Chroniques des Classiques : Flatland
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Un monde en deux dimensions dont les héros sont des figures géométriques, voilà l'étrange postulat de Flatland.

Cette nouvelle, écrite par Edwin Abbott Abbott, date de 1884 et était très en avance sur son époque puisqu'elle est considérée comme une allégorie suggérant l'existence de dimensions spatiales supérieures mais indécelables pour l'œil humain, idée que l'on retrouve notamment dans la théorie des cordes, qui admet (suivant les versions) dix voire onze dimensions.

Le narrateur est un carré qui commence par présenter son monde, Flatland. Celui-ci est composé de deux dimensions spatiales (d'où le nom) et peuplé par d'étranges créatures, organisées en castes. Au bas de l'échelle, les Isocèles, des triangles ayant deux côté égaux. Pourvus d'un dangereux angle aigu, ce sont des soldats efficaces. Viennent ensuite les Triangles comprenant trois côtés égaux, bien mieux vus dans cette société où la régularité de la configuration est signe d'orthodoxie. En continuant à progresser dans l'échelle sociale, l'on trouve ensuite les Carrés, Pentagones, Hexagones, jusqu'au Polygones aux côtés si nombreux et petits qu'ils s'approchent de la perfection : le Cercle.
Les figures irrégulières sont vouées à la destruction alors que les femmes, elles, sont des lignes droites, dépourvues d'intelligence mais très dangereuses à cause de leur "aiguillon" et de la difficulté que l'on éprouve à les repérer.

En effet, dans un monde en deux dimensions, les habitants ne se voient pas comme les figures décrites plus haut mais comme des lignes droites. N'importe quel individu, placé devant un carré, un triangle ou un pentagone, verra en réalité une ligne. Parfois même simplement un point s'il s'agit d'une femelle vue de face ou de dos. Cela entraîne des lois particulières (les maisons comportent toujours des entrées séparées pour les femmes) et le développement de certains sens, comme le toucher.
Un jour, alors que notre brave carré est tranquillement chez lui, il est stupéfait devant une étrange apparition : une ligne, qu'il va prendre pour un cercle, s'est matérialisée au beau milieu du salon, changeant de forme et s'adressant à lui. En fait, il s'agit d'une Sphère, venue de Spaceland, la dimension supérieure.
Pour le carré, c'est le début de la fin...

Si au premier abord l'on peut se dire qu'en 1884, les auteurs fumaient déjà des trucs bizarres, ce court récit recèle de grandes qualités et permet d'attirer notre attention sur notre représentation du monde et nos a priori.
Outre Flatland, déjà bien bizarre en soi, le lecteur aura l'occasion de découvrir Lineland, un univers encore plus étriqué. L'auteur évoque aussi un univers réduit à un point ou, à l'inverse, un univers doté de quatre dimensions, voire plus encore. Malgré sa brièveté, le texte parvient à toucher à la fois à la satire politique, à la vulgarisation scientifique et à l'allégorie religieuse, le tout avec cette touche de fantastique qui rend l'ensemble digeste.

Évidemment, il s'agit là d'une fiction très particulière, qui peut dérouter mais se révèle originale au point de bouleverser nos conceptions les plus basiques. En cela, l'auteur fait montre d'une capacité créatrice et imaginative assez exceptionnelle. Prisonniers de nos perceptions, il n'est jamais aisé d'en saisir les limites. Certaines lois de la nature liées à l'infiniment petit ou l'infiniment grand sont parfois difficilement compréhensibles pour l'esprit humain, formaté par l'habitude d'une échelle adaptée à ses sens. Abbott parvient en quelque sorte à nous ouvrir les portes de la perception, et ce sans l'emploi de produits psychotropes, simplement à l'aide de quelques mots et d'une surface plane.
Un véritable exploit, malheureusement bien trop bref. Un roman prenant le temps de développer une intrigue plus vaste aurait été le bienvenu.
Pour l'anecdote, signalons qu'il existe des adaptations en animation et que Flatland est cité dans The Big Bang Theory par Sheldon Cooper, qui avoue s'y réfugier parfois.

À lire, d'autant que le texte, libre de droits, est disponible gratuitement sur le net, en pdf ou au format Kindle.



Découvrir d'autres classiques : Des Fleurs pour Algernon / Ubik / 1984 Le Maître du Haut Château / Sa Majesté des Mouches


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une manière de penser différente, qui peut être vue comme une introduction à la pensée scientifique ou même à la philosophie.
  • Original.
  • Amusant et parfois acide en ce qui concerne la description de la société et des mœurs.
  • Gratuit.

  • Trop court en comparaison de la richesse du monde décrit et de l'intérêt du propos.