Les sorcières d'Akelarre
Publié le
14.12.21
Par
GriZZly
Un film de sorcières sans la moindre sorcière.
Ce qui ne l'empêche pas d'être ensorcelant quand même.
Et envoûtant. Mais sans sort ni envoûtement.
Abordons céans Les sorcières d'Akelarre, gentes gens. Et ceci en raison de la sortie récente de cette œuvre cinématographique sous forme de rondes galettes cocassement nommées Rayons Bleus et Dévidés. Étrange époque que nous vivons là !
L'œuvre est estampillée des armes de Pablo Agüero à qui l'on doit déjà Salamandra (2008), 77 Doronship (2009), l'intrigant documentaire Madres de los dioses (2015) fourni en bonus sur le support de ce film-ci, Eva ne dort pas (2015) et A Son of Man (2018). Le gars est argentin mais mirez donc une de ses interviews et vous verrez qu'il maîtrise avec brio la langue de Molière... mieux que pas mal de francophones de naissance, d'ailleurs.
D'hier et d'aujourd'hui
Frappé par cet ouvrage et son approche du procès des prétendues sorcières, le cinéaste a choisi de s’affranchir des codes habituels des récits historiques pour nous livrer un film adoptant non plus le point de vue des inquisiteurs mais celui des jeunes femmes accusées de crimes qu'elles ne comprennent même pas. Par le biais de la retranscription du traitement arbitraire subi par un groupe de jeunes filles du XVIIème siècle, Pablo Aguëro dénonce l’oppression intemporelle exercée sur les femmes, les pauvres et les cultures minoritaires.
Souvent, ce genre de projet a de nobles, grandes et belles ambitions mais échoue à les concrétiser. Eh bien sachez qu'il n'est pas question de ces tentatives foirées ici ! Ce qui signifie que ce film est une réussite. Nos amis espagnols de l'Academia de las artes y las ciencias cinematográficas de España en attestent d'ailleurs, puisqu'ils lui ont décerné par moins de 5 Goya, le 6 mars 2021, faisant de lui le film le plus récompensé de l'histoire de cette prestigieuse cérémonie. Mais nous y reviendrons.
Non content d'être un beau film, c'est aussi un film utile et peut-être même important.
Alors jetons au loin le dernier Fast and Furious, balançons le dernier Marvel au feu et oublions un temps ce besoin impérieux de poser notre cerveau sur l'accoudoir qui semble être le fond de commerce du cinéma populaire actuel.
Avec Les sorcières d'Akelarre, nous allons avoir droit à un film d'auteur qui a le bon goût de ne pas sombrer dans l'intellectualisme et la posture, qui se fait plaisant, compréhensible et instantanément appréciable. Il y a dans sa démarche une fraîcheur et une sincérité qui servent à merveille un propos intemporel qui nous concerne tous. Mais venons-en aux faits : de quoi c'est-y qu'ça cause ?
L'histoire
Les Sorcières d’Akelarre nous présente six jeunes filles d'un petit village paisible dans le Pays Basque espagnol. En ce début de XVIIème siècle, avoir des envies de chanter dans un dialecte ancien, de flâner entre amies dans les bois et de s'adonner à une sexualité libérée peut aisément valoir une accusation de sorcellerie... Enfermées par un juge en quête de renseignements sur le fonctionnement du sabbat, questionnées, torturées et promises au bûcher, les six amies, menées par Ana, décident de gagner du temps en trouvant des stratagèmes pour retarder leur exécution, espérant le retour rapide de leur pères et de leurs frères qui ne saurait tarder... Cela poussera les jeunes femmes à satisfaire l'imagination malsaine du juge jusqu'à se plier pour lui à une reconstitution paroxystique d'un sabbat prenant aux tripes.
Pierre de Lancre et l'Espagne
On pourrait voir Pierre de Lancre, l'auteur de Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons qui inspira ce film, comme l'un des premiers à avoir mentionné le mythe du sabbat des sorcières tel qu’on le décrit encore parfois de nos jours. Les autres juges de cette époque faisaient souvent courir l'idée que les sorcières n'étaient que de vieilles guérisseuses dégueulasses percluses de verrues qui empoisonnaient de crédules bambins... Pierre de Lancre, lui, admet explicitement qu'elles étaient plutôt généralement jeunes, belles et libérées... trop jeunes, trop belles et trop libérées ! Ces gamines et jeunes femmes, selon ses dires, "l’ensorcelaient". Bah tiens, mon cochon !
Pierre de Lancre est bien sûr un lecteur avide de ses prédécesseurs démonologues, et a en tête les stéréotypes de la sorcellerie démoniaque, notamment celui du sabbat. Ce sont les aveux de participation au sabbat et la description de cette réunion imaginaire de sorcières qui seront au cœur des interrogatoires que de Lancre fera subir à ses accusées (oui, avec un "e", tant il s'agissait essentiellement de femmes... même si quelques prêtres ayant eu l'audace de les défendre y passeront aussi ; les hommes de ces villages, marins de profession, étant occupés à la pêche à Terre-Neuve une saison durant).
Mais De Lancre est aussi lecteur de nombreux récits de voyages et, sous cette influence, il nous livre une vision très particulière, presque ethnologique, de la contrée qu’il parcourt. Son texte n’aborde pas uniquement la sorcellerie, ni les procès qu’il a menés, mais aussi l’analyse des mœurs étranges de ces territoires, aux marges du royaume : "La lisière de trois royaumes, France, Navarre, Espagne.
Le mélange de trois langues François, Basque et Espagnol, l’enclavure de deux Évêchés." Il voit en ces terres le terrain propice à l'épanouissement de l’activité diabolique.
Pierre de Lancre montre dans ses écrits à quel point la chasse aux sorcières était surtout un moyen d'oppresser et éradiquer la jeunesse, la fougue et la marginalité. En cela, elle s'inscrit dans la droite ligne de bien des organisations et régimes autoritaires de tous poils qui, tous, sont conscients que la dissidence naturelle et parfois irréfléchie de la jeunesse est un danger pour un système installé qui tient à le rester.
Pour Pierre de Lancre, les armes du démon ne sont donc pas le savoir et la magie, le pouvoir ou la tyrannie... que nenni ! Les armes du diable sont la beauté et la sensualité des femmes... Toute ressemblance avec certains barbus de notre époque n'étant en aucun cas fortuite, les religions ont toutes pour la femme un respect inversement proportionnel à la frustration sexuelle de leurs membres... j'espère cette phrase suffisamment capillotractée pour ne pas m'attirer les foudres des plus demeurés d'entre eux.
C'est en réalité au Pays basque français que Lancre a découvert une société où les femmes des marins passaient seules la moitié de l’année ; ce qui leur conférait, dans l'organisation de la vie quotidienne, autant de pouvoir qu'aux hommes. Et pourtant, le film se passe du coté espagnol. Pierre de Lancre parle donc en espagnol alors qu'il était français. C’était un proche de Henri IV qui avait épousé la petite nièce de Montaigne… Dommage, du coup, d'en faire un espingouin, non ? La faute au manque de financement du côté français. Eh ouais ! Pourtant, ça finance à tour de bras du film d'auteur insipide et boursouflé de prétention aux acteurs dotés du charisme d'un lombric mort et de la palette de jeu d'une figurine Pop... mais pour un réalisateur avec une vraie patte, un message, un sens évident du casting et une approche humaniste, là... non : il n'y a plus personne, la France se déballonne. Eh bien, c'est minable. Mais... félicitations à l'Espagne qui a su croire en ce projet !
Du coup, même si le Blu-ray et le DVD nous offrent une version très bien doublée en français, je vous conseille de la fuir : préférez-lui la version originale sous-titrée. Non pas par snobisme comme le font trop de gens mais parce que même une oreille non avertie y constate aisément que le clergé parle en espagnol mais que les villageoises accusées de sorcellerie s'expriment entre elles en dialecte basque... Cela ajoute indéniablement à ces filles une dimension supplémentaire : elles font partie d'une minorité sur les terres d'Espagne, minorité véritablement opprimée dont on veut étouffer les velléités de liberté et d'indépendance jusqu'à faire des exemples au sein de sa population en éliminant les figures les plus libres.
Dans la VF, tout le monde cause français... Mais d'aucuns pensent bien que la France est un pays aux racines chrétiennes, n'est-ce pas ? Cela ferait bien plaisir aux inquisiteurs d'alors : ils ont gagné ! Alors que, soyons honnêtes, il existait bien des cultures en France avant tout cela... la culture basque, par exemple.
Dans la VF, tout le monde cause français... Mais d'aucuns pensent bien que la France est un pays aux racines chrétiennes, n'est-ce pas ? Cela ferait bien plaisir aux inquisiteurs d'alors : ils ont gagné ! Alors que, soyons honnêtes, il existait bien des cultures en France avant tout cela... la culture basque, par exemple.
Cette délocalisation géographique en Espagne n'est pas historiquement exacte mais ça reste cohérent vu que, malheureusement, la répression inquisitoriale avait lieu du côté espagnol (par le clergé) comme du côté français (par des juges laïcs, ancêtres des actuels juges d'instruction... ceux que l'on soupçonne encore maintenant de faire des procès à charge en raison de leur double casquette de juge et d'enquêteur).
Le manque de respect historique n'est d'ailleurs pas très grave car si nous avons sous les yeux un film d'époque, il ne se voit nullement comme une de ces fresques historiques auxquelles on a souvent droit. Ici, l'on a une chronique paysanne d'un procès de sorcières filmée au ras du sol par les victimes innocentes de cette parodie de justice. Ce qui se doit d'être exact n'est en rien la transcription d'une époque (même si l'ensemble est crédible, hein) mais bien l'interprétation.
C'est ce qui rend ce film plus proche de nous. Plus réaliste, il aurait affiché des filles sales, avec des dents pourries et des charmes sans doute moins évocateurs pour la plupart d'entre nous... Ici, elles pourraient être des nôtres : nos sœurs, nos cousines, nos filles... On les imagine bien condamnées actuellement pour un crime qui n'existe pas et jugée par un homme qui a déjà écrit le procès avant même de les connaître. Vous savez, ces procès qui amènent à la lapidation, par exemple, au nom de... oh ben tiens, au nom d'une religion. Quelle coïncidence !
Un pamphlet contre ces obscurantismes qui se créent des ennemis pour singer la lumière
Selon les propres dires de Pablo Agüero : "Le film est conçu comme une bataille des Lumières contre l’obscurantisme. Ces femmes accusées de sorcellerie ont une pensée en quelque sorte plus rationnelle et plus proche de notre esprit contemporain que ces hommes imprégnés de religion. Certes, ils sont cultivés, mais leur culture théologique relève d’un délire fictionnel proche de la littérature fantastique !
Ce qui est important, ici, c'est de montrer que la sorcellerie n'est qu'un fantasme et que ce fantasme de la sorcellerie ne vient pas des filles, mais bien du juge. Il est le seul à avoir des connaissances en folklore démoniaque et/ou en démonologie.
La direction artistique et les effets visuels ?
Parlons déjà de la lumière. Cette lumière diégétique et trop rarement utilisée au cinéma : le soleil naturel, sans aide aucune de quelque projecteur, la lumière d'un bûcher, d'une torche, d'une lampe... Tout cela renforce le réalisme et, par conséquence, l'immersion. Si vous ne voyez pas en quoi une lumière extradiégétique peut nuire à un film, visualisez les deux films de la franchise The Descent. Aucun des deux n'est un chef-d'œuvre, loin s'en faut ! Mais le premier nous offre un film horrifique qui amène son lot de tensions grâce à un éclairage diégétique cachant les recoins des grottes, n'éclairant les antagonistes qu'au moment où les héros braquent leurs torches sur eux... ça fonctionne, niveau ambiance. Le second fout des projecteurs extradiégétiques partout, ruine l'ambiance oppressante de son prédécesseur et devient de facto un navet poussif et prévisible.
C'est ce qui rend ce film plus proche de nous. Plus réaliste, il aurait affiché des filles sales, avec des dents pourries et des charmes sans doute moins évocateurs pour la plupart d'entre nous... Ici, elles pourraient être des nôtres : nos sœurs, nos cousines, nos filles... On les imagine bien condamnées actuellement pour un crime qui n'existe pas et jugée par un homme qui a déjà écrit le procès avant même de les connaître. Vous savez, ces procès qui amènent à la lapidation, par exemple, au nom de... oh ben tiens, au nom d'une religion. Quelle coïncidence !
Un pamphlet contre ces obscurantismes qui se créent des ennemis pour singer la lumière
Selon les propres dires de Pablo Agüero : "Le film est conçu comme une bataille des Lumières contre l’obscurantisme. Ces femmes accusées de sorcellerie ont une pensée en quelque sorte plus rationnelle et plus proche de notre esprit contemporain que ces hommes imprégnés de religion. Certes, ils sont cultivés, mais leur culture théologique relève d’un délire fictionnel proche de la littérature fantastique !
Ces femmes, elles, sont dans une connaissance concrète de la réalité, que je n’ai justement pas voulu mythifier en les représentant comme des guérisseuses par les plantes ou autres pouvoirs magiques, mais simplement comme des jeunes femmes éprises de liberté."
Mission accomplie : c'est très exactement ce que l'on comprend au premier visionnage de ce film qui est d'une très belle efficacité dans la défense du droit des femmes et dans sa charge contre les dogmes religieux. Et ce sans jamais exprimer une seule fois de message en ce sens de façon explicite. Vous savez combien j'aime les œuvres qui ne nous prennent pas pour des idiots... en voici une !
Mission accomplie : c'est très exactement ce que l'on comprend au premier visionnage de ce film qui est d'une très belle efficacité dans la défense du droit des femmes et dans sa charge contre les dogmes religieux. Et ce sans jamais exprimer une seule fois de message en ce sens de façon explicite. Vous savez combien j'aime les œuvres qui ne nous prennent pas pour des idiots... en voici une !
Il affirme pourtant avoir subi beaucoup de pressions pour adopter un angle plus commercial, où l’on aurait eu le point de vue d’un juge qui enquête sur des jeunes filles apparemment innocentes jusqu'à l'apparition du fantastique. Mais ça aurait donné une légitimité à la chasse aux sorcières.
Les traces que l'on a des procès de sorcières et la dialectique à l’œuvre dans l’ordalie offrent au film son côté thriller. Le film s'en sert d'astucieuse et étrange façon : les syllogismes de l'inquisition relèvent quasiment de la manipulation mentale. Quoi que l'on dise ou fasse peut nous trahir, dans un procès où le crime pour lequel on est suspecté n'existe pas... On ne peut que finir piégé. Tout ce qu'on répond peut se transformer en une preuve de culpabilité.
L’accusé (ici Ana, spécifiquement) finit par devoir accomplir la tâche impossible de déjouer la trame d'un procès écrit d'avance pour sauver sa peau.
L’accusé (ici Ana, spécifiquement) finit par devoir accomplir la tâche impossible de déjouer la trame d'un procès écrit d'avance pour sauver sa peau.
Ce mécanisme de "fabrication de l’ennemi" consistant à inventer des crimes et leur attribuer de prétendus auteurs est un classique indémodable que tous les modèles autoritaires emploient ou ont employé pour faire taire leurs opposants : les religions le font, les États répressifs le font... et mêmes les bien pensants des jeunesses twitteriennes le font !
Les milles et une nuits
Face à un juge qui a déjà fantasmé un procès idéal et planifié la date de l'exécution, l’imagination sera la seule arme dont disposeront les prétendues sorcières.
Les hommes en armes sont avec lui... mais certains fuiront, effrayés par les rumeurs de sorcellerie que parviennent à faire propager les captives par leur comportement.
Les hommes en armes sont avec lui... mais certains fuiront, effrayés par les rumeurs de sorcellerie que parviennent à faire propager les captives par leur comportement.
La culture savante est avec lui... mais Ana est rusée et perçoit vite qu'elle incarne pour le juge la tentation. Elle va donc coller à son récit pour gagner du temps et jouer le rôle d'objet de désir ayant forniqué avec la bête, provoquant la libido refoulée de l'inquisiteur qui, avide d'en savoir davantage, prolongera le procès... Ana est telle une Shéhérazade espagnole ne devant son sursis qu'à son imagination. Car oui, plus que son corps pourtant sensuel ou ses regards sulfureux, ce sont les paroles d'Ana qui envoûtent le juge. L'érudition cléricale se fait mener par le bout du nez par de l'érotisme paysan... c'est assez amusant à voir et au final assez pertinent : cette liberté, cette audace, cette volupté qu'ils condamnent si durement fascinent forcément les religieux... sinon, pourquoi se sentiraient-ils menacés par elles ?
Cinq Goya ? Ça ne ferait pas un peu beaucoup pour un seul film, ma chère Chantal ?
6 mars 2021. Les sorcières d'Akelarre reçoit les Goya de la meilleure musique originale, de la meilleure direction artistique, des meilleurs costumes, des meilleurs maquillages et coiffures et des meilleurs effets visuels. À quoi donc tient cette moisson miraculeuse ?
La musique ?
S'il est un petit prodige musical, dans ce film, c'est l'innocente comptine coquine en langue basque que chantaient les jeunes filles lors de leurs sorties en forêt qui, pour les besoins de leur argumentaire, va peu à peu se transformer en incantation démoniaque martelée et saccadée, chantée par de jeunes femmes semblant possédées par le démon.
Cette transformation se fait en parallèle de celle de la plus jeune des filles, Katalin (l'étonnante Garazi Urkola) qui, au début, semble être un oisillon apeuré et naïf que les autres tentent de protéger et qui, au moment du faux sabbat, se livre à une performance de simulacre de possession digne d'un film d'horreur sur les contorsionnistes.
Dans cette scène où les femmes enchaînées les unes aux autres (métaphore évidente de l'oppression masculine à leur égard comme de leur solidarité sororale acquise de haute lutte dans les geôles), elles n'ont pourtant jamais semblé plus libres... et la musique y est pour beaucoup.
Goya validé !
Dans cette scène où les femmes enchaînées les unes aux autres (métaphore évidente de l'oppression masculine à leur égard comme de leur solidarité sororale acquise de haute lutte dans les geôles), elles n'ont pourtant jamais semblé plus libres... et la musique y est pour beaucoup.
Goya validé !
Les costumes, les maquillages et les coiffures ?
Soit. Oui, c'est soigné et oui, on y croit... c'est un XVIIème siècle idéalisé, trop propre pour être vrai, parfois quasiment onirique... mais ça fonctionne avec l'idée de faire de cette histoire un récit exemplaire intemporel : ça situe l'époque, sans la simuler.
Les costumes et le maquillage n'ont rien à se reprocher mais je suppose que les autres films de la sélection de cette année-là (que je n'ai pas tous vus) n'avaient pas les mêmes ambitions... Décrocher le prix des meilleurs costumes avec le seul film "d'époque" est un classique de ce genre de cérémonies.
Les coiffures sauvages et parfois sacrifiées des comédiennes sont quant à elles, en effet, un atout du film... effrontées et arrogantes, certaines des filles se retrouvent brisées à la suite de séances de tortures où, au nombre des sévices et humiliations qu'elles auront subies, comptera la tonte de leurs crinières...
On sent là aussi l'envie des membres du jury d'insister sur toutes les qualités de ce métrage et, ma foi, je les en remercie puisque cet argument des cinq Goya poussera sans doute certains à franchir le pas et à regarder un bon film d'auteur (et ça, c'est une bonne chose !).
On sent là aussi l'envie des membres du jury d'insister sur toutes les qualités de ce métrage et, ma foi, je les en remercie puisque cet argument des cinq Goya poussera sans doute certains à franchir le pas et à regarder un bon film d'auteur (et ça, c'est une bonne chose !).
Goya légitimes !
Parlons déjà de la lumière. Cette lumière diégétique et trop rarement utilisée au cinéma : le soleil naturel, sans aide aucune de quelque projecteur, la lumière d'un bûcher, d'une torche, d'une lampe... Tout cela renforce le réalisme et, par conséquence, l'immersion. Si vous ne voyez pas en quoi une lumière extradiégétique peut nuire à un film, visualisez les deux films de la franchise The Descent. Aucun des deux n'est un chef-d'œuvre, loin s'en faut ! Mais le premier nous offre un film horrifique qui amène son lot de tensions grâce à un éclairage diégétique cachant les recoins des grottes, n'éclairant les antagonistes qu'au moment où les héros braquent leurs torches sur eux... ça fonctionne, niveau ambiance. Le second fout des projecteurs extradiégétiques partout, ruine l'ambiance oppressante de son prédécesseur et devient de facto un navet poussif et prévisible.
Loin des caméras statiques et contemplatives des jolis décors très chers de la plupart des films historiques, Les sorcières d'Akelarre a été tourné de façon vive et le réalisateur dit que plus de cent heures de rushes de séquences "caméra à l’épaule" ont nourrit les nombreux jump-cuts, faux-raccords intentionnels et les ellipses donnant à son clip une allure très moderne, parfois presque youtubesque.
À la fois motivé par une envie artistique, un besoin sémantique et une nécessité financière, il a privilégié les plans rapprochés et les gros plans... Cette façon de faire est une manière de mettre une matière première importante en avant : l'humain !
Goya mérités !
Mais à propos d'humain, pourquoi aucun prix d'interprétation ?
Le film devait avoir une lourde concurrence parce que, en ce qui concerne l'humain, le jeu des acteurs est impeccable ! Il commence par être parfaitement juste et d'une grande précision puis, au fil du film, au fur et à mesure que la jeune Ana s'attache à offrir à l'inquisiteur ce qu'il souhaite pour retarder le plus possible l'heure fatidique de leur exécution, il se fait de plus en plus exagéré et halluciné, jusqu'à n'être plus que grandiloquence : le juge (un Àlex Brendemühl charismatique en diable, hèhè !) devient un être pathétiquement soumis à la tentation et les jeunes femmes deviennent une sorte d'incarnation d'une liberté farouche et féline qui trouve son apogée dans la fascinante scène de reconstitution d'un sabbat. Dans cette scène, ce casting féminin irréprochable distord et fracasse un chant populaire pour en faire une incantation satanique baignée de la lueur des flammes. Les jeunes femmes dansent, chantent, charment, se contorsionnent, crient et se libèrent métaphoriquement pendant que le juge leur cède... et perd la face. "Il n’y a rien de plus dangereux qu’une femme qui danse" avait auparavant dit le juge. Pour une fois qu'il avait raison, celui-là !
Cette séquence emblématique et porteuse d'espoir (avant un final poignant et amer qui met en scène une défaite ayant tout d'une victoire) est une des scènes où l'on ne peut qu'admirer le talent de l'interprète d'Ana.
Le film devait avoir une lourde concurrence parce que, en ce qui concerne l'humain, le jeu des acteurs est impeccable ! Il commence par être parfaitement juste et d'une grande précision puis, au fil du film, au fur et à mesure que la jeune Ana s'attache à offrir à l'inquisiteur ce qu'il souhaite pour retarder le plus possible l'heure fatidique de leur exécution, il se fait de plus en plus exagéré et halluciné, jusqu'à n'être plus que grandiloquence : le juge (un Àlex Brendemühl charismatique en diable, hèhè !) devient un être pathétiquement soumis à la tentation et les jeunes femmes deviennent une sorte d'incarnation d'une liberté farouche et féline qui trouve son apogée dans la fascinante scène de reconstitution d'un sabbat. Dans cette scène, ce casting féminin irréprochable distord et fracasse un chant populaire pour en faire une incantation satanique baignée de la lueur des flammes. Les jeunes femmes dansent, chantent, charment, se contorsionnent, crient et se libèrent métaphoriquement pendant que le juge leur cède... et perd la face. "Il n’y a rien de plus dangereux qu’une femme qui danse" avait auparavant dit le juge. Pour une fois qu'il avait raison, celui-là !
Ajoutons à cela plusieurs passages des scènes d'interrogatoire, certaines autres en compagnie de ses amies où elle crée une vraie sensation de complicité et, même, cette difficile scène de torture où, allongée sur une table, soumise à la question, elle parvient à faire oublier sa nudité et sa fragilité grâce à son simple jeu !
Bravo.
Bravo.
Cette jeune femme se nomme Amaia Aberasturi et elle crève l'écran. Je vais maintenant être plus subjectif et me montrer d'une mauvaise foi digne d'un fanboy de merde mais je soupçonne Patricia López Arnaiz (Goya 2021 de la meilleure actrice pour le rôle de Lide dans Ane) de n'avoir décroché ce prix uniquement parce qu'elle interprétait une môman à la recherche de sa fifille disparue... Oui, c'est bas et mesquin. En plus, je n'ai même pas vu Ane qui est peut-être un écrin de choix pour un jeu admirable de la part de cette actrice. Mais je m'en fous : je lui arrache virtuellement son Goya des mains et je l'offre genou en terre à Amaia Aberasturi !
Il faut dire qu'elle coche rigoureusement toutes les cases. Sa performance est convaincante dans la moindre image du film. Il émane d'elle autant de charme naturel que de force et elle est, qui plus est, de ces rares femmes dont jamais les regards incendiaires ne prêtent à rire. Oh si, vous savez parfaitement de quoi je parle... Ce petit regard ultra utilisé qui consiste à fixer intensément l'autre avant de baisser lentement les paupières jusqu'à mi-hauteur... Ce petit regard parfois maladroitement accompagné d'une lèvre mordillée... Ce petit regard qui fait naître en tout homme la réflexion muette : "Meuf, arrête, t'es ridicule ! On voit bien que tu veux me chauffer mais là, t'es ridicule." Oui, ce regard-là. Eh bien, il y a une poignée de femmes de par le vaste Monde qui le maîtrisent... souvent des méditerranéennes aux yeux sombres, souvent des femmes en lesquelles se mêlent force et faiblesse... de ces femmes qui font alors naître en tout homme la réflexion muette : "La vache ! C'est sensé être ridicule, ça... pourquoi je tombe amoureux, moi ?"
Amaia Aberasturi n'est pas une sorcière mais, bien filmée et bien dirigée, elle est ensorcelante !
Amaia Aberasturi n'est pas une sorcière mais, bien filmée et bien dirigée, elle est ensorcelante !
Mon Goya personnel subjectif en "moi je" pour la demoiselle !
Alors, je dois le regarder ?
Ça dépend...
Non, si le cinéma n'est du cinéma à vos yeux que quand le scénario est complexe. Non, si vous avez envie d'explosions et d'effets spéciaux. Non, si vous êtes de ceux qui qualifient de chiant n'importe quel film contenant des dialogues un peu longs, même si joués à la perfection.
Mais oui, si vous avez envie de voir du cinéma d'auteur de qualité. Oui, si vous aimez les films porteurs de messages. Oui, si vous aimez les films à l'esthétique personnelle. Oui, si vous aimez les comédiennes jouant juste et les comédiens avec des gueules de cinéma. Oui, si vous avez envie de regarder une œuvre cinématographique donnant envie de creuser un peu plus loin, d'aller chercher plus que ce qu'elle offre (ce que j'ai fait, comme en atteste un peu cet article). Alors oui : ce film doit être vu et est disponible en Blu-ray et en DVD chez l'éditeur Blaq Out depuis le 7 décembre 2021 !
Mais oui, si vous avez envie de voir du cinéma d'auteur de qualité. Oui, si vous aimez les films porteurs de messages. Oui, si vous aimez les films à l'esthétique personnelle. Oui, si vous aimez les comédiennes jouant juste et les comédiens avec des gueules de cinéma. Oui, si vous avez envie de regarder une œuvre cinématographique donnant envie de creuser un peu plus loin, d'aller chercher plus que ce qu'elle offre (ce que j'ai fait, comme en atteste un peu cet article). Alors oui : ce film doit être vu et est disponible en Blu-ray et en DVD chez l'éditeur Blaq Out depuis le 7 décembre 2021 !
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