M.F.K.2 #1 : Leaving D.M.C.
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Prenez un condensé de la pop culture des quarante dernières années d'où qu'elle vienne,
injectez-lui des personnages de losers charismatiques façon films de Tarantino,
boostez le tout avec des dessins entre réalisme et graffiti
et vous serez encore loin de la folie de Mutafukaz.


L'adaptation du début de Mutafukaz en film d'animation fut une réussite. L'univers initial de la BD se vit enrichi de Puta Madre et Loba Loca pour le bonheur des fans. Mutafukaz 1886 en offrait une version far west en guise de baroud d'honneur chez Ankama... Il fallait bien que le bon Run (dont on vous a déjà pas mal parlé dans les chroniques de DoggyBags et autres LowReader) nous balance enfin M.F.K. 2... 
Après tout, personne ne s'attendait à ce que Lino et Vinz coulent une vie tranquille après les événements du premier cycle... si ?
Le premier tome du cycle 2 de cette joyeuse folie meurtrière est sorti en janvier et marque avec fracas l'arrivée du Label 619 aux éditions Rue de Sèvres.

Sept ans après la fin de Mutafukaz (que vous pouvez retrouver dans un recueil intégral hautement qualitatif aux éditions Ankama), Angelino, Vinz et Willy remettent une fois de plus les pieds dans une bassine de merde bien malgré eux. Enfin, bien malgré Lino et Vinz, surtout. Parce que Willy, lui, en se comportant en gourou boosté à la conspiration alien et aux délires de fin du monde, a un peu cherché les embrouilles, quand même. 

Au début de cette histoire, Dark Meat City n'est plus le champ de bataille urbain qu'elle fut et est en pleine phase de gentrification, façon Southpark dans sa 19e saison. Moins de criminalité, davantage de latte ; moins de guérilleros, davantage de macchiatos.  
Lino et Vinz ne sont plus des adolescents attardés et comptent bien rentrer dans le rang : le petit boulot, l'appartement en copropriété, la vie paisible en somme. Mais ça ne saurait durer, si ?

Bah non. Run a d'autres projets pour ses héros et il adore leur en faire baver ! C'est par une jouissive fusillade à l'arme de guerre dans le restaurant de sushis où travaille Lino que la situation bascule. Un groupe d'activistes propagateurs de fake news a en effet lancé des rumeurs sur les réseaux selon lesquelles les propriétaires asiatiques de ce restaurant retiendraient des enfants kidnappés dans leur cave (Pizza Gate, you said ?). Une bande de givrés à la QAnon s'est du coup mis en tête de libérer par la force ces gosses inexistants... mal leur en prendra : ils tomberont sur le livreur de sushis le plus hard-boiled de l'histoire du poisson cru.
Après avoir assisté à la mort de la fille dont il était amoureux et avoir dessoudé à lui seul tout un commando paramilitaire à gros bras, Lino est contraint de fuir Dark Meat City. 

Il embarque un Vinz peu enthousiaste dans sa course et tous deux partent, faute de mieux, à la recherche de Willy en traçant sur les routes écrasées de soleil du grand ouest américain, à bord d'un camping-car que ne renierait pas Walter White de Breaking Bad.
C'est donc au cours d'un road trip déjanté que l'on va découvrir les paysages de ces U.S.A. qui semblent obséder l'auteur. Un voyage qui va aussi être prétexte à une description caustique et satirique de l'Amérique contemporaine.
Tout y passe : de la Maison Blanche corrompue au désert du Nevada peuplé de nudistes complotistes, des personnalités médiatiques clivantes caricaturées aux théories conspirationnistes les plus flinguées, des réseaux sociaux et leur déviances aux expériences scientifiques douteuses (dont une explique enfin plus ou moins l'apparence étrange de Vinz) en passant même par les théories platistes les plus absurdes, de la désinformation la plus dégueulasse à la radicalisation moderne des jeunesses twitteriennes, M.F.K.2 fait feu de tous bois et ouvre le feu sur les cons aux abois. 
Ouvertement politique sans être partisan, cet album fustige la bêtise crasse et la paranoïa de notre époque à chaque page, entre deux punchlines bien senties et deux scènes de baston plus sympas à lire que dans bien d'autres titres se prétendant pourtant références en la matière.

Et au milieu de tout ce fatras de conneries propres à notre temps, portés par les événements, inexorablement poussés en avant par une narration haletante, Lino et Vinz réécrivent leur amitié dans des moments touchants et justes, parlent de questions métaphysiques et entretiennent une relation d'une crédibilité étonnante dans un monde aussi absurde. Bravo, Maestro !

Pour ce tome 1 du second cycle, Run (Guillaume Renard, qu'il soit enfin nommé) adopte un trait plus régulier, abandonnant le zapping entre les styles qu'il avouait voir lui-même comme un cache-misère. Le dessin est bien plus maîtrisé, plus souple encore, plus percutant aussi. La mise en couleurs très moderne et punchy sert à merveille le propos et sublime les scènes de combat inévitables de la franchise. Les corps y sont dessinés sans aucune complaisance, la violence y est débridée et tout suinte le projet qui pose ses énormes couilles de luchador sur la table en mettant tout le monde au défit d'oser venir les en déloger.
Vous l'aurez compris : c'est une claque graphique comme scénaristique et l'on ne peut que vous recommander chaudement ce M.F.K.2 tome 1 : Leaving D.M.C. qui nous a enthousiasmés. Puis bon ; il y a même une apparition de l'Ermite Moderne (le youtubeur spécialisé en geekeries, dans son peignoir légendaire), dedans... alors foncez, quoi ! Sans rire : sa petite apparition est on ne peut plus légitime. M.F.K.2 puise ses multiples inspirations dans les films US, l'animation jap', les mangas, les comics, les jeux vidéo... tout ce qui fait le fond de commerce du bonhomme, en fait.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Enfin la suite de Mutafukaz.
  • Le propos se fait plus politique mais pas partisan.
  • L'ensemble reste bien trash.
  • Les personnages évoluent.
  • La qualité graphique a fait un bond en avant notable.
  • Passez votre chemin si vous êtes gavé de moraline ou très sensible à la moindre provocation... indignés-nés s'abstenir.