Comparatif romans post-effondrement
Publié le
26.12.24
Par
Nolt
Que se passe-t-il lorsque des éléments aussi vitaux pour nos sociétés modernes que l'électricité ou le pétrole viennent à manquer ? C'est ce que l'on va voir aujourd'hui au travers de deux fictions fort différentes : Une Seconde Après, de William R. Forstchen, et La Théorie des Dominos, d'Alex Scarrow.
Nous avons déjà évoqué ici, de manière très sérieuse, les différentes façons de se préparer à un événement pénible, ce que l'on appelle en général une "rupture de la normalité", comme une pandémie, un effondrement économique, une guerre civile voire même un simple hiver un peu rigoureux (cf. cet article). La fiction a bien entendu déjà traité le sujet (notamment à travers la série Jericho, surtout dans sa première saison), mais celui-ci revient sur le devant de l'actualité après les recommandations (ridicules) de l'Union Européenne [1] (ce machin technocratique qui broie les peuples). Nous avons donc décidé de terminer l'année avec un comparatif entre deux romans assez angoissants mais relativement bien fichus.
Disons-le tout de suite, si le sujet est identique, les deux récits sont foncièrement différents.
Dans Une Seconde Après, l'on suit un ancien colonel de l'armée, dans une petite bourgade américaine, après une attaque par IEM (impulsion électro-magnétique) ayant détruit tout (ou presque) ce qui fonctionne avec un moteur ou de l'électronique. Dans La Théorie des Dominos, l'auteur (que l'on connaissait déjà pour son ReMade), s'attache à décrire les péripéties vécues par les membres d'une même famille (le père, ingénieur, en Irak ; la mère et les enfants en Angleterre, tentant de rentrer chez eux) après une rupture des approvisionnement mondiaux en pétrole.
En ce qui concerne l'histoire de Forstchen, accrochez-vous. Car si l'ensemble est réaliste, même sans doute trop réaliste, l'aspect littéraire est assez terne, voire indigent. Les personnages sont à peine dessinés, l'intrigue recèle peu de rebondissements ou de moments palpitants et le "roman" s'apparente à un gros rapport militaire, souvent rébarbatif. En fait, d'un point de vue littéraire, ça n'a strictement aucun intérêt tellement c'est mal écrit (la traduction ne doit pas aider, mais le problème vient du texte original à la base).
Surtout, c'est très dur et déprimant. Ceux qui connaissent UMAC savent que je n'ai pas pour habitude de mettre en garde sur de la fiction, encore moins d'être impacté par de l'imaginaire, mais là, c'est tellement brut, vraisemblable et sans effets romancés ou échappatoire, que ça en devient vraiment sinistre (surtout si l'on est un peu documenté sur le sujet et lucide sur l'état global de notre société).
Cela peut donc faire l'effet, chez certains endormis, d'un électro-choc, mais ne vous attendez pas à passer un bon moment de lecture. C'est froid et douloureux.
Scarrow, dans La Théorie des Dominos, heureusement, traite le sujet d'une tout autre manière, dans le sens où il parvient à romancer une situation crédible. Quand j'emploie le mot "romancer", c'est à dessein. Je n'entends pas par là qu'il fait n'importe quoi ou verse dans le "bisounoursisme", simplement, il s'arrange, comme tout bon auteur, pour que son histoire soit agréable à lire, malgré le sujet lourd et inquiétant.
Ici, le lecteur découvre des personnages bien bâtis, intéressants, avec une personnalité, des buts, un background, et surtout, leur évolution est basée sur une intrigue efficace, avec ses moments de suspense, de tension et de "rétribution" [2]. Scarrow prend soin également d'emballer son récit dans un contexte géopolitique global, fait de pratiques bien réelles et de complots "imaginaires" (car personne ne pourrait œuvrer contre le peuple, n'est-ce pas ?).
Sur un plan plus pragmatique, les deux œuvres montrent, forcément, le résultat d'une disparition du confort et de la loi (ou plus précisément, de la force l'imposant). Et sans confort et sans loi, un type bien sympathique peut rapidement se transformer en menace. Ce qui est, d'un point de vue biologique, parfaitement normal et compréhensible. Ce qui est terrifiant pour nous, citoyens habitués à vivre dans un monde d'abondance (même les plus pauvres ont accès à l'eau courante, l'électricité, la nourriture, les loisirs, etc., ce qui paraîtrait déjà fou à des familles pourtant aisées du début du XXe siècle, qui n'est pas si loin), c'est la redécouverte des besoins primaires lorsqu'ils ne sont plus assurés par la coopération et la collectivité (ou la prévoyance). Ce n'est pas tant la violence (concomitante à toute forme de vie) qui est effrayante dans ces fictions, mais la fragilité de l'individu occidental moderne, incapable de faire preuve de résilience voire de simple bon sens dans une situation dégradée.
Sur un plan plus pragmatique, les deux œuvres montrent, forcément, le résultat d'une disparition du confort et de la loi (ou plus précisément, de la force l'imposant). Et sans confort et sans loi, un type bien sympathique peut rapidement se transformer en menace. Ce qui est, d'un point de vue biologique, parfaitement normal et compréhensible. Ce qui est terrifiant pour nous, citoyens habitués à vivre dans un monde d'abondance (même les plus pauvres ont accès à l'eau courante, l'électricité, la nourriture, les loisirs, etc., ce qui paraîtrait déjà fou à des familles pourtant aisées du début du XXe siècle, qui n'est pas si loin), c'est la redécouverte des besoins primaires lorsqu'ils ne sont plus assurés par la coopération et la collectivité (ou la prévoyance). Ce n'est pas tant la violence (concomitante à toute forme de vie) qui est effrayante dans ces fictions, mais la fragilité de l'individu occidental moderne, incapable de faire preuve de résilience voire de simple bon sens dans une situation dégradée.
Forcément, La Théorie des Dominos est largement plus grand public (et bien mieux écrit). Le récit n'a pas de grosse faille, si ce n'est le côté très précipité des événements (et encore, si ça se trouve, Scarrow a raison, après tout, ce n'est pas comme si le pékin moyen était allé se battre il y a peu dans les rayons des supermarchés pour deux rouleaux de PQ et trois paquets de pâtes). Ça se lit bien, ça a le bon goût d'être trop spectaculaire pour paraître crédible, et la gestion du rythme et de la progression de l'histoire est parfaite.
Une Seconde Après, c'est la version sombre et au goût de vomi. Tout comme un reportage honnête sur un fait violent (guerre, événement météorologique hors du commun, attentat...), c'est flippant, ça empêche de se rassurer à bon compte et ça gratte fort et longtemps. Sans rien pour détourner votre attention de tout ce qui vous paraît (et est) insupportable. C'est lourd et malsain, ce qui en fait sans doute, par la force des choses, un mauvais roman en soi mais un très bon roman sur ce sujet précis.
Nous ne vivons plus depuis longtemps dans un monde manichéen régit par la douce certitude que le Bien triomphera du Mal. Ce pays, qui fut la France de nos Pères et qui fut autrefois grand, avec ses défauts, certes, mais aussi sa noblesse, est aujourd'hui devenu un souvenir, une illusion, un cadavre. Plus rien ne fonctionne, ni l'éducation, ni la justice, ni les services de santé, ni l'information, ni même le simple bon sens. Des incapables, inféodés à un pouvoir exogène et inique, dirigent ce qui reste d'un système à l'agonie, contre le peuple et contre la volonté de la majorité encore attachée à des valeurs essentielles. La question n'est pas de savoir si tout cela va s'effondrer, mais quand l'effondrement atteindra un point de non-retour qui annihilera le peu de camouflage et d'artifices qui masquent encore la vérité aux plus naïfs ou aux plus optimistes. Ce jour-là, quand le mince vernis de civilisation encore maintenu sur des lambeaux nationaux tragiques s'évaporera sous le souffle du réel, bien des gens, aujourd'hui persuadés d'être braves et policés, deviendront moins braves et bien moins policés. Se préparer à ce crépuscule inéluctable ne permettra pas juste à certains de survivre mais à certains villages, certaines zones, de maintenir un semblant d'humanisme dans les ténèbres. Encore faut-il, pour combattre ces ténèbres, admettre leur existence. Ces deux romans ne convaincront pas les plus attachés au monde imaginaire qu'ils pensent immuable, car ce n'est pas leur but, mais ils permettront sans doute à ceux qui ont un doute de se dire que prendre quelques mesures de précaution n'est plus si absurde... après tout, même l'UE le conseille. De manière débile, parce que c'est l'UE, mais même ces guignols ne peuvent plus cacher le fait que nous nous apprêtons à vivre des moments difficiles. Des moments que seuls des vieillards aujourd'hui ont connu (et dans un monde bien moins fragile à l'époque).
Tout cela n'est pas très joyeux, mais la vérité l'est rarement.
Tout va bien. Tout va bien. Tout va bien. Tout va bien... |
[1] Les technocrates de l'UE, après avoir planché sur le sujet, ont récemment recommandé aux moutons dont ils ont la charge d'avoir des stocks et du matériel leur permettant d'avoir... trois jours "d'autonomie" chez eux. Objectif évalué comme "ambitieux" par des journalistes incultes (désolé pour le pléonasme). En effet, trois jours d'autonomie, ce n'est pas de l'autonomie. C'est comme des vacances de trois minutes ou une formation de trois secondes, ça n'a aucun sens. Quel demeuré ne pourrait pas rester chez lui durant trois jours sans mourir de soif ou de faim ? On ne peut même pas souffrir réellement de la faim en trois jours. Bref, pour mériter ce nom, une autonomie valable se compte au minimum en semaines, et idéalement en mois. Et évidemment, en réalité, ça ne se calcule pas aussi simplement, on peut fort bien avoir une autonomie en eau potable d'un an, en nourriture de trois mois et en matériel d'hygiène de trois semaines. Il est rare que tous les éléments coïncident parfaitement.
[2] Grosso modo, une "rétribution" consiste à donner au lecteur ce qu'il est en "droit" d'attendre par rapport à ce qui a été installé. Pour prendre un exemple simple, personne ne tombe de sa chaise d'étonnement lorsqu'un "méchant" se fait défoncer après avoir fait des saloperies pendant une flopée de chapitres. Cela ne doit pas être systématique, et c'est en fait plus complexe que ça, mais c'est un peu une manière de relâcher la pression et de respecter une logique narrative.