Docteur Strange par Aaron
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Plongée dans l'ésotérisme et les Arts Mystiques avec la série Doctor Strange.

Un magicien surpuissant n'est clairement pas un personnage aisé à manier tant il peut rapidement sembler invulnérable. Probablement pas autant anachronique qu'un Thor, Stephen Strange demeure tout de même un héros à part (cf. encadré ci-dessous), important dans l'univers Marvel mais ne rivalisant certainement pas, sur le plan éditorial, avec les têtes d'affiche de la Maison des Idées.
Aussi, se lancer dans l'écriture d'une on-going lui étant consacrée peut s'avérer risqué. Brian K. Vaughan, par exemple, pourtant brillant scénariste de titres tels que Y, the Last Man ou Runaways, s'était cassé les dents sur l'exercice il y a quelques années, en tombant dans le kitsch, les clichés et l'ennui profond. Pourtant, il arrive que certains auteurs parviennent à s'approprier l'univers étrange du Docteur et même à le sublimer en y apportant leur touche personnelle.
C'est le cas de Jason Aaron (Scalped, Southern Bastards) dans le quatrième volume de la série Doctor Strange, publiée en version française dans quatre 100% Marvel (20 épisodes), tous encore disponibles en neuf (le premier tome datant de 2016, c'est très inhabituel chez Panini, signe probablement que la série ne s'est pas très bien vendue en France).

Voyons tout d'abord l'idée de départ.
Après avoir aidé un enfant à se débarrasser d'une tribu nomade de dévoreurs d'âmes qui avait élu domicile dans son esprit, Strange commence à constater diverses anomalies dans les forces mystiques qu'il perçoit. Certains sorts ne fonctionnent plus. Il croise une sangsue psychique, collée à un passant et qui n'a rien à faire là. Une jeune fille, victime de parasites assez épouvantables, vient lui demander son aide. Un grimoire ancien se vide subitement de toute sa puissance. Les signes s'accumulent.
Finalement, Strange va découvrir que la cause de tous ces troubles est une grave menace qui pèse non seulement sur les utilisateurs de la magie, mais sur la magie elle-même ! Dans tous les univers, quelque chose traque et massacre les Sorciers Suprêmes. Et purge les livres, les lieux, les artefacts de toute énergie mystique.
Un monde sans magie est un monde qui se meurt. Strange le sait fort bien. C'est donc l'un de ses plus importants combats qu'il s'apprête à mener... contre l'Empirikul.

Le monde est bien différent quand on le voit à travers les yeux du Docteur Strange !

Aaron se lance, dès le début de son run, dans une intrigue ambitieuse qui va lui permettre d'explorer la thématique de la magie, et notamment du prix qu'il faut payer lorsqu'on la manipule. En effet, l'auteur part du principe qu'à chaque fois que Strange lance un sort, il est victime d'un effet "boomerang" et subit un choc physique et psychique en retour. Et depuis le temps que Strange balance des incantations, autant dire qu'il a accumulé les contrecoups est qu'il est plutôt dans un sale état.
C'est là que se situe l'idée de génie d'Aaron. Pour éviter que la magie apparaisse comme un élément trop puissant, sorte de deus ex machina un peu trop pratique, il en fait une force certes efficace mais aux conséquences terribles. Le scénariste laisse donc de côté l'aspect facile ou kitsch des arts mystiques pour installer une atmosphère assez glauque voire gore.

La magie et les entités surnaturelles auront en effet rarement été mises en scène de la sorte. L'on découvre peu à peu les créatures, toutes plus bizarres les unes que les autres, qui peuplent le monde et qui élisent domicile, pour certaines, sur ou dans les humains, comme des saloperies d'acariens géants mais invisibles.
Du côté de Strange, le pauvre n'est guère mieux loti. La liste de ce qu'il doit endurer pour continuer à protéger le monde et employer ses sorts est ahurissante. Comme il le décrit lui-même de manière peu ragoutante, il "ne dort que trois heures par nuit, a des ulcères gros comme des rats d’égout, et expectore des morceaux de son âme deux fois par jour". Ce n'est pas tout, le Docteur ne peut se nourrir que de plats très... spéciaux, préparés par Wong, car son estomac ne supporte plus la nourriture normale. Et il peut lui arriver de saigner des yeux ou de vomir trois jours de suite. Ouais, la magie, c'est vraiment rock n'roll.

Outre la magie et Strange, le lieu d'habitation du Sorcier Suprême est lui aussi habilement décrit et revisité, l'endroit regorgeant de dangers et de merveilles. Il faut d'ailleurs à ce sujet souligner le travail de Chris Bachalo (Uncanny X-Men, Amazing Spider-Man), qui parvient à retranscrire toute l'étrangeté du manoir à travers un style adapté et en jouant sur la géométrie des lieux (confusion entre haut et bas, lignes de fuite tordues...).
En ce qui concerne la magie elle-même, les entités, les sorts, voire la nourriture de Strange, là aussi le dessinateur excelle. Les planches sont parsemées d'éléments bizarres, de tentacules, de choses qui rampent ou dégoulinent, le tout étant renforcé par des effets de contraste, des passages en noir & blanc ou encore des éléments se répandant sur les planches.
D'un point de vue graphique, c'est donc là aussi une belle réussite.

Au final, voilà une excellente série (au moins tant que Aaron est resté aux commandes), accessible et originale, permettant de (re)découvrir le personnage de Strange et d'explorer le côté sombre de son art.

Stephen se nourrit d'aliments vraiment très... exotiques.



WHO'S THE DOCTOR ?


Le docteur Stephen Vincent Strange fait partie de ces personnages récurrents qui, sans être l'une des têtes d'affiche les plus populaires de la Maison des Idées, ont acquis au fil du temps le statut particulier de pilier, certes discret mais inébranlable, du vaste univers Marvel.
Tout comme les héros ont tendance à se tourner vers Reed Richards lorsqu'ils sont confrontés à un problème nécessitant de sérieuses connaissances scientifiques, c'est au Sorcier Suprême de la Terre qu'ils font appel lorsque la menace est de nature paranormale.

Strange tire ses pouvoirs de trois sources : ses propres capacités psychiques, l'invocation d'entités et la manipulation de l'énergie magique ambiante de l'univers. Il possède également divers objets magiques comme sa cape de lévitation ou encore l’œil d'Agamotto, une amulette lui permettant, entre autres, de sonder les esprits ou d'ouvrir des portes dimensionnelles. Adepte de la méditation, il peut aussi se projeter sur le plan astral, un mode de déplacement quand même plus sympa que le métro.
Voilà donc un sorcier puissant et manipulant des forces occultes et immenses ! Il reste néanmoins discret, humble, conscient de la charge qui pèse sur lui, tout le contraire de ce qu'il était lorsqu'il exerçait encore la profession de neurochirurgien. Son influence sur l'univers de la Terre-616 est plus grande qu'il n'y paraît, même si elle demeure souvent discrète. Il fut l'un des membres des Illuminati, puis, pendant Civil War, des Secret Avengers, deux groupes qui ont comme point commun la clandestinité. Stephen a également fait partie des plus folkloriques Defenders aux côtés de Namor, du Silver Surfer ou encore de Hulk. Cette dernière équipe, sans réels règlements ou charte, lui permettant de conserver une grande liberté personnelle.

Le docteur Strange vit dans un manoir (le "sanctum sanctorum", lieu le plus étrange de New York) qu'il partage avec son fidèle serviteur Wong (c'est un peu son "Kato" à lui, sauf que là, il n'essaie pas sans cesse de le surprendre en l'attaquant), dans le quartier de Greenwich Village.
Le personnage joue souvent un rôle important dans les grands events Marvel. C'est notamment lui qui identifia la menace que représentait Wanda Maximoff lors des événements qui ont abouti à la séparation des Avengers et qui donneront lieu à House of M, c'est également lui qui se tiendra aux côtés de l'Empereur-Dieu Fatalis lorsque le multivers sera réduit au seul monde de Battleworld, constitué de territoires issus de différentes réalités (cf. Secret Wars).

Sans doute aussi mystérieux que les forces qu'il manipule, Stephen Strange s'impose comme une sorte de sage voué entièrement à sa mission, véritable rempart contre les entités malfaisantes qui menacent le monde.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'ambiance magico-glauque.
  • Un aspect intéressant et peu exploité de l'univers du Docteur Strange.
  • Grande qualité d'écriture.
  • Un style graphique approprié.
  • Tous les tomes encore disponibles en neuf en VF .

  • RAS.