Texas Blood
Publié le
30.6.21
Par
GriZZly
Un néo-western dans un bled poussiéreux du Texas, ça vous tente ?
Le Texas, en dehors de Austin, c'est un peu l'enfant honteux qu'aurait eu un État américain normal avec une prostituée chauve syphilitique... c'est en tout cas comme ça qu'il nous est présenté dans le comic Texas blood dont le tome 1 est édité par Delcourt. Bon, ce n'est pas littéralement présenté comme ça mais c'est l'effet que ça m'a fait et, ma foi, ce n'est pas fait pour me déplaire. C'est un Texas de sueur et de sable, de sang et d'argent ; un État dont la campagne ne compte plus le nombre de gosses traumatisés par des parents ravagés, le nombre d'épouses déglinguées par celui qu'elles aimaient, le nombre de coup bas, de vengeances, de trahisons et de coups de pute.
À mi-chemin entre le western moderne et le roman noir, Texas blood nous présente Joe Bob Coates, shérif de 70 piges du comté d'Ambrose dont la journée d'anniversaire est, dès le début de l'histoire, endeuillée par deux morts violentes de proches. Ce genre de morts qu'on voit venir, ce genre de morts qu'on appelle pudiquement des drames familiaux ; ce genre de morts qui couvent et se préparent pendant des années derrière les portes fermées et les volets clos. Ce genre de morts qu'un shérif ne saurait empêcher mais qui lui plombent immanquablement le moral et pèsent sur sa conscience.
Quand s'ajoute à cela le décès sans doute mérité mais toujours regrettable d'une petite frappe locale, Joe Bob sent bien qu'il va passer une semaine merdique comme Ambrose sait lui en réserver de temps à autre. Et quand débarque en ville le frère écrivain du voyou qui s'est fait refroidir, de retour chez lui après plusieurs années d'exil, le radar à emmerdes de Joe Bob s'affole. Avec lui, nous assisterons à la réactualisation d'une histoire vieille comme le monde et que le western a entretenue à travers des kilomètres de pellicule : une histoire de vengeance aveugle et violente dans un décor de désert... reste à y ajouter quelques touches de polar, pour que tout ne soit pas ce qu'il semble être !
Texas blood n'est pas la première œuvre de fiction aspirant mettre la moiteur texane au profit de l'atmosphère du polar mais il nous faut constater que ce comic le fait fort bien.
Scénaristiquement, Chris Condon coche pas mal de caractéristiques du genre en évitant toutefois de céder à toutes, histoire de fournir un récit un rien personnel et original.
Joe Bob est un vieux flic fatigué, tenté par la retraite et sans doute "trop vieux pour ce genre de conneries". Il est ballotté dans cette histoire d'un événement à l'autre, sans vraiment pouvoir éviter les catastrophes mais en s'en faisant le témoin impuissant Son expérience de vieux flic lui permet de pressentir la façon dont les choses vont tourner (et, bien entendu, elles tourneront rarement pour le mieux) mais le traitement réaliste et volontairement pessimiste hérité du polar l'empêchent d'être l'adjuvant qui sauvera la situation : quand il comprend ce qui va arriver, ça arrive et il est trop tard... Le polar a ça de particulier que l'ambiance l'emporte sur les faits et les faits l'emportent sur la volonté des personnages.
L'ambiance, ici, troque l'obscurité menaçante et humide des ruelles mal famées d'une métropole américaine pour les routes asséchées et les déserts.
Les faits sont on ne peut plus classiques pour du roman noir, avec leur lot de crimes et de cicatrices du passé qui refont surface.
Les personnages, eux, sont archétypaux, comme souvent, mais le shérif a cet atout intéressant d'être un homme bien et pour lequel on se prend d'emblée de sympathie. Un peu désabusé, très fatigué, mais intrinsèquement bon et serviable. Cela nous change de ces sempiternels détectives (privés ou non) alcooliques et dépressifs, cyniques et brutaux, qui peuplent les romans policiers noirs. L'énorme avantage de ce choix étant évidemment que l'on s'engage avec plaisir à suivre les journées compliquées de ce brave gars ; ce qui est un avantage, quand on bâtit les prémices d'une série.
Visuellement, Jacob Phillips nous livre une copie au trait réaliste et à la colorisation hachurée verticalement qui confère aux dessins un aspect "écrasé par la lumière accablante du soleil" qui s'avère être parfaitement de circonstance. Le genre d'illustrations dont je ne suis pas client de prime abord mais qui, après la lecture du comic, me semble être la seule approche qu'il eut été possible d'en faire pour transmettre précisément les émotions et le message que l'auteur ambitionnait de faire passer. Bon boulot, donc !
D'ailleurs, en dehors du classicisme assumé de l'intrigue, il n'y a aucun souci majeur à reprocher à ce tome : le héros donne envie de le suivre, les méchants ont leurs raisons de l'être, les victimes tentent de se rebeller mais, dans la plupart des cas, quels que soient leurs choix ou leurs décisions, le sort s'acharne et le destin les rattrape.
Le comic interroge précisément cette fatalité qui ramène l'enfant du pays dans cette bourgade qu'il avait fuie et qui lui rappelle qui il est, sous les multiples couches de faux-semblants et de vernis civilisationnel. Peut-on indéfiniment fuir son passé ? Est-il possible de faire la paix avec lui ? Peut-on l'affronter et en sortir victorieux ?
Le deuxième thème de réflexion questionne notre animalité à tous. Ne serions-nous pas que des bêtes dissimilées sous nos aspects soignés, nos cheveux coiffés, nos frusques et nos lunettes ? Ne sommes-nous pas tous animés par une viscérale pulsion de meurtre qui ne serait qu'à grand peine jugulée par notre éducation et nos lois ?
Le deuxième thème de réflexion questionne notre animalité à tous. Ne serions-nous pas que des bêtes dissimilées sous nos aspects soignés, nos cheveux coiffés, nos frusques et nos lunettes ? Ne sommes-nous pas tous animés par une viscérale pulsion de meurtre qui ne serait qu'à grand peine jugulée par notre éducation et nos lois ?
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