Les archives de l'Okrane - Andraëlle
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Les archives de l'Okrane est une bande dessinée scénarisée par Ulrig Godderidge (le papa de la série Slhoka chez le même éditeur dont cet album est un spin-off) et dessinée par Ceyles (qui travaillait déjà auparavant sur la série-mère).

Il semble que les éditions Soleil se lancent dans une série dérivée de Slhoka. Pour être absolument honnête avec vous, je n'ai pas lu l'intégralité de la série-mère (qui connaît, semble-t-il, un succès assez important) et ne me permettrai donc pas de juger de la pertinence ni de la cohérence de cette histoire dans le contexte de ce que les fans de comics appelleraient sans doute par déformation le "Slhoka universe".

La première de couverture se présentant comme un collage de scènes d'action et de gros plan sur deux héroïnes comme une affiche de vieux film d'action est ce qui m'a initialement attiré vers ce titre... Au moins à ce point de vue ne vous ment-on pas : ça bouge, dans cette aventure ! Mais ça ne raconte pas grand-chose, selon moi...

Sachez juste qu'ici, sous prétexte de la lecture des recherches historiques d'un archiviste de l'Okrane, nous découvrirons la première mission de mercenaire d'un des personnages récurrents de la série : la très avide de richesses Zvendaï, alors jeune agent de la Sahadryinâ. La jeune fille est plus déterminée qu'un bataillon de vétérans et plus coriace qu'un pilon de corbeau, en cela les lecteurs familiers de cet univers ne pourront-ils pas se plaindre que l'on a fait d'elle une enfant fragile !


 

Que dire de cette histoire ?

Elle a tout pour paraître simple, voire simpliste, dans un premier temps : un commando s'attaque à la maison d'un politicien local (le Princip) et a pour mission de commettre un massacre. Agent infiltré de la Sahadryinâ dans ce groupe, Zvendaï va sauver de la fusillade Andraëlle, la fille du Princip, qu'elle a pour mission de livrer à ses commanditaires.
L'histoire sera ensuite un mélange de récit d'aventures et de course-poursuite puisque les deux filles (impossible d'imaginer Zvendaï comme une femme, vu son character design) vont devoir échapper aux survivants du commando et aux troupes d'un cruel inquisiteur-inspecteur aux méthodes dignes d'un commissaire impérial dans Warhammer 40.000 (pour ceux qui connaissent) ; en gros, le gars ne frémit même pas à l'idée d'abattre un de ses hommes juste pour faire passer un message au reste des troupes. Moi qui suis enseignant, je me demande si ça marcherait, de flinguer un cancre pour motiver la classe à bosser... mais sans doute mon imagination féconde s'est-elle aventurée là sur une pente savonneuse.
La fin du récit dévoile un retournement de situation bienvenu qui enrichit un peu le scénario et apporte à l'ouvrage l'ironie qui lui manquait jusque-là.
Le tout se déroule dans un ambiance rappelant un peu la Russie soviétique : les militaires ont une dégaine rappelant l'armée rouge, l'inquisiteur-inspecteur arbore un look faisant de lui un clone de Raspoutine... Quoi de plus normal pour un récit narrant les archives de l'Okrane, allusion peu cachée à l'Okhrana, la "Section de préservation de la sécurité et de l’ordre publics", la célèbre police politique secrète de l'Empire russe (fin XIXème, début XXème siècle). Célèbre police secrète... voilà une formulation pour le moins étrange !
Toutefois ici, nous sommes dans un monde inspiré de la Russie mais nullement en Russie. Sans doute sommes-nous encore sur la planète Link-Arkoide, comme dans Slhoka... en témoignent quelques aspects vaguement steampunk mélangés à de la technologie contemporaine.



Fantastique, vraiment ?

L'univers initial de cet album voit se dérouler les aventures de Slhoka, jeune pilote soudain affublé de pouvoirs, et est donc en effet apte à héberger du fantastique mais, malgré la classification que l'éditeur fait de ce récit, rien dans Andraëlle n'est fantastique : aucun événement surnaturel ne s'immisce dans l'histoire.
Si je voulais être cruel, je dirais même que, malheureusement, cet album n'a à mes yeux rien de fantastique non plus... qualitativement. Oh, ce n'est pas indigne, loin de là : c'est assez rythmé, pas avare en rebondissements mais, au final, ça ne raconte pas grand-chose d'autre qu'une course-poursuite. C'est assez peu ambitieux, scénaristiquement.
Quant aux personnages, peut-être les admirateurs de la série-mère seront-ils enthousiastes à l'idée de rencontrer une version adolescente de Zvendaï. Peut-être. Mais elle n'a au final pas grand-chose de très sympathique, cette demoiselle.

D'ailleurs, si on regarde de près le casting de cette aventure, il n'y a aucun personnage principal là-dedans auquel je serais heureux de savoir qu'un de mes proches s'identifie :
- Zvendaï, malgré son physique de gamine en attente de poussée de croissance, se comporte comme un mélange entre un James Bond hyperactif et un Rambo sous stéroïdes ;
- Andraëlle râle et pleurniche (bon, on la comprend, étant donné sa situation) jusqu'à connaître et embrasser les bienfaits du syndrome de Stockholm et devenir à son tour une aspirante au titre de miss badass ;
- l'inquisiteur-inspecteur est une sorte de sociopathe à qui on a eu l'inconscience de confier une autorité lui permettant de diriger une armée...
Comme vous le voyez, personne dans tout ce beau monde ne semble d'emblée servir de support facile à une possible identification.

Et esthétiquement, alors ?

Bien que fort honnête de ce point de vue, Andraëlle n'est clairement pas non plus la bande dessinée la plus jolie de chez Soleil...
Visuellement, l'on constate de prime abord une évidente influence japonaise dans les traits de ces héroïnes aux grand yeux si expressifs. Vous ne trouverez pas en moi un adversaire de l'orientalisation de certains aspects de nos BD franco-belges mais ici, la synthèse des deux styles semble ne pas avoir aussi bien pris que parfois ailleurs. La gamine y perd son enfance et y gagne des traits trop sévères à mon sens et ce dès la couverture ; la mercenaire, paradoxalement, arbore un physique court sur pattes aux bras sous-dimensionnés suggérant qu'elle entre dans l'adolescence alors que la dureté de la plupart de ses expressions faciales jurent avec ce constat, et les hommes de la série, eux, semblent avoir été dessinés en respectant davantage les codes graphiques européens... en un mot comme en cent, à mon sens, ça tâtonne un peu graphiquement et ça n'a pas vraiment fonctionné avec moi. Mais le travail est fait avec soin, vous n'avez pas entre les mains un machin bâclé et fini dans l'empressement. Ça ressemble plus à un style se cherchant encore un peu (sans vouloir trop m'avancer, j'ignore depuis combien de temps Ceyles se voit confier des albums entiers).

La mise en couleurs, elle, est très agréable et aide grandement le dessin à rendre certaines cases vraiment jolies. Son responsable, signant du nom de Vincent, est pour beaucoup dans le fait que cette BD a attiré mon regard et continue à s'attirer ma sympathie malgré son scénario un peu convenu et son dessin m'ayant moyennement convenu : telle une excellente sauce, la colorisation relève la fadeur sous-jacente du plat et parvient parfois à le sublimer. Petit jeu : quelle heure est-il au moment de la rédaction de cet article pour que je me mette à faire ainsi des métaphores gastronomiques ?
Par contre, s'il est une chose (vous connaissez mon problème avec ces détails où se cache le Diable) qui m'a parfois semblé ridicule, c'est le tracé des onomatopées. J'ai rarement souri à la lecture du son d'une explosion dans une BD mais ici, les grandiloquents "BOUM !" sont stylisés comme des sortes de chewing-gums étirés au mépris de la plus élémentaire des recherches de dynamisme visuel... à tel point que cela fonctionne même mieux lorsqu'ils sont carrément absents !
Là où certains jouent avec ces éléments jusqu'à en faire des acteurs de l'image, ici, toutes les onomatopées ont un côté un peu ridicule qui, dans ma tête, imposaient à cette BD une bande son composée de bruitages à la bouche faits par des enfants jouant à la guerre dans le jardin. Ça n'aide pas à prendre l'ouvrage au sérieux et renforce le côté "BD pour gamins" que le design des héroïnes amorçait déjà, alors que pourtant le thème ne semble pas la destiner à ce public...



Tu parles, tu parles, mais au final ?

En conclusion, disons que si cette BD n'est pas un ratage, elle n'est pas non plus d'un intérêt transcendant et l'éditeur a dans son catalogue bien d'autres façons autrement plus intéressantes de vous faire dépenser la quinzaine d'euros qu'elle coûte. Dispensable pour le lecteur lambda, elle a pourtant peut-être un intérêt particulier pour les fans de Slhoka... mais Soleil sort chaque mois des albums de qualité et je crains que ces Archives de l'Ocrane ne risquent vite d'être oubliées au profit d'une des nombreuses autres séries remarquables de cette maison propriétaire des univers de Troy et des terres d'Arran...

 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Approfondir l'univers de Slhoka n'est pas une mauvaise idée.
  • Esthétiquement, la BD s'en sort pas trop mal grâce à une mise en couleurs agréable.
  • L'action, bien que souvent très prévisible, est divertissante.

  • Le scénario se limite trop longtemps à une suite de rebondissements lors d'une course-poursuite.
  • Le dessin des personnages semble hésiter entre plusieurs influences.
  • Ces onomatopées ridicules m'ont sorti du récit plus d'une fois !