Crisis on Infinite Earths
Publié le
13.8.18
Par
Vance
Les vieux briscards du monde super-héroïques comme les plus jeunes amoureux du genre ont forcément, à un moment ou un autre de leur parcours au sein du monde des comics, ressenti l'impact de Crisis on infinite Earths. Un impact tel que les effets sont encore perceptibles aujourd'hui - car cette série événement marqua une date définitive chez DC et influença radicalement la manière de concevoir les crossovers dans les grandes maisons d'édition.
Ainsi que l'explique l'auteur de ce fantastique défi, Marv Wolfman, dans la préface de l'édition 2000 de l'intégrale, Crisis n'était pas seulement un job, mais une mission : l'histoire qu'il avait toujours voulu écrire alors qu'il n'était qu'un gamin.
Pourquoi cette série était-elle à ce point nécessaire ? En partie parce que, à la différence notable de Marvel qui tentait tant bien que mal de faire cohabiter ses héros au sein d'un monde cohérent (sans pour autant négliger la possibilité de concevoir des univers alternatifs), DC Comics se retrouvait à l'aube des années 80 avec une quantité impressionnante de séries parallèles exploitant parfois de manière irraisonnée de multiples avatars d'un même héros.
Une petite parenthèse est nécessaire ici. Je n'étais pas, à l'époque, un grand connaisseur du monde que fréquentaient Superman, Batman et autres Flash ou Green Lantern : je les ai découverts pendant une période de grande boulimie super-héroïque, et les histoires qui me tombaient sous la main ne permettaient pas de dresser un véritable panorama du contexte dans lequel ils évoluaient. C'est presque par hasard que j'entrai en possession des albums #2 à #6 de la collection Super Star Comics publiée chez Arédit (édition 1987) : c'est surtout le nom de l'artiste qui avait attiré mon attention. George Pérez. Celui-là, je commençais à le connaître et surtout à l'admirer depuis son intervention chez les X-Men (les nouveaux, ceux de Cockrum & Claremont) : un épisode grand format, sorti dans la collection Album X-Men de Semic, et racontant un peu naïvement comment les mutants parvinrent à sauver un monde menacé de destruction. Ce qui était éblouissant, c'était la ligne claire, le trait précis et la méticulosité de la mise en page du dessinateur, qui fait encore aujourd'hui partie de mes préférés.
Bref, Pérez s'était associé à Wolfman pour tenter une fois pour toute de remettre à plat le multivers DC menacé d'implosion par la multiplicité des séries dérivées : à côté d'une série officielle sur Superman, on pouvait suivre les aventures du même personnage, mais jeune, tant à Smallville qu'au XXXe siècle au sein de la Légion des Super-Héros ; mais aussi plus âgé, avec des origines altérées, et donc, forcément, sur une autre Terre. Ainsi, il existait des Supermen sur plusieurs versions de notre planète, qui portaient du coup des numéros d'identification (Terre I, Terre II, Terre Prime, etc.) ; des univers alternatifs permettaient en outre de faire évoluer des héros "rachetés" à d'autres compagnies (les Freedom Fighters, le Captain Atom, la famille Marvel...). Tout cela était d'une complexité épouvantable.
À en croire les différents éditoriaux, le concept de remise à zéro était dans les cartons depuis un moment. Certes, c'était tentant de pouvoir générer des revenus en publiant les histoires de la Justice League of America en parallèle de celles de la Justice Society of America, tout en imaginant une Terre où Luthor serait le seul héros luttant contre un super Syndicat du crime (la Terre III), mais les lecteurs finissaient par s'y perdre.
Vint alors l'heure de Crisis.
L'accroche est simple : tous les univers sont menacés d'extinction, d'éradication pure et simple, par une vague d'antimatière impossible à stopper (la saga cosmique Annihilation en 2006 chez Marvel s'appuie sur un schéma similaire). Des milliers de mondes, des centaines de Terres ont déjà été englouties, sous les yeux d'un étrange individu, Pariah, qui, se prétendant maudit, ne peut qu'assister, impuissant, à l'anéantissement de milliards d'êtres. Survient alors Harbinger : mandatée par un certain Monitor, elle cherche à réunir les super-héros restant dans le but de sauver ce qui peut encore l'être. Mais le temps presse, et l'entité derrière la vague destructrice semble posséder plusieurs coups d'avance...
Crisis se lit encore très bien aujourd'hui. Certes, on peut sourire de la propension des héros et de leurs ennemis à raconter leur vie pendant les combats ou de l'utilisation un peu trop systématique de phrases à vocation dramatique : à chaque fin d'épisode, tout semble perdu, sauf l'espoir (et encore !). Mais la portée, l'ambition du projet ne peuvent que fasciner. Les cases regorgent, débordent presque de personnages, parfois anecdotiques, mais toujours représentés avec le plus grand soin : le sorcier d'Atlantis côtoie le chasseur du Néolithique, le G.I. aguerri, l'explorateur temporel, le touriste extraterrestre mais aussi et surtout les membres de la JLA, de la JSA, du Green Lantern Corps et d'autres héros plus ou moins solitaires. Un Superman aux tempes grises se bat aux côtés de son homologue plus jeune (qui n'a pas encore épousé sa Lois Lane) et d'un autre alter-ego encore plus jeune. On aperçoit des Flash dans des costumes différents, plusieurs Wonder Women... Et des Lex Luthor chevelus se retrouvent avec leurs versions chauves...
Wolfman prend son temps pour mettre en place la menace d'ampleur universelle et insiste sur la quasi-impossibilité de contrer des forces qui dépassent l'entendement, alternant des séquences où le vain héroïsme le dispute au désespoir : les encapés se battent au-delà de leurs limites et tentent de sauver ce qui peut l'être. Les faits d'armes sont nombreux, les hommages pleuvent mais ne sont que des gouttes dans l'océan de la dévastation cosmique. Et l'autre raison d'être de cette série se fait jour : non seulement il s'agissait de faire table rase de ces trop nombreux univers multiples, mais aussi de certains personnages. Les héros tombent, donc : avec dignité, un sens de l'honneur, du devoir et du sacrifice ostensiblement mis en avant, mais ils périssent. Pas le temps de les pleurer, il y a un univers à tenir.
Le rythme est soutenu et le profane se perdra parfois entre les différentes versions d'un même personnage, mais le principal est sauf : le script est suffisamment clair et intense pour captiver même ceux qui ne connaissaient pas Arion, Rip Hunter, Kole, Zatanna, Red Tornado, Darkseid ou les Teen Titans. De nombreuses passerelles sont dressées vers des séries annexes dans lesquelles certaines sous-intrigues seront résolues. Et surtout, définitivement (du moins, jusqu'à ce que DC estime le contraire), le monde DC ne sera plus jamais le même.
Chaque année, les grandes firmes annoncent des crossover promis au même destin : bouleverser radicalement le monde dans lequel évoluent leurs personnages. Et chaque fois, depuis 1985, le lecteur alléché a le même constat amer : ce qui a changé, véritablement, est minime. Beaucoup de bruit pour rien semble être le leitmotiv des events assénés par des éditeurs désireux de redorer le blason de leur société, d'accrocher de nouveaux lecteurs tout en ranimant la flamme chez les anciens. Néanmoins, en son temps, Crisis l'a bel et bien fait. Plus rien, depuis, n'a été pareil. Certes, on pourra toujours gloser sur le fait que les douze épisodes ont généré des échos ultérieurs (Zero Hour, Infinite Crisis) et aussi que certains décès supposés définitifs n'ont duré que quelques années. Il n'empêche que cette saga reste une date majeure dans le comic book de super-héros, éditorialement et artistiquement.
Après Arédit, 4 albums ont été publiés en France chez Semic, avant que Panini ne sorte une intégrale, puis ce fut au tour d'Urban Comics de sortir un pavé de 544 pages, en 2016, dans sa collection DC Essentiels. Et pour les anglophones, l'on peut trouver pour pas très cher une édition à couverture souple éditée en 2000 chez DC Comics.
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