Hurlements
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Le recueil Hurlements, publié aux éditions Black Box en 2015, nous promet cinq histoires à perdre la raison et à hurler de terreur.
Chaque nouvelle propose un schéma des plus classiques  : un personnage se trouve confronté à une expérience surnaturelle, issue ou non d’une pseudo légende urbaine. Commis par Masaya Hakazono, un mangaka moult fois publié en France avec Inugami (14 tomes, en arrêt de commercialisation chez Akata/Delcourt), Emerging (2 tomes, Kurokawa), Freak Island (Delcourt, 5 volumes, en cours) et bien d’autres, dont une bonne partie en tant que scénariste, ce manga ne révolutionne en rien le genre.


Dans le premier récit, l’employé d’un vidéo-club se voit confier une VHS d’un film d’horreur amateur, La fille écarlate. L’adolescente en question, sœur décédée de l’auteur de la bande maudite, viendrait rendre visite juste après le visionnage, surtout si le spectateur possède lui aussi une sœur. L'homme ne peut s’empêcher de la regarder et... la fin se devine sans problème.

Le second traite d’un appartement hanté. Mme Shibata, employée d’une agence immobilière, acculée par son patron, doit tenter de faire louer un logement, dans lequel les habitants ne restent pas, en échange de la reconduction de son contrat. Elle subira des événements surnaturels, mais poussée par le chantage à l’emploi, elle va se démener pour purifier l’endroit, jusqu’à en perdre la raison.

Dans le troisième récit, Takayuki Morita, étudiant à l’aise financièrement, autant envié que haï par ses camarades, vit depuis six mois avec la présence du fantôme d’une jeune femme dont il ne connaît pas l’identité. Six mois durant lesquels il a cherché à s’en débarrasser (sel, amulettes...) en vain. Il commet par erreur l’irréparable... et la conclusion du récit se veut drolatique. Cette histoire illustre la frontière ténue entre l’humour et l’effroi. Pathétique et burlesque, la meilleure du recueil.

La quatrième nouvelle se déroule près d’un HLM. Un homme se fracasse sur le sol au milieu des habitants. Takaki, photographe de la police, apprend qu’il s’agit du douzième cas. Il constate une foule armée de smartphones, pointant leurs objectifs, malgré le cordon de sécurité sur la marque au sol, avide de sensations fortes et de voyeurisme putassier. Mais voilà qu’il commence à cauchemarder les badauds et qu’il découvre, dans les archives de la police, leur présence sur de nombreux lieux de suicides.

La dernière fiction se situe dans un grand hôpital. Tôyama, un stagiaire, est intrigué par l’un des pavillons à l’abandon. Ces camarades, qui le chambrent à cause de son sérieux, se délectent d’une légende urbaine selon laquelle le bâtiment est hanté par une belle jeune femme qui ensorcelle médecins et infirmières qui s’en approchent. C'est plus fort que lui, après une nuit de cauchemar, il pénètre dans le pavillon condamné, et découvre une adolescente qui grave des fleurs sur les murs et au sol d’une chambre, à l’aide d’une cuillère. Le lendemain, il vole son dossier médical et décide de l’aider, ce qui lui coûte son stage, pour son bien d’après son directeur. Contre tous, il poursuit son but. Une nouvelle lorgnant vers le fantastique au lieu de l’horreur, et qui se révèle touchante.

Malgré des histoires aux résumés sympathiques et possédant du potentiel, impossible de frissonner. Et ce ne sont pas les quelques litres d’hémoglobines qui changeront la donne. Les scénarii apparaissent sages, attendus, et ne cachent pas leurs influences flagrantes (Ring [1], Ju-on [2]...). La forme courte ne sied pas à cet auteur, réputé bon scénariste. Difficile d’éprouver de l’empathie pour les personnages et les chutes tombent parfois à plat. Plutôt des récits récréatifs, de petites parenthèses, qui surfent sur des acquis : un dessin sans prétention, mais qui ne cherche pas une forme horrifique par le biais de son encrage ou de déformations ; une mise en scène efficace mais sans éclat ; là aussi, pas de diagonale, pas de plans où la noirceur jaillit entre les cases. C’est propre, trop propre pour effrayer. L’auteur emploie souvent des photos en guise d’arrière-plans ou de lieux particuliers.

Moins inventif et subversif qu’un Junji Ito, moins viscéral et sombre qu’un Kazuo Umezu, Hurlements est un manga d’horreur grand public, proposant finalement quelque chose d'assez proche du conte, mais sans message ni double sens, avec une touche d’humour noir. Masaya Hakazono ne sort pas de ses thèmes de prédilections, à savoir horreur et science-fiction au sein d’un cadre urbain contemporain.


Hurlements demeure dans les standards des débuts de l’édition de Black Box : papier épais, couverture mate, sans jaquette ni rabat, marges intérieures, quelques coquilles mais une traduction claire et certains noirs d'impression trop denses, nuisant à la lisibilité.
Ce recueil, de 216 pages, s’avère un héritier sans saveurs des légendes urbaines nippones qui fleurissent depuis les années 80, dont la plus célèbre représentante par chez nous se nomme Sadako, issue des films Ring.
Une lecture détente pour combler l’ennui. À moins d’être archi fan et de se jeter sur Insomnia, un recueil en deux volumes toujours chez Black Box du même acabit, les autres travaux de Masaya Hakazono vous tendent les bras.


[1] Le film de Hideo Nakata d'après les romans éponymes de Koji Suzuki, sorti en 1998 : le visionnage d'une cassette vidéo entraîne la mort, une semaine après.
[2] Ju-on, une série de six films d'horreur japonais dont le premier sort en 2000, est réalisée par Takashi Shimizu et propose des variations sur la maison hantée.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La touche d'humour
  • Un seul volume
  • Des récits très convenus, sans réelle surprise
  • Un auteur qui ne sort pas de sa zone de confort
  • Impression aux noirs trop denses