Lone Sloane - L'intégrale Stellaire
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Sortie aujourd'hui de Lone Sloane - l'Intégrale Stellaire de Philippe Druillet.

Attention, voici peut-être la plus importante sortie de cette année en matière de BD. Non seulement parce que l'ouvrage est en lui-même exceptionnel (24 x 32 x 5 cm, pas loin de 4 kilos, plus de 700 pages) mais aussi parce que la saga qu'il contient, et surtout le style de Druillet (cf. Druillet - Lovecraft), sont aussi fous qu'exceptionnels.
Gros plan sur une œuvre gigantesque mais difficile d'accès. 

L'énorme pavé publié par Glénat contient neuf parties comprenant : Lone Sloane, le mystère des abîmes ; Les 6 voyages de Lone Sloane ; Delirius I & II ; Gaïl ; Salammbô (et ses suites Carthage et Matho) ; Salammbô - Les NusChaos ; et enfin une neuvième partie regroupant cinq courts récits. 
L'élément central est donc Lone Sloane, un personnage qui en réalité hante ces planches plus qu'il ne les habite. En effet, la narration très particulière et le côté minimaliste des histoires font que l'intérêt de cette œuvre est ailleurs.

On est clairement ici dans les débuts de la BD destinée aux adultes (années 70/80). La science-fiction est alors teintée d'exotisme baroque, parfois d'érotisme. Mais Druillet va aller bien plus loin, offrant au lecteur une expérience visuelle hors du commun. Le dessinateur va en effet concevoir une suite de tableaux impressionnants, tout en s'affranchissant des codes narratifs habituels. Les illustrations s'étalent souvent sur deux pages et sont massives, détaillées, tourmentées. Le lecteur se perd ainsi dans les planches plus qu'il ne les lit. L'expérience est fascinante mais le choc graphique ne sert pas spécialement l'immersion dans le récit, très chaotique. Cependant, à la manière d'un trip psychédélique, l'on finit pas être emporté dans les visions démentes de l'auteur et s'y perdre, ébahi et quelque peu décontenancé. 




Lone Sloane (sauf la première partie, très embryonnaire encore) est donc à la fois une œuvre à la beauté baroque, brutale et enivrante mais aussi une plongée dans un style âpre et déstructuré, qui ne conviendra certainement pas à tout le monde. Il faut aborder ce recueil comme une recherche de sensations, voire une expérience métaphysique, et non une histoire construite et logique. Cette lecture demande un réel effort, une certaine maturité aussi sans doute, mais sort clairement des sentiers battus.

Sur le fond, la saga parle de dieux, de sorciers, d'âmes volées, de naufragés stellaires, de robots titanesques, elle contient également une relecture du célèbre Salammbô de Flaubert et même une référence poussée au monde d'Elric. Autant de prétextes pour bâtir un monde peuplé de vaisseaux organiques, de cités majestueuses et de personnages fantasques aux visages torturés. 
Druillet a d'ailleurs impressionné en son temps les plus grands. Goscinny a parlé de "maître" ayant explosé le cadre de la BD traditionnelle, et Hergé a notamment évoqué la création d'une dimension nouvelle pour la BD, "peut-être celle de l'onirisme", ce en quoi il n'avait pas tort. 

L'ouvrage contient également de-ci de-là quelques textes, de Druillet ou d'autres auteurs, à l'intérêt variable. L'on apprend en les lisant que Druillet voulait un personnage principal "humain" pour que les lecteurs puissent s'identifier à lui... ah là, ça sonne un peu comme une fausse note, car s'il y a un personnage qui ne donne lieu à aucune identification, c'est bien Lone Sloane (le ton du récit, la narration froide et elliptique, le côté irréel et peu développé du personnage, la priorité laissée au dessin gênent, sinon empêchent, une telle identification). Mais bon, dans le même texte, on apprend aussi que Druillet considérait Godart comme une "merde". Du coup on se dit que même s'il ne comprenait pas tout ce qu'il faisait, il avait quand même bon goût.

Une œuvre à part, d'une folle audace sur le plan graphique, mais qui se révèle être un voyage poétique et contemplatif plus qu'une histoire possédant une intrigue classique. Selon les goûts, ce sera donc proprement imbuvable ou clairement fantastique. 










                                                                                                           



La première partie, alors que Druillet se cherche encore et respecte une structure classique au niveau des cases.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Visuellement très impactant.
  • Le côté onirique et métaphysique.


  • Très déstructuré et donc difficile à suivre si l'on s'attend à une histoire traditionnelle.
  • Une intégrale qui aurait certainement gagné en praticité à être déclinée en deux tomes tant elle se manipule difficilement (ça reste un livre quand même, on devrait pouvoir le parcourir aisément). 
  • Le lettrage, minuscule sur certaines planches et nuisant au confort de lecture.