Seven Sons
Par


L'excellent éditeur Huginn & Muninn nous propose un projet stimulant : de jeunes scénaristes qui s'associent à une ancienne gloire des comics (Jae Lee, dont le run sur les Inhumans est un succès critique incontestable) pour nous conter la venue d'un second Christ à l'orée du XXIe siècle.

Pour une fois dans la catégorie des prophéties bibliques, ce n'est pas la naissance de l'Antéchrist qui est anticipée, mais bien celle d'un "second fils de Dieu". Sauf que les impétrants sont sept, nés le même jour, d'une mère vierge, un 7 juillet de l'an 1977, sur chacun des sept continents. Sept fils potentiellement capables d'apporter sur Terre la prospérité promise, la paix et la moralité afférentes à ce royaume céleste annoncé de toute antiquité. Et des miracles à gogo, bien entendu.

Pourtant, tout le monde n'adhère pas à cette vision idyllique et, en parallèle de la montée d'un néo-christianisme écrasant les autres croyances sous la force implacable de la réalité (plus besoin d'avoir la Foi, la seule naissance miraculeuse de ces sept enfants suffit à convaincre la majeure partie de la population, qui n'attendait d'ailleurs que ce genre de signes divins) et multipliant de par le monde la construction de temples à la gloire des Sept, un mouvement de résistance se construit : les Gardiens d'Allah rassemblent de farouches opposants qui entreprennent d'assassiner ces "faux prophètes" avant leur avènement programmé. C'est ainsi qu'en 1999, il ne reste plus que deux de ces sept fils, et l'un d'entre eux, entouré d'un dispositif de sécurité renforcé, est sur le point, à la veille de son vingt et unième anniversaire, d'accomplir sa destinée au cours d'une cérémonie retransmise dans le monde entier depuis la Nouvelle Canaan (anciennement Las Vegas). Envers et contre tout. À moins que dans une ultime tentative, désespérée, les Gardiens ne parviennent à l'abattre - ou que la vérité sur l'existence même de ces fils de Dieu ne soit mise au jour - ou encore que cet étrange vagabond amnésique se réveillant au début de l'album ne vienne tout faire basculer. Sait-on jamais...

Découpée en sept chapitres (évidemment), l'histoire se suit avec attention, grâce aux nombreux mystères entourant tant la naissance des "Jésis" (sic) avec cet ouvrage d'un certain Nicolaus annonçant  leur venue (et propulsé instantanément en tête des ventes à l'instar d'un nouvel Évangile prophétique) que tout au long des attentats qui les ont frappés : les flashbacks à la pelle compliquent un peu la lecture, et quelques révélations obligeront peut-être les moins attentifs à revenir en arrière afin de vérifier un événement qui semblait fortuit (et notamment l'identité de l'inconnu du début). Cependant, ces artifices de narration ne sont pas rédhibitoires, et le découpage apparemment chaotique des cases sur certaines pages ne rend pas plus ardue la compréhension de l'intrigue. Si l'on comprend mal la pertinence d'un tel choix de présentation (hormis celle de faire penser à des vitraux post-modernes), ça reste nettement plus lisible que, par exemple, certaines planches d'un Dark Knight Strikes again, voire de Weapon X. L'aspect global des pages concernées est tout de même plaisant et donne une impression de majesté, voire d'énergie créatrice.
En revanche, le style graphique propre à Jae Lee peut sans aucun doute poser un vrai problème, voire carrément en rebuter certains sur le plan de la narration : si ses couvertures (reproduites à la fin de l'ouvrage) sont parfois sublimes, et s'il a été à l'origine de comic books magnifiques, il n'en va pas de même de l'intérieur de cet album, avec des personnages très difficilement reconnaissables, nantis de visages identiques et inexpressifs (il faut vraiment s'attacher à une coupe de cheveux ou une cicatrice pour parvenir à les distinguer les uns des autres). L'androgynie des Jésis demeure acceptable, après tout, cependant les personnages secondaires ne sont pas mieux lotis. Les rares scènes d'action sont proprement illisibles et l'encrage terne qu'a choisi June Cheung n'aide vraiment pas à rendre les planches les plus dynamiques intelligibles. L'artiste a sans doute ses aficionados, et bénéficie d'une aura peut-être justifiée, mais ses dessins - en dehors des pleines pages statiques souvent somptueuses - plombent nettement l'intérêt de l'album, qui s'avère pour le coup fastidieux à terminer.

Dommage, car l'entreprise était prometteuse, et, si l'on s'accroche, quitte à relire certaines pages précédentes dans le but de comprendre l'intérêt d'un objet particulier, d'un détail saugrenu, d'une affirmation pleine de sous-entendus, on s'offre un finale ambitieux, explosif et pernicieux, doublé d'un twist inattendu. Une œuvre audacieuse qui risque de faire grincer des dents une certaine intelligentsia, sous la forme d'une dystopie pointant du doigt les dérives toxiques des religions tout en laissant une (petite) place à ceux qui, sincèrement, luttent pour le bien commun, mais une œuvre difficile d'accès, donc, qui trouvera sans aucun doute des admirateurs chez ceux qui se sont écartés des comics mainstream.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un projet enthousiasmant.
  • Un album élégant, une édition soignée.
  • Une histoire intéressante, avec des implications osées.
  • Un récit déconstruit qui parvient à ménager pas mal d'éléments de surprise.


  • Un style graphique ruinant l'intelligibilité des actions et nuisant à la compréhension de l'intrigue.