Dan Simmons : La Saga d'Elm Haven
Publié le
5.5.16
Par
Nolt
Ce ne sont pas moins de trois romans de Dan Simmons que nous abordons ici, avec ce qui constitue la saga d'Elm Haven.
Les récits de Simmons peuvent être rangés en gros dans trois catégories : la SF, avec notamment le célèbre Hyperion et ses suites, les polars, comprenant les enquêtes de Joe Kurtz, et les romans orientés fantastique/épouvante. Nous allons nous intéresser à ces derniers par le biais d'une trilogie ayant ses faiblesses mais possédant aussi un réel pouvoir attractif.
Été
C'est par Nuit d'Été (déjà chroniqué par Vance dans cet article) qu'il convient de commencer le voyage si l'on s'en tient à la chronologie. Ce premier roman de la saga est paru en 1991 et conte les aventures d'un petit groupe de gamins, en 1960, aux prises avec une menace terrifiante. Inutile de nous attarder sur l'intrigue que Vance a très bien abordée, mais il est intéressant d'approfondir un peu un aspect crucial : les énormes similitudes avec le Ça de Stephen King.
Que ce soit au niveau des éléments centraux du récit ou des petits détails, les ressemblances sont telles que l'on est en droit de se dire que l'on est exactement devant la même histoire. Un groupe de jeunes enfants (1), dans un petit village (2), confrontés à une menace paranormale (3), protéiforme (4), ne pouvant compter sur les adultes qui parfois sont également des menaces (5), à une époque similaire (6), affrontant également d'autres enfants parfois aussi effrayants que les pires monstres (7), le tout avec un lieu constituant à lui seul un personnage (8 : Derry pour King, Old Central pour Simmons). L'on est déjà à huit points communs importants, et l'on pourrait encore continuer : une scène de sexe un peu osée entre deux très jeunes enfants (9), une narration se déroulant sur plusieurs époques si l'on prend en compte l'ensemble de la trilogie (10), une amnésie concernant les évènements passés qui semble toucher les adultes (11), des lieux reculés, dans la nature, qui servent de refuges aux personnages principaux (12), une épique bataille de cailloux/mottes de terre (13), un des personnages principaux devenant écrivain (14), un personnage obèse (15), l'importance de certains lieux, comme la bibliothèque (16), etc.
C'est rigoureusement la même histoire, les mêmes ressorts, avec finalement des styles très proches, même si King s'en sort largement mieux (Ça étant sans doute son plus grand chef-d'œuvre et l'apogée de sa réflexion sur le monde de l'enfance, cf. cet article).
Nuit d'Été, pour peu que l'on aime la thématique, est cependant un vrai bon roman, réservant son lot de frissons et d'émotion. Paradoxalement, si Vance lui a reproché quelques lenteurs et un manque d'action, c'est surtout ces moments intimistes, tendus, patiemment construits, qui m'ont semblé les plus réussis. Le final au contraire, avec son débordement d'action chaotique, se révèle moins passionnant (au contraire de certaines scènes épiques, avec le monstre du placard ou la fusillade dans les bois).
Sans doute plus idyllique que King concernant la dureté du monde de l'enfance, Simmons livre tout de même une histoire touchante, non dénuée de suspense et d'une certaine forme de nostalgie élégante qui parvient à donner du lyrisme même à de simples virées en vélo.
Automne
Le deuxième roman, Les Fils des Ténèbres, est publié l'année suivante. Et il est clairement mauvais. Très mauvais. [1]
Voyons déjà un peu l'intrigue avant d'essayer de comprendre les raisons de ce naufrage.
L'action se déroule en grande partie dans une Roumanie qui vient à peine de se débarrasser de Ceausescu. Une américaine, médecin, y adopte un bébé gravement malade et le ramène aux États-unis avec l'aide d'un prêtre, Mike O'Rourke (l'un des gamins de l'histoire précédente, qui depuis a fait le Vietnam et est rentré dans les ordres). Il s'avère que le bébé va bientôt faire l'objet d'une tentative d'enlèvement qui va emmener les personnages sur les traces des strigoi, autrement dit, des vampires...
Si l'idée de départ (aborder le thème du vampire sous un angle réaliste) n'était pas mauvaise, Simmons s'est par contre complètement planté au niveau du traitement de ce récit, poussif, maladroit et ennuyeux au possible. Les rares moments intéressants sont dus aux flashbacks revenant sur la vie de Vlad Tepes, le véritable Dracula. Le reste se résume à de longs et interminables trajets (en ville, dans les montagnes, à pied ou en voiture...) qui sont totalement dénués d'intérêt et à un étalage comique de documentation mal digérée.
Il est intéressant ici d'ouvrir une parenthèse sur ce fameux travail de documentation, indispensable pour l'écrivain. Il est important de se renseigner sur un sujet avant de l'aborder, ne serait-ce que dans le but de préserver une certaine crédibilité (le lecteur se rend vite compte quand un auteur survole un domaine qu'il ne maîtrise pas). Pourtant, l'erreur à ne surtout pas commettre est de recracher cette documentation, comme un élève ayant bien fait ses devoirs (ou un auteur voulant "rentabiliser" le temps perdu). En général, un écrivain se sert d'une partie infime des renseignements glanés. Ici, Simmons tombe dans ce piège grossier en nous bombardant de dialogues techniques abscons (les discussions entre spécialistes des rétrovirus flirtent presque avec la parodie tant elles sont incompréhensibles pour qui n'est pas médecin, voire chercheur) et de trajets sans doute précis (avec noms des rues et moult détails) mais assommants et fades. L'auteur évoque des tonnes de termes mais on ne sait jamais s'il s'agit de rues, de places, de monuments, de parcs ou d'autre chose... il passe complètement à côté d'une description qui aurait pu être vivante et contribuer à l'ambiance mais qui s'avère terne et absconse.
Au final, ce qui aurait dû être effrayant est surtout insipide, les vampires et leur organisation se révélant aussi fascinants qu'un séminaire sur les techniques de vente pour appareils ménagers. L'on avait eu les vampires chochottes grâce à Anne Rice (cf. notre dossier spécial vampires), Simmons invente le dentu sinistre (et pas dans le bon sens du terme). Heureusement, à part O'Rourke et quelques mentions de personnages qui n'ont qu'un rôle très secondaire (Harlen notamment, devenu sénateur), ce titre n'a pas vraiment de rapport avec Nuit d'Été et peut donc être laissé de côté sans regret.
Hiver
Et pour cause, c'est le troisième roman, Les Chiens de l'Hiver, qui constitue la suite directe de Nuit d'Été. Cette fois, Simmons, au contraire du laborieux Les Fils des Ténèbres, y est brillant. La différence est telle que sans le nom de l'auteur sur la couverture, il serait difficile de deviner qu'il s'agit de la même plume. Pour prendre une métaphore culinaire, l'on passe d'un steak gras, trop cuit et indigeste à une mousse au chocolat légère, aérienne et délicieusement sucrée.
C'est cette fois Dale, devenu écrivain, que l'on suit. Celui-ci, après une séparation douloureuse, revient dans la ville de son enfance. Il s'installe même dans l'ancienne ferme de son ami Duane pour se mettre à l'écriture de son nouveau roman.
Et très rapidement, les ennuis commencent pour ce pauvre Dale. Tout d'abord d'étranges messages qui apparaissent sur son ordinateur. Une odeur épouvantable qui disparait aussi vite qu'elle était apparue. Un étrange chien noir qui semble suivre Dale partout où il va. Et pour ne rien arranger, la rencontre avec une ancienne brute qui le terrorisait devenue... shérif !
Ce roman, assez court et particulièrement nerveux, est d'une grande habileté. Cette fois, pas de temps mort ou de longues descriptions inutiles, l'on est plongé dès le début dans un cauchemar infernal qui mènera Dale aux portes de la folie.
La tension est constante, certaines scènes vraiment efficaces (même si l'on devine parfois un peu vite vers quoi nous entraîne l'auteur), et l'on a le plaisir de retrouver des lieux connus et des personnages ayant joué un rôle important dans Nuit d'Été.
La bande n'est pas pour autant réunie, mais Simmons trouve une manière astucieuse de boucler la boucle, de remettre en perspective les évènements de 1960, et de nous livrer une réflexion amère, froide, un peu dure, sur les chimères de l'enfance, les renoncements de l'âge adulte et les égarements de l'écrivain. Pour l'anecdote, il égratignera au passage les français, les critiques et les gens qui chroniquent des livres. Comment lui en vouloir ? Les trois sont détestables.
Véritables Saisons
Plutôt qu'une saga en trois volets (voire quatre si l'on compte Les Feux de l'Eden, livre dans lequel apparait Cordie, la petite fille pauvre, étrange et quelque peu obsédée de Nuit d'Été), il serait plus sage de considérer le cycle d'Elm Haven comme un diptyque composé de Nuit d'Été et Les Chiens de l'Hiver. Ces deux romans sont particulièrement complémentaires, bien pensés, sans défauts majeurs et d'une construction implacable.
Simmons se montre suffisamment inventif en matière de hantise et de spectre pour parvenir à créer un sentiment de malaise, d'étrangeté, voire presque de peur, ce qui est d'une rare difficulté en littérature (un auteur pas trop manchot peut facilement émouvoir ou dégouter, mais créer une atmosphère tendue et rendre le lecteur nerveux n'est pas si aisé (cf. cet article), même King, abusivement considérer comme le "maître de l'épouvante", est en réalité un auteur qui joue essentiellement sur l'émotion, pas la peur).
À savourer à la nuit tombée, ce moment où quelque chose d'enfoui et ancien, tout au fond de nous, fait inexorablement se fissurer ce verni de croyances cartésiennes qui tient les monstres à une distance respectable de nos préoccupations quotidiennes.
[1] Ce qui ne l'a pas empêché de remporter le prix Locus du meilleur roman d'horreur, tout comme Nuit d'Été qui lui le méritait, ce qui donne une bonne idée de la "valeur" de ce genre de récompenses, attribuées par des amateurs.
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