La Parenthèse de Virgul #27
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De l'évolution du Badass
Hello les Matous !
Pour cette nouvelle parenthèse, on va faire un pas dans le sale, dans la zone trouble, là où même les tigres ne s'aventurent que rarement. Brrr...
Bon, vous pensiez que John McClane et Martin Riggs étaient des flics un peu rebelles ?
Pff, haha, nan… aujourd’hui, on vous présente trois policiers (ou détectives privés) vraiment badass, du genre à faire passer ce bon vieux Harry Callahan pour un personnage de Disney.
Et du coup, on va essayer de dégager trois étapes essentielles dans l'évolution risquée qui consiste à recouvrir de sable et de sang la frontière imaginaire entre Bien et Mal.
Ouep. Carrément !





Sam Spade – Crasse, Corruption et Cynisme

Sam Spade est une création de Dashiell Hammett, qui introduit ce détective atypique dans le roman Le Faucon de Malte (plus connu de nos jours sous le titre Le Faucon Maltais). Spade sera également le héros de plusieurs nouvelles, mais c’est surtout son attitude et sa mentalité qui vont marquer à l’époque et même devenir le symbole d’un genre en soi : le hardboiled (littéralement « dur à cuire », que l'on adaptera bien souvent par « roman noir » en français).
Sam Spade est en effet l’un des premiers personnages de polar à louvoyer entre lumière et ombre, entre lois et méthodes peu avouables. Cynique, désabusé, quelque peu misogyne (mais nous sommes au début des années 30, l’époque est tout autre), Spade s’avère complexe et très humain au final. Futé mais pas parfait, ambigu, le personnage navigue dans un flou moral fascinant qui permet aussi de rendre compte de la complexité du milieu dans lequel il évolue.
Malheureusement, sa plus célèbre incarnation au cinéma, sous les traits d’Humphrey Bogart, va largement aseptiser un Sam devenu bien plus propre et présentable. Ainsi, alors qu’il va clairement être le modèle servant à la création de Philip Marlowe (et des nombreux personnages qui reprendront ce modèle non manichéen et ce profil de gentil salopard malmené par un système corrompu), le grand public n’en aura, par le biais d’Hollywood et de sa machine à affadir les meilleurs alcools, qu'une image tiédasse et niaise.


Bud White – Valeurs, Violence et Vérité

Bud White, à la base, est également issu d’un roman. De James Ellroy cette fois. Par contre, son incarnation au cinéma, dans L.A. Confidential, sorti en 1997, sera bien plus respectueuse du personnage.
Bud est un flic violent, taciturne, qui s’arrange avec la loi tant que cela sert la justice. Le gars cogne dur, est fidèle en amitié, et s’avère être une boule de haine et d’impulsivité. Ce qu’il ne supporte surtout pas ? La violence envers les femmes. Il va ainsi proposer une "danse" à un repris de justice qui était en train de tabasser sa compagne. Inutile de dire que quand on danse avec Bud, on risque de s’en souvenir.
L’on apprendra par la suite que Petit Bud, étant gamin, a vu son père buter sa mère alors qu’il était attaché et ne pouvait que contempler l’horreur qui se déroulait devant lui. C’est le genre d’enfance qui déglingue bien un gosse. Et qui le remplit d’une violence sans fin. Par contre, il a toujours le choix, en la canalisant, de sélectionner ses victimes. Bud, lui, a choisi d’être un mec bien. Pourtant, le système le considère comme une brute, et lui-même n’a pas une très haute opinion de lui, mais impossible pour le lecteur ou le spectateur de ne pas prendre le parti de ce type aux principes aussi rigides qu’une barre à mine mais au cœur tendre.


Vic Mackey – Pression, Pleurs et Perdition

Vous trouviez Sam un peu trop borderline ? Ou Bud quelque peu violent ? Nous voilà rendu à un niveau supérieur. Pas à un niveau supérieur de violence, mais de morale fluctuante.
Vic Mackey est bien entendu le personnage principal de l’excellente série The Shield. Interprété par un Michael Chiklis brillant, au physique atypique, Mackey va longuement hanter les rêves et cauchemars de ceux qui auront assisté à la destruction presque systématique de tout ce qui comptait dans la vie de ce personnage.
Il faut dire qu’il est marqué, dès le départ, par une action criminelle inattendue (et ultime) qui va peser sur sa vie pendant des années. Ce choix difficile, qu’il pensait être le meilleur sur l’instant, bien loin de le protéger, va le conduire à sa perte. Une perdition particulièrement douloureuse, vicieuse et cinglante. Cela va durer 7 saisons, à un rythme ahurissant (seule la quatrième est un peu en dessous).
L’épisode final est en général fort en émotion chaque année, mais celui de la septième et ultime saison est un pur chef-d’œuvre d’écriture et de lyrisme.
Que dire de Mackey, si ce n’est qu’il est à la fois ce que l’on aimerait être et ce que l’on ne voudrait jamais devenir, sorte de fusion ultime de ce flou excitant entretenu, presque un siècle auparavant, par un Spade balbutiant...


Real Badass

Si l’on se sert de ces trois personnages, l’on peut dresser une sorte de cartographie de l’évolution du badass.
Le premier stade, que l’on appellera l’étape Spade, est un jeu. Le personnage sait où est la frontière, il s’amuse à la franchir, tout en admettant que le monde est finalement fait de nuances de gris plutôt que de blanc et de noir. Il est un peu amer mais il garde le cap. Et si les cartes semblent brouillées, c’est surtout pour les observateurs.
Le deuxième stade, que l’on appellera l’étape White, est un peu plus tactile. Le personnage ne se contente plus d’aller de l’autre côté pour se faire peur ou tendre un piège. Il y va régulièrement. Parce qu’il en a besoin, parce que ça fait partie de lui. Mais, s’il cogne sur des salauds et pisse sur la loi, c’est encore pour servir la justice. Ou la représentation qu’il s’en fait. Il peut encore se sentir bien.
Le troisième stade, que l’on appellera l’étape Mackey, représente le réel basculement. Pourtant, le personnage se croit encore bon, intelligent, juste, mais il n’existe plus de limite reconnue comme telle à ses agissements. À ce niveau-là, le personnage badass, dans la fiction, sert bien plus ses intérêts que ceux de la justice. Et pour l’observateur extérieur, plus rien, ou presque, ne le distingue du criminel.

Et, au-delà de la fiction et de ses durs à cuire plus ou moins célèbres, il y a sans doute dans ces étapes essentielles un peu de l’évolution de la société, voire même de l’évolution des individus. Tout cela à divers niveaux, bien entendu, et de manière plus ou moins métaphorique… mais, combien d’entre nous peuvent se vanter de ne pas avoir dérivé d’un Spade certes amer mais encore élégant, vers quelque chose de plus sombre, de moins avouable ?

Si nos héros, au fil du temps, deviennent moins propres, c’est sans doute que, quelque part, nous ne sommes plus tout à fait certains de notre hygiène morale. C’est sans doute aussi que l’on sait, depuis bien longtemps, que l’on ne sera jamais un super-héros de comic ou un super-vilain, mais probablement un amalgame bizarre, entre les deux, une sorte de salopard sympathique et humain, ce qui vaudra toujours mieux qu’un gendre idéal avec du sang sous les ongles et une collection de dents qui ne lui appartiennent pas dans le tiroir de son bureau.

Voilà, ça ne se termine pas sur une note très gaie, mais comme ça, si tu étais de ces béotiens qui employaient "badass" dans le sens de "cool", "chouette" ou "trop bien", tu sais maintenant que t’es à l'ouest et que le terme désigne quelque chose de brûlant, gênant et peu enviable. En même temps, quand il y a "mauvais" et "cul" associés dans le même terme, ça sent plus les hémorroïdes et les grimaces de douleur que le thé vert et les sourires extatiques.
Miaw !