un événement de son enfance. Et c’est de cette façon qu’il achève sa préface :

À mon avis, ce qui suit est une histoire d’épouvante. À vous de voir.

Donc, j’ai vu, et j’ai lu. 

Et donc, non, pas vraiment. Enfin si, si on veut. Effectivement, le roman pourrait être rangé dans cette catégorie. Néanmoins, les vieux de la vieille ne trembleront guère devant ce témoignage d'un jeune homme se souvenant d'une époque pas si lointaine où, parce qu'il voyait les morts, il a été confronté à l'horreur. Parce que, c’est comme ça, Jamie voit les morts. Et ceux qui ont regardé Sixième Sens savent combien ça peut perturber un gamin.

Pour le reste, c’est du déjà vu, ou lu. On n’abordera pas de front les problèmes métaphysiques que cela soulève, et il n’y aura pas de course à la mort désespérée face à l’emprise d’une horreur indicible, ou le serment vibrant (tiens, on y revient) d’une amitié indestructible. Non, juste une petite histoire presque insignifiante – mais dont King sait à merveille magnifier chaque élément. De fait, ça se lit aisément, avec délectation, le long de ces tout petits chapitres (parfois une seule page !) narrés avec cette manière inimitable qu'il a de rendre ses phrases si réalistes et convaincantes, d'injecter ses références pop de-ci de-là afin d'enrichir son propos, de l'ancrer plus fermement dans une réalité si proche. Loin de son Maine coutumier,  il plante son décor dans la Grosse Pomme et s'en sort comme s'il y avait toujours vécu, nous invitant à tourner les pages avec délicatesse et talent.

Quand on a six ans et que c'est maman qui demande, on dirait oui à n'importe quoi. Sauf si elle nous commande d'aller au lit, naturellement. Ou de terminer notre assiette de brocolis.

Car mine de rien, le roman s’avère accrocheur. Non pas tant à cause du suspense (les ressorts dramatiques n’ont rien de neuf, et certains événements sont plutôt prévisibles) ou de l’aspect macabre (on est davantage dans de l’horreur sourde, avec une ambiance assez proche des séries comme The Haunting of Hill House) qui peut éventuellement traumatiser un gosse mais pas de vieux roublards comme nous, mais bien en raison de cette faculté qu’a Stephen King de partager avec un soin exquis les mille et un travers d’une vie quotidienne, ces petites joies et peines qui remplissent l’existence : entre les clins d’œil subtils mais pas trop pointus, les autocitations osées mais si pertinentes et un humour bon enfant à hauteur de garçonnet, on est vite pris au jeu dans cette histoire assez enlevée bercée de nostalgie lancinante. 

Une des pires choses quand on est gamin - peut-être même la pire de toutes - c'est la façon qu'ont les adultes de vous ignorer quand ils se noient dans leurs conneries.

Et là où les productions Netflix semblent un peu trop construites sur des critères un peu trop visibles, avec la bonne dose de représentants de toutes formes de minorités (ce qui les rend souvent un peu trop artificielles), King parvient à s’inscrire dans la mouvance actuelle avec aisance : la mère de Jamie, agent littéraire, a une petite amie qui travaille dans la police, et les relations que le jeune narrateur aura avec cette femme très « rentre-dedans » font une grande partie du sel du récit.

Un roman vaguement initiatique, plaisant à lire, qui fera doucement frissonner et parfois sourire. Une mini-série est en cours de production avec Lucy Liu dans le rôle féminin principal (à surveiller donc, même si les portages à l'écran des textes de King n'ont pas toujours été une grande réussite, cf. ce petit dossier). Les images en noir & blanc sont tirées d'une série limitée d'illustrations par Rob Gale.

J'ai découvert après que pas mal d'auteurs mouraient à leur table de travail. Une profession à risque, on dirait.

 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Stephen King. 'nuff said.
  • Un roman agréable, relativement court (pour du Stephen King) et plutôt rythmé.
  • Une histoire de revenants traitée à hauteur d'enfant.
  • Des personnages dépeints avec minutie et justesse.


  • Des péripéties prévisibles.
  • King choisit de ne pas entrer dans l'explication des phénomènes surnaturels et opte pour l'angle du fantastique ordinaire. C'est parfois frustrant.
  • Un récit à la portée réduite, qui ne vaut que par sa narration.