La Parenthèse de Virgul #48
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Hello les Matous !
Ça ronronne dans les chaumières ? Aujourd'hui, on va aborder un sujet essentiel quand on parle de livres, et notamment de BD : le format. Et un format bien spécifique encore trop peu employé en France mais qui, pour certaines œuvres, peut donner des résultats saisissants.

À l'italienne
Si l'origine transalpine de ce format, dit à l'italienne, explique son nom, il faut savoir qu'il n'est en rien fixé par une taille précise mais désigne en réalité toute publication qui est plus large que haute. Que ce soit dans la BD franco-belge ou les comics, l'on a donc guère l'habitude de penser réellement un récit dans ce format. Et c'est bien regrettable car il permet de gommer certains défauts ou d'accentuer certaines qualités du format classique.

Il faut tout d'abord distinguer les œuvres pensées réellement (ou totalement redécoupées) pour ce format et les compilations de strips initialement prévus pour les journaux. Si l'on trouve des recueils de strips concernant des séries aussi connues que Tintin ou Amazing Spider-Man, cela reste avant tout des curiosités ou des éléments historiques, le format n'apporte alors pas grand-chose par rapport à celui d'une BD classique. Par contre, lorsqu'il s'agit d'histoires conçues spécifiquement pour se présenter ainsi, comme le 300 de Miller ou les rééditions à l'italienne de certains Blake et Mortimer, cela change tout et l'expérience de lecture en est radicalement changée.

Quels sont ces effets aussi fantastiques que mystérieux que tu sembles nous vanter depuis le début de cette parenthèse, me demanderez-vous avec la touchante fébrilité du lecteur aguiché par une féline et noble prose ? Eh bien, nous y venons !
L'un des effets évidents est ce que nous appellerons poétiquement la préservation de la brume du temps. En effet, lorsque nous ouvrons une BD classique, nous avons devant les yeux non seulement la scène "présente", que nous allons lire, mais aussi plusieurs scènes du futur, qui se dévoilent déjà, comme si le brouillard les recouvrant logiquement était dispersé par le simple fait de tourner la page. Dans le format à l'italienne, vous ne verrez qu'un tiers (voire un sixième) de ce que dévoile le format classique, ce qui permet de demeurer dans le présent et de maintenir un certain suspense.

Le deuxième effet, encore plus important, est l'immersion. En effet, avec des cases agrandies, bénéficiant de plus de détails, et un œil se concentrant sur une scène bien découpée et mise en valeur, le lecteur est littéralement "plongé" dans l'action, un peu comme un spectateur devant un grand écran, au cinéma. L'impact de chaque scène en est alors décuplé. 
Le troisième effet évident, très lié au précédent, est le travail de l'auteur sur l'ambiance du récit. Avec une concentration recentrée du lecteur, des cases plus grandes, des scènes mieux mises en valeur car isolées des autres, l'auteur peut à loisir travailler l'atmosphère de chaque partie de son récit. Une scène de nuit, par exemple, ne sera pas parasitée par la luminosité d'autres scènes à venir, qui se retrouveraient sur la même planche dans un format classique.

Bien entendu, ces subtilités ne conviennent pas forcément à tous les récits. Le format à l'italienne met presque naturellement en valeur les thrillers, les histoires sombres, feutrées et intimistes, les BD d'enquête ou d'épouvante, et globalement tout ce qui touche au mystère. Ce format sera donc moins efficace lorsqu'il s'agira de mettre en scène, par exemple, d'immenses et impressionnants paysages ou des combats aériens. Ce n'est pas impossible pour autant, juste moins pratique. Mais même s'il est toujours possible de s'adapter à une contrainte technique, il vaut mieux penser son format en fonction de ce que l'on raconte (et inversement, les deux étant inévitablement intriqués).
Voilà en tout cas une belle manière de mettre la contrainte du support au service de son art.

L'on trouve assez peu de BD dans ce format en France, même si l'on peut noter le Ruse du duo Waid/Guice, le Spirou de Chaland ou les Flash Gordon récemment réédités par Hachette (à ne pas confondre avec le Flash de DC Comics, cf. cette Parenthèse). Mais la grande réussite dans ce domaine demeure les Blake et Mortimer recomposés pour ce format (l'on peut citer par exemple Le Testament de William S, Signé Olric, Le Bâton de Plutarque ou encore Le Serment des Cinq Lords). Ces éditions spéciales (vraiment bien plus larges que hautes !) bénéficient de cases agrandies, d'un découpage repensé et d'un nouveau regard, plus immersif, sur chaque aventure. L'ambiance en est radicalement accentuée, et les élégants aplats propres à la série n'en sont que plus efficaces et esthétiques. Si vous voulez vous prendre une claque visuelle et découvrir la puissance du format à l'italienne, ce sont ces albums que l'on vous conseille. Attention cependant à ne pas confondre avec certaines éditions spéciales, comme Les Sarcophages d'Açoka, qui est en fait un demi-format qui condense (et résume) trois albums classiques.

Voilà les matous, on termine avec quelques exemples de planches et on espère vous avoir donné envie de (re)découvrir de bonnes BD. Miaw ! 

Ici une simple compilation de strips originaux (Les 7 Boules de Cristal).

L'album "maudit" de Chaland, une curiosité.

Le 300 de Miller, dense et violent.

Ruse, publié par Semic. De superbes dessins et un découpage très cinématographique.

Le format à l'italienne n'embellit pas forcément tous les genres de récit.

Blake et Mortimer, probablement l'une des séries qui exploitent le mieux ce format.

L'atmosphère sombre et angoissante, ainsi que les jeux de lumière, ne sont pas parasités par les autres scènes.

Le découpage resserré immerge le lecteur au cœur de l'action.

La brume du temps est préservée, chaque planche étant consacrée à une seule scène.