L'Heure des Sorcières
Publié le
8.12.23
Par
Nolt
Retour sur un comic publié par Semic : L'Heure des Sorcières.
Pour certains, la partie commence avec un cadavre dans le coffre de leur bagnole, d'autres ont une valise pleine de billets ou un père absent. Les cartes sont distribuées. Il va falloir les abattre. Gérer son jeu. Comme dans la vraie vie, l'on peu tricher, mais pas trop.
Il y a longtemps, Amanda White a dû quitter l'Irlande pour traverser l'Atlantique. Il y a un peu moins longtemps, elle est morte, brûlée vive sur un bûcher en échange d'une promesse : celle de stopper, après sa mort, la chasse aux sorcières. Depuis, le temps a passé. Le rite wiccan a fait son œuvre. Mademoiselle White est de retour et une autre promesse est en passe d'être tenue. Celle de Gray. Un esprit ouvert. Un homme sage de 600 ans d'expérience. Un gentleman comme l'on n'en fait plus. Sa promesse ? Veiller sur Amanda. Pour toujours et un jour...
Il convient tout d'abord d'avertir certains lecteurs. Le comic dont il est question aujourd'hui risque de surprendre, voire même de décevoir. Car bien qu'il soit subtil, beau et original, il s'avère aussi terriblement confus dans sa narration. Mais lorsque l'on est dans les bonnes disposition, il passe comme une lettre à la poste (enfin, même mieux que ça si l'on tient compte des performances réelles de notre Poste). Pourquoi me direz-vous ? Et je reconnais que ça m'arrange bien que vous me demandiez pourquoi parce que j'avais un peu prévu de continuer l'article comme ça... bref, pourquoi ? Eh bien c'est ce que nous allons voir.
Tout d'abord, le scénario. Il est signé Jeph Loeb (Spider-Man : Blue, Batman : The Long Halloween) et se révèle pour le moins complexe. De nombreux destins sont entremêlés, des personnages dont on ne sait rien débarquent et se mettent au service de dialogues parfois fort peu évidents, bref, l'on s'accroche aux premières planches sans vraiment comprendre grand-chose ni voir vers quoi ce vieux briscard d'auteur veut nous amener. Et à un moment - et c'est un peu pour cela que l'on vous a mis en garde un peu plus haut - on lâche la rampe. On ne cherche plus à comprendre, on est dedans, comme dans un joli rêve confortable et ouateux à souhait. Cela n'a en soi rien d'inquiétant sauf que cette totale confiance, cette immersion dans la fiction, dépend en général tout autant de vos centres d'intérêt que de l'habileté de l'auteur. Et ce qui, chez certains, va passer pour une récréation d'une rare poésie peut fort bien, chez d'autres, n'être qu'un long et déchirant parcours du combattant. C'est typiquement le genre de livre où il ne faut surtout pas essayer de se raccrocher aux branches mais, au contraire, accepter de tomber.
Évidemment, la chute n'est pas inconditionnelle. On a beau mettre du sien, il est rare de se précipiter dans le vide juste sur l'hypothétique valeur accordée à un conteur. Heureusement, Loeb est ici admirablement secondé par Chris Bachalo. On connaît bien l'artiste pour son travail sur Amazing Spider-Man, Ultimate X-Men ou encore son excellent passage sur Doctor Strange. Son style est en général très facilement reconnaissable. Ses personnages dégagent une impression de puissance et un esthétisme musclé. À l'instar d'un Humberto Ramos, il joue souvent la carte de la disproportion, comme le prouve son Captain America dans Homeland, une série ou Steve Rogers est particulièrement charismatique mais inhabituellement massif.
Cependant, ici, il n'y a pas de gros bras à mettre en scène. Ni de flingues. Ce qui donne à l'artiste l'occasion de montrer une facette plus mesurée, moins attendue, de son talent, Gray et White étant, sans conteste, les personnages les plus réussis : à la fois humains et mystérieux, tour à tour séduisants ou inquiétants. Et que dire des décors... Bachalo réussit à imposer des ambiances feutrées et idéalement magiques, sans esbroufe et avec une simplicité au charme exceptionnel. Son New York de nuit est tout simplement fabuleux.
Ce récit aurait gagné à être plus limpide, c'est certain, mais il a le goût et l'odeur du thé chaud lorsqu'il fait froid dehors et que l'on peut admirer la neige tomber, bien à l'abri derrière une fenêtre mince mais efficace. Et la saveur du thé chaud en hiver, c'est sans doute ce qu'il y a de plus dur à exprimer en BD après la douceur d'une Guinness en été.
Une œuvre à part, qui ne convaincra pas tout le monde mais qui offrira de précieux et jolis moments pour peu que l'on soit disposé à se laisser envoûter.
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