Chroniques des Classiques : Plus noir que vous ne pensez
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Jack Williamson est sans conteste un des papes de la SF. Aux côtés d’Edmond Hamilton, il s’est illustré dans ses récits flamboyants de space-opera, principalement avant-guerre, des textes qui mirent des décennies avant de parvenir chez nous nantis de traductions plus ou moins réussies. Entretemps, avec sa Légion de l’Espace, il s’était fait un nom outre-Atlantique et avait emmagasiné pas mal de succès. Dans la décennie suivante, il sut mieux que la plupart de ses confrères s’adapter à de nouveaux courants de pensée et, au lieu de sombrer dans l’oubli avec des histoires stéréotypées, il s’efforça d’explorer d’autres tendances tout en demeurant obstinément fidèle à la science-fiction. Ainsi, c’est entre 1941 et 1949 qu’il publia les deux œuvres phares de sa bibliographie, lesquelles eurent un impact notable sur la production des écrivains de la génération suivante. Si Les Humanoïdes se rapproche sensiblement d’une bonne partie de l’œuvre d’Asimov, Plus noir que vous ne pensez s’aventure dans un autre secteur des littératures de l’Imaginaire, secteur traditionnellement catégorisé dans le Fantastique ou le Merveilleux. Il faut également saluer le fait que, de 1929 à 2005 (un an avant son décès), il n'a jamais cessé d'écrire et de publier dans son genre de prédilection.

 

RÉSUMÉ : Une expédition revient du désert de Gobi avec un coffre qui contient un terrible secret, la preuve que depuis cent mille ans un clan occulte, dissimulé parmi les vrais hommes, travaille à la perte de l'humanité. Le Professeur Mondrick, chef de l'expédition, annonce que le messie de ce clan, « l'Enfant de la Nuit », doté des plus grands pouvoirs, va bientôt apparaître parmi les hommes. Will Barbee, journaliste, assiste à l'arrivée et y rencontre une superbe femme rousse, April Bell, dont il tombe amoureux. Il va mener son enquête et découvrir progressivement sa véritable nature et le secret qui la lie à la découverte du professeur Mondrick.

 

Il s’agit tout simplement d’une réécriture des mythes liés à la lycanthropie et aux vampires, mais traités sous un biais plus scientifique. Si l’hypothèse de races antédiluviennes, antérieures à l’Humanité, fait écho aux écrits d’un Lovecraft ou d’un Howard, l’explication de leurs pouvoirs et de leur survie à travers les âges est plutôt révolutionnaire pour l’époque. Par exemple, cette faculté d’utiliser les probabilités pour faire advenir un événement, disparaître aux yeux de tous, se transformer ou traverser la matière est assez stupéfiante en soi, et permet d'éviter de recourir à la magie et autres mystérieux pouvoirs qui expliquent habituellement les capacités surhumaines des monstres de la littérature. D'ailleurs, Williamson ne s'arrête pas là et évoque également la génétique pour appuyer ses thèses qui font appel aux mêmes principes que les tenants de l'histoire ésotérique. C'est assez troublant si on le remplace dans son contexte, alors que c'est devenu monnaie courante depuis les années 60 : un amateur de la saga Underworld sourira sans doute s'il oublie que le roman dont nous parlons a été rédigé des décennies auparavant.

 


Reste la manière. Et c’est là que le bât blesse. Car dans sa traduction française surannée, Plus noir que vous ne pensez s’avère lourd, lent et bavard, bourré de redondances dans un style assez rébarbatif. Les descriptions se prolongent et multiplient les subordonnées, les qualificatifs pleuvent et noient l’intrigue tandis que l’auteur prend un malin plaisir à répéter systématiquement les mêmes tournures de phrase (pour évoquer la troublante April, véritable fantasme ambulant avec sa chevelure rousse, son teint pâle et ses yeux verts – ou pour décrire le mystérieux « coffre de bois peint en vert », terrifiant McGuffin qui contiendrait l’arme capable d’anéantir la race millénaire ayant engendré les mages, loups-garous et autres sorcières qui ont hanté nos contes). Convenons tout de même que ces scories sont sans doute, en partie du moins, dues au fait que le roman a d'abord été publié en 1940 dans des pulps (ces magazines imprimés sur du papier bon marché, aux couvertures aguichantes), sans doute sous forme de feuilleton, avant d'être édité plus tard en format broché.

L’histoire en elle-même suscite l’intérêt par sa façon de traiter ces anciens mythes fantastiques en tentant de leur conférer une assise scientifique. Des tentatives qui se multiplieront dès la génération suivante (avec des auteurs comme Philip José Farmer) et sur lesquelles s'appuieront bon nombre de scénaristes du cinéma fantastique dans les décennies suivantes. 

Cependant le texte date et a très mal vieilli : le suspense servant de point de rupture à la base du récit (Mais qui donc est cet Enfant de la Nuit qui viendra, tel un Messie noir, sauver ces êtres face à l'implacable férocité des humains ?) est éventé dès le premier chapitre et aucune des tentatives de l’auteur de nous faire croire au contraire de ce qu’on a lu (la nuit, le héros journaliste se transforme et parcourt les rues sous une forme animale ; le jour il est persuadé d’avoir rêvé tout cela malgré toutes les preuves qui s’accumulent sur ses agissements nocturnes) ne fonctionne sur l’esprit d’un lecteur du vingt-et-unième siècle, largement habitué à ce suspense d’un autre âge. 


Au temps pour la chute et le twist final, donc !
Restent quelques idées intéressantes et des personnages dépeints avec fougue dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une certaine niaiserie bienveillante (la rousse flamboyante mais dangereuse, la matriarche aigrie, le médecin placide, le héros incrédule qui malgré les preuves s’arc-boute dans le refus d’accepter sa nature et son destin et se perd en tergiversations). Les amateurs de jeux de rôle penseront sans doute à une forme de "grosbillisme" assez truculent : en effet, le personnage principal, lorsqu'il se métamorphose, prend l'apparence non seulement d'un splendide loup gris, mais également d'un... tigre à dents de sabre préhistorique, capable en outre de rattraper un pick-up lancé à toute vitesse ! Je vous laisse deviner ses autres capacités de transformation (les images sélectionnées pour cet article vous en donneront un excellent aperçu), néanmoins l'on ne peut pas nier que ça a, incontestablement, de la gueule.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une relecture osée et révolutionnaire (pour l'époque) de vieux mythes fantastiques.
  • Un texte un peu trans-genre, à la lisière du fantastique et de la science-fiction, dans la lignée de La Couleur tombée du ciel de Lovecraft.
  • Des personnages archétypaux mais décrits avec passion.


  • Une intrigue qui s'enlise dans les descriptions et les dialogues.
  • Un suspense qui ne tient pas la route.
  • Un héros manquant cruellement de charisme.