Les Chroniques de la Lune Noire
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Un classique quasiment aujourd'hui avec les Chroniques de la Lune Noire, une saga fleuve mélangeant heroic fantasy et humour.

Le premier tome de la série date déjà de 1989 et avait été publié par Zenda. Pratiquement vingt ans après, le quatorzième, en 2008, conclut le cycle chez Dargaud.
À cela il faut pourtant encore ajouter une préquelle, une deuxième saison, ainsi qu'un hors-série faisant office de guide, plus une série dérivée et une réédition intégrale plutôt luxueuse et bénéficiant de quelques bonus. Et même quelques jeux, dont un wargame.
Autant dire que l'univers semble riche et les possibilités vastes.

À l'origine du projet, François Marcela-Froideval. Le scénariste est notamment connu pour avoir été l'un des fondateurs et le rédacteur en chef du célèbre magazine Casus Belli. Et si je vous dis qu'il est également auteur d'ouvrages pour AD&D, et qu'il revendique un certain talent en tant que maître de jeu (notamment dans l'interview publiée dans l'intégrale), vous aurez compris que c'est un spécialiste des jeux de rôles.
Et d'une certaine façon, cela se ressent dans son écriture. Et pas forcément en bien.
Voilà, autant donc commencer par le négatif.

L'écriture, notamment des premiers tomes, est assez... "spéciale". Pour ne pas dire lourde. Les actions s'enchaînent avec des pavés de texte descriptifs qui viennent raconter l'histoire plutôt que de la faire vivre aux personnages. Or, si cette façon de procéder convient très bien dans un JdR, où ce sont les joueurs qui vont apporter l'émotion, les ruptures et donner finalement tout son sel à l'intrigue, c'est en matière de BD une façon assez maladroite de raconter une histoire.
Et pas qu'en matière de BD d'ailleurs. Décrire froidement des évènements, même titanesques, conduit systématiquement à une sorte d'irréalité qui nuit grandement à l'implication du lecteur et au développement des personnages.
Mais alors, du coup, c'est naze ou quoi ?


Eh bien non. Déjà parce que ce défaut majeur tend à s'atténuer un peu au fil des tomes. Ensuite parce que Froideval parvient à mélanger deux éléments a priori incompatibles : un humour percutant, qui lorgne presque parfois vers la parodie, et des envolées lyriques non dénuées d'une certaine poésie.
Enfin parce que l'univers est foisonnant et recycle tous les clichés de l'heroic fantasy : magie, épées légendaires, dragons, elfes, nains, chevaliers, le tout sur fond de complots et de prophétie fatale.
Mais tout cela resterait finalement assez banal s'il n'y avait le charme incroyable des dessins.
Olivier Ledroit, puis Cyril Pontet dans les chapitres suivants, vont en effet donner une identité visuelle unique à la série.

Les planches font dans la démesure et impressionnent : armées gigantesques dont les milliers d'étendards claquent au vent, forteresses immenses n'en finissant plus de s'élever vers le ciel, batailles chaotiques et personnages aux lourdes armures, tout est fait graphiquement pour peser presque physiquement sur le lecteur et donner un souffle épique aux confrontations.
La mise en scène est d'ailleurs plus américaine que classiquement européenne : pas de traditionnel "gaufrier" ici, mais de nombreuses pleines pages, des dessins qui débordent parfois des cases et, globalement, une composition très comics.
Et il faut bien l'avouer, l'on verse parfois tout simplement dans le grandiose, comme lors du couronnement de Wismerhill, à Moork : sur une double page, la cité s'étend à l'infini, sous un ciel bas. La populace acclame son nouveau seigneur, enveloppé dans une longue et élégante cape et entouré d'immenses drapeaux. La scène est impressionnante, mais elle l'est encore plus lorsque l'on se rend compte qu'elle est enrichie de petits détails, parfois comiques, qui, sans atténuer sa majesté, lui ajoutent un second degré appréciable.

Si la narration est brutale et manque de nuances, ces Chroniques de la Lune Noire s'imposent finalement grâce à un style visuel vertigineux et un lyrisme ponctué d'humour.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des dessins au charme et à la puissance indéniables.
  • Une dimension politico-diplomatique intéressante.
  • Épique et drôle, un mélange plutôt rare.

  • Lourdeurs de la narration, qui tendent heureusement à s'atténuer au fil des tomes.