Collections, figurines & symboles
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Est-on immature ou trop matérialiste lorsque l’on accorde de l’importance à des figurines, des bustes, des objets, des jouets, armes et vaisseaux issus de BD, films, séries TV et romans populaires ? 
Ben, on va tenter de répondre à cette question pour savoir si oui ou non on est des vrais putains de connards.

En général, la réponse des médias, c’est "oui". Grosso modo, si on lit des BD après 15 ans ou si l’on a chez soi des petits bonhommes colorés, on est au mieux un adulescent refusant de grandir, au pire un handicapé social. Je n’invente rien, j’avais d’ailleurs longuement commenté à l’époque (sur l’ancien UMAC) les reportages d’Envoyé Spécial et 66 Minutes sur le sujet (des merdes télévisuelles très orientées et malheureusement assez représentatives du manque de travail de certains journalistes). 
Si l’on essaie de s’intéresser sérieusement et objectivement à la question, la réponse sera, pour le moins, très certainement plus nuancée. 

Tout d’abord, il y a certainement une question générationnelle à prendre en compte. Nos arrière-grands-parents ou grands-parents décoraient leurs demeures avec des bibelots et napperons qui, forcément, conviennent moins à des adultes nés dans les années 70 ou 80. Et plutôt que de subir une décoration sinistre et passe-partout (dont Renaud fait une très bonne description dans sa chanson, La Mère à Titi), bien des gens ont souhaité s’entourer d’objets représentant des univers qu’ils aimaient et qui ont été synonymes de moments forts dans leur jeunesse ou plus récemment. Une figurine de Tintin, un vaisseau de Goldorak, un buste de Spider-Man, une épée de Game of Thrones, une carte de la Terre du Milieu, tous ces objets sont des éléments de décoration modernes et ne disent rien du niveau intellectuel de celui qui les possède. Car l’on peut être mature, avoir un vrai travail, des enfants que l’on élève correctement (selon leurs propres dires une fois devenus adultes), et s’intéresser à Magic ou aux Heroclix. Être adulte n’empêche en rien de rêver, se détendre, jouer ou se passionner. Et être responsable ne signifie pas faire la gueule et devenir sinistre. 

Il faut dire qu’il existe à l’heure actuelle une mode de la déresponsabilisation qui ne va pas dans le sens de l’adulte épanoui et libre que je décris. Notamment concernant les jeux vidéo, associés dans des pubs contre l’addiction à des psychotropes et considérés comme des drogues… 
Pourtant non, un jeu vidéo n’est évidemment pas dangereux en soi. Et il n’induit aucun effet physique ou psychologique (pas plus que la collection de timbres ou la pêche à la ligne en tout cas). Si un gamin meurt en jouant parce qu’il arrête de se nourrir, ce n’est pas le jeu qui est en cause. C’est son comportement de demeuré. Mais, évidemment, il est bien plus facile de dire à des parents que leur rejeton est victime d’une cause extérieure plutôt que de leur avouer qu’il est juste trop con pour survivre (et qu’ils l’ont mal élevé en prime). 

Globalement, donc, tous ces films, BD, romans ou jeux qui nous passionnent, et tous ces objets que l’on collectionne, ne sont ni dangereux ni révélateur d’un quelconque état. 
Mais alors, qu’est-ce qu’ils représentent ? Car, mine de rien, on sent bien qu’ils sont importants pour nous. 

C’est vrai, ils sont importants. Ils sont chargés en symboles et en moments forts. Ils représentent des moments merveilleux, effrayants, exceptionnels, vécus par procuration. Donc, par nature même, des moments qui nous ont fait grandir et non stagner. Certains psychologues de pacotille oublient un peu vite le phénomène de catharsis voire d’abréaction que la fiction induit. Et même sans cette libération essentielle, cette hygiène de l’âme, il faut encore accorder à la fiction une fonction importante de divertissement et d’expérimentation qui participe au développement normal et équilibré de tout individu.
Et même si l’on mettait tout cela de côté, il reste encore essentiellement le simple libre arbitre. Pourquoi un divertissement ou un élément de décor serait-il plus noble par le simple adoubement d’une quelconque intelligentsia, des médias ou de certains rabougris à la prétention grande mais à la vue anormalement basse ?


 
Maintenant, certes, il faut prendre également en compte le côté purement matérialiste, qui est somme toute inquiétant. Il n’est pas totalement idiot de penser que, comme le veut l’aphorisme, ce que l’on possède finit souvent par nous posséder. Mais que faudrait-il faire alors ? Vivre nus dans des cavernes ? C’est mal barré pour l’instant (et peu souhaitable malgré le mythe, toujours entretenu, du bon sauvage supérieur au salaud civilisé).
Il convient en effet de relativiser cette vision, par trop absolue et sans nuances. Car, si l’on ne peut être l’esclave des choses, les choses demeurent nécessaires à une vie épanouie. 
Prenons un exemple extrême : les tombes. 
Lorsque nos proches s’en vont, bien souvent et bien paradoxalement, ils nous accompagnent. L’on sent leur présence, on leur parle, parfois, ils hantent nos pensées de manière bienveillante. L’on sait qu’ils sont plus que la carcasse sans vie qui est en terre. Et pourtant, l’on a tendance à revenir sur leur tombe, ou le lieu où l’on a dispersé leurs cendres. L’être humain est ainsi fait qu’il a besoin de concret, de symboles, de lieux où déverser ses larmes ou ses paroles. 

Comme en toute chose, il convient sans doute de conserver un juste milieu. Tout ne doit pas, tout le temps, à n’importe quel prix, s’incarner. Mais pourquoi un souvenir serait-il néfaste ? Surtout que, les symboles et souvenirs, de tout temps, ont été conservés et "collectionnés" par les civilisations. Statues, monuments, cathédrales, monolithes, pyramides… en voilà du matériel ! Timbres, pièces de monnaie, cartes postales, photos… en voilà de la collection !
À chaque époque, sur chaque continent, l’être humain a voulu combattre le temps et soutenir la mémoire, en élevant des constructions insensées ou simplement en conservant chez lui quelques pacotilles lui rappelant l’essentiel. Nous sommes donc loin du matérialisme qui aliène l’humain, l’objet faisant ici plutôt office de support pour l’esprit, de béquille symbolique, de terreau subtil pour une mémoire s’épanouissant sereinement. 

Je ne voudrais pas que l’on se méprenne sur ma démarche. Je ne me défends de rien. Je n’ai à obtenir l’aval de personne. J’explique d’une manière dépassionnée et concrète ce qui me semble être la vérité, en tout cas ma vérité. 
Mais, même si cela allait contre l’idéologie dominante, je continuerais à accorder de l’importance aux choses. Je ne les place pas au-dessus des humains ou des animaux, j’estime juste qu’elles ont aussi leur place dans un mode de vie à peu près sensé. 
Je ne suis en rien limité par ces objets. J’aime ce qu’ils représentent, ce qu’ils me rappellent, ce qu’ils disent de moi, que ce soit des figurines, des éléments de décor, des armes ou des modèles réduits.  
Je crains que ce qui cause de nos jours débats stériles et emportements stupides ne soit rien d’autre que le manque de hiérarchisation des priorités. 
Je pourrais sacrifier tous mes objets de collection pour sauver un chat.
Et je sacrifierais mon chat pour sauver un être humain (pour peu qu’il ne soit pas mon ennemi).
Et tant que le symbolique n’empiète pas sur le vivant, le symbolique a non seulement sa place dans nos vies, mais il est même d’une importance cruciale. Car contrairement à ce que les imbéciles prétendent, le symbole n’a pas vocation à se substituer à la réalité (pas plus qu’une tombe, pourtant socialement très acceptée) mais à aider à la supporter.

Dans un même ordre d'idée, je ne crois pas non plus à une quelconque communauté de la pop culture. 
Ce n’est pas parce qu’un individu aime les mêmes films, romans ou BD que moi, qu’il collectionne les mêmes figurines, jeux ou bustes, que je suis automatiquement proche de lui. Une personne ne se définit pas par ses seuls hobbies (pas plus qu’elle ne se définit par son seul métier ou ses seuls défauts). Ce n’est pas parce qu’on trouve de l’intérêt dans des symboles identiques que l’on est "frères" de je ne sais quoi. C’est l’inverse. C’est parce que l’on partage des expériences fortes et communes que l’on crée des symboles communs. Et une fiction, ce n’est pas, et ça ne sera jamais, une expérience "forte et commune". Au contraire de la guerre par exemple (c'est souvent, malheureusement, le négatif qui soude, on peut facilement devenir "frères d'armes" mais l'on devient rarement "frères de Saint Seiya"). La fiction et ses représentations symboliques demeurent un domaine certes utile, mais personnel et léger. Voilà sans doute aussi pourquoi il convient de faire peu de cas des journalistes morandinèsques, des psychologues à la formation incertaine et aux buts inavoués, ou des petits juges des réseaux sociaux, qui condamnent vite et violemment des domaines dont ils ignorent tout. Pour eux, tout est grave et matière à polémique. Mais nous, collectionneurs, savons bien que nos objets ne sont ni des entraves ni d'aliénants totems, mais des bulles et parcelles d'imaginaire, de douces et nobles parenthèses qui font partie de nous mais ne nuisent nullement à nos vies sentimentales ou professionnelles et ne font certainement pas de nous des trous du cul retombés en enfance ou des irresponsables.
Ces objets ne bornent pas nos limites mais jalonnent notre parcours. Ce sont les cailloux semés pour retrouver métaphoriquement le chemin de nos souvenirs fictionnels. Une trace dans l'imaginaire. Un panneau vers nous-mêmes. 



Nos cœurs et nos greniers sont des cimetières d'objets.
Monique Corriveau