Autant ne pas essayer de le cacher, vu que le titre est plutôt explicite :
Les Voyages de Gulliver est une bande dessinée librement adaptée du roman de Jonathan Swift par Bertrand Galic,
dessinée par Paul Echegoyen et éditée par Soleil dans sa collection Noctambule.
Lundi 2 août 1701, le capitaine Robinson
Engage Lumuel Gulliver pour être médecin de bord.
Il lui promet que nul géant ni nul Liliputien ne vont
Croiser leur route en leur périple à leur bâbord ni leur tribord.
Mais périlleux est le chemin vers les Indes orientales.
Et quand la tempête laissa sa place à la piraterie,
Gulliver fut abandonné sur un archipel minéral
Avec pour unique obsession l’âpre combat pour sa survie.
C'est toutefois rapidement qu'apparaîtra un lieu volant.
La magistrale Laputa et ses habitants lunatiques.
Gulliver y apprend les us et le langage de ces gens
Avant de tant s'y ennuyer qu'il part pour le sol asiatique.
Durant ses inlassables efforts pour regagner son doux foyer,
Il verra bien d'autres merveilles et bien autant d'enseignements.
C'est ce chemin que notre ouvrage continuera d'explorer
Pour qu'au final tout ce voyage semble n'être qu'enchantement.
Bizarreries et rêveries, admiration et réflexion.
Un monde nous sera ici oniriquement esquissé.
Mais même dans sa poésie, il n'oublie pas la raison
Car il interroge l'avis de son lecteur interloqué.
C'est beau, c'est bon et dessiné avec un goût pour les estampes.
C'est un objet original doté de forts jolis atours.
Les Voyages de Gulliver, c'est une aventure prenante
Ainsi qu'un projet visuel qui vaut largement le détour.
Voilà. Comme le fait la bande dessinée elle-même, je livre le fond sans négliger la forme avec même, selon moi, un accent assez prononcé sur la forme. Mais Victor Hugo lui-même ne disait-il pas que "la forme, c'est du fond qui remonte à la surface " ? En ce sens, cette libre adaptation de la troisième partie des voyages de Gulliver réussit le pari de nous délivrer une transcription graphique aussi intrigante et poétique que les écrits originaux.
Ben, où qu'ils sont, les Lilliputiens ?
Pas là. Non, vous ne les trouverez pas dans ce tome. Pas plus que vous ne trouverez de Brobdingnagiens...
Jonathan Swith, l'auteur de
Travels into Several Remote Nations of the World. In Four
Parts. By Lemuel Gulliver, First a Surgeon, and then a Captain of Several Ships (ouais, c'est le titre original in extenso de
Les voyages de Gulliver), a écrit son livre en quatre parties. Les deux premières sont vraisemblablement des allégories du krach de 1720 (un des premiers krachs financiers consécutif à la bulle des mers du Sud). Les changements de taille relative de Gulliver selon qu'il rencontre les petits Lilliputiens ou les géants Brobdingnagiens sont souvent analysés comme étant une métaphore de l'agrandissement puis du rétrécissement des capitaux engagés dans ce krach... Parfait point de départ pour se gausser des travers de la société de son époque. La première partie à Lilliput est la plus connue, certes. Mais dans la troisième partie dont on nous livre ici une mise en images, notre ami va rencontrer plusieurs civilisations qui seront autant d'occasions de railler certains de nos travers.
Première destination : Laputa... Non, ce n'est pas une dame mexicaine à l'affection monnayable, bande de pervers, mais une cité volante, flottant au-dessus du pays de Balnibarbi grâce à un complexe
système reposant sur une pierre magnétique.
Elle est habitée par des nobles se servant de la cité comme d'une arme pour menacer leurs sujets qui refuseraient de payer les impôts.
Souvent, les
habitants de Laputa, plongés dans leurs réflexions, perdent toute perception de ce qui les entoure jusqu'à ce que des gens leurs sonnent les cloches et qu'ils reviennent au monde réel.
Je dis ça, je ne dis rien, mais... la crise actuelle manque apparemment cruellement de sonneurs, au vu des décisions totalement déconnectées du réel que nos nobles hauts perchés dans leur Laputa personnelle parviennent à nous pondre ces derniers temps. Pardon ? Pas de politique ? Mais tout est politique, mon ami. Tout. Pour preuve : la suite.
Deuxième destination : Balnibarbi. Une contrée où les fonds ne servent qu'à alimenter les recherches de
la science, ce qui génère une grande pauvreté du peuple. On y découvre l'académie
de Lagado où des savants à la pointe de la science spéculative perdent tout sens commun, inventant les théories les plus folles et les mettant en application envers et contre toute forme de logique ou d'adaptation au monde réel...
Cette critique de la science mise au-dessus de tout ne vous rappelle pas un peu la façon dont nos pays sont actuellement laissés entre les mains des sciences sanitaires ? Voire tout simplement et plus généralement, cette idée étrange et très moderne (moderniste ?) consistant à considérer que si la science peut le faire, alors, eh bien qu'elle le fasse... Je me suis toujours rêvé en ours... si la science parvenait à me faire devenir un plantigrade hibernant plusieurs mois d'affilée, serais-je supposé céder à la tentation juste parce que c'est possible ? Une fois de plus : je dis ça, je ne dis rien ! Et voyez en mon dernier exemple ce que bon vous semble : je ne critique aucun choix, je me demande juste si l'existence d'un choix est légitime pour la seule raison que la science est capable de nous l'offrir. C'est une interrogation, pas un jugement. Le genre de question que les gens de Balnibarbi ne se posent plus...
Troisième destination : Luggnagg. Un pays comptant parmi sa population des êtres immortels appelés Struldbruggs. Ils ne peuvent pas mourir mais vieillissent quand même. Ils sont rongés par les maladies, oublient leurs proches et finissent oubliés de tous dans une éternité de solitude... Un peu comme certains de nos anciens dans les hospices (les ehpad, pour les français), non ? Vous savez, ces gens que l'on protège de la mort sans même leur avoir demandé leur avis, les isolant du monde et de leurs proches jusqu'à ce qu'ils ne soient plus qu'un souvenir spectral...
Quatrième destination : Glubbdubdrib. C'est une île où réside un gouverneur nécromancien. Rappelant des figures historiques au bon vouloir de Gulliver, il va petit à petit prouver au voyageur que l'histoire qu'il connaît est bâtie sur
de nombreux mensonges et erreurs. À noter que, malheureusement, cette étape est expédiée et peu intéressante dans la bande dessinée. C'est bien dommage parce que, mine-de-rien-j'-dis-ça-j'-dis-rien... Une histoire redessinée selon les besoins, des décisions prises sans s'appuyer sur l'expérience des anciens... ça nous parle pas mal aussi, de nos jours ! Tout est politique, je vous dis !
Oui, mais... et la BD, alors ?
Soyons clairs et aussi directs que possible. Cette Bd est belle pour peu que vous soyez sensible à ce trait un peu naïf qui la caractérise. Elle baigne dans une palette de tons ocre, gris, sépia qui lui confère un aspect nostalgique et antique qui lui sied bien. La palette, d'ailleurs, donne une partie de sa maturité à l'oeuvre qui, avec un choix de couleurs plus vaste, aurait sans doute semblé un peu enfantine en raison de la simplicité des traits du dessinateur lorsqu'il s'agit de retranscrire une morphologie.
Des choix artistiques ont été faits et ils sont parfaitement pertinents. Les assez nombreuses pleines pages en témoignent, d'ailleurs !
Si j'avais un reproche à faire, ce serait le survol un peu rapide de l'aspect philosophique de cette épopée. Tel Gulliver, nous sommes témoins des us et travers de différentes civilisations. Mais, là où la prose initiale, par son débit naturel, nous laisse le temps de réfléchir à la métaphore initiée par l'auteur, la bande dessinée et son rythme de lecture plus élevé nous fait tourner les pages trop vite sur certaines critiques bien vues de nos sociétés humaines... La partie consacrée à Glubbdubdrib étant en cela une réelle déception pour moi : l'aspect métaphorique n'y étant même pas simplement expédié mais quasiment expurgé.
Toutefois, si vous avez envie de lire ou offrir une belle bande dessinée à la couverture richement décorée et semblant presque couverte de feuille d'or en quatrième de couv', une bande dessinée qui fait voyager, qui fait rêver, qui fait sourire et qui fait réfléchir si l'on en prend le temps et qu'on s'en donne la peine... n'hésitez pas !
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Les points positifs |
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Les points négatifs |
- Bel album.
- Adaptation libre mais néanmoins assez fidèle.
- 114 pages de dépaysement.
- Du rêve, de la réflexion, de l'aventure.
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- Le trait peut rebuter certains. C'est un style faussement simple qui ne plaira pas à tous.
- L'aspect philosophique et critique de l'œuvre originale est un rien trop survolé.
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