Basilica : Terre des Origines tome 1
Publié le
20.7.25
Par
Vance
Orson Scott Card est déjà une institution dans le monde de la SF : l’auteur du Cycle d’Ender et des Chroniques d’Alvin le Faiseur, un Mormon élevé dans la plus pure tradition, propose ici le premier volet d’une saga qui se veut aussi importante que les deux précitées (le Cycle de La Terre des Origines/Homecoming). Créateur d’univers hors pair, aux récits puisant dans les mythes primitifs et mettant en valeur les dilemmes moraux, les épreuves, les doutes et la responsabilité de ses héros messianiques, Card s’est inscrit profondément dans la science-fiction de la fin du XXe siècle, au point que même le Marvel Comics Group a fait appel à lui pour une mini-série très réussie sur Ultimate Iron Man en collaboration avec Adam Kubert. Cet écrivain peut se vanter d’avoir reçu deux fois de suite le doublé prix Hugo et prix Nebula, et une tripotée de prix Locus.
Basilica est donc né sous une bonne étoile. Il est arrivé en France en 1995 par le biais de l’Atalante, éditeur exigeant dont les ouvrages imprimés sur du papier de qualité font le bonheur des connaisseurs.
Et, nanti de toutes ses qualités intrinsèques, il s’avère décevant.
Certes, on sent très vite la volonté de l’auteur de donner corps à ses protagonistes, nous présentant dès les premières pages celui qui semble « l’Élu » de ce cycle, le jeune Nafai, grand gaillard de quatorze ans qui partage sa vie entre le domaine de son père, le riche propriétaire et marchand Volemak, et l’école de sa mère, Rasa, figure incontournable de la vie culturelle et cultuelle de Basilica. Nafai est un adolescent un peu plus costaud que la moyenne, plein de fougue et de doutes, qui se dispute régulièrement avec ses frères et surtout Elemak, l’aîné, le seul d’entre eux à pouvoir monter des expéditions dans le désert. Quant à Issib, le cadet, il se met régulièrement à l’écart de ces disputes : son handicap le pousse à hanter les bibliothèques en quête de savoir.
Car sur la planète Harmonie, les humains perdurent depuis des dizaines de millions d’années ; ils y ont bâti une civilisation refusant les excès de la précédente, qui précipita la ruine de la Terre, leur monde-foyer qu’ils durent abandonner. Ainsi, si les habitants profitent de certaines avancées technologiques (comme le stockage numérique des données), ils ne disposent étrangement que d’armes peu évoluées en dehors de pulsants peu impressionnants. À Basilica, les femmes régentent la vie de la cité construite autour d’un lac souterrain par lequel certaines élues communiquent avec Surâme, l’ordinateur-dieu d’Harmonie. Pourtant, c’est à Volemak, un riche marchand, et à son fils Nafai, que Surâme envoie des visions d’apocalypse : Basilica est menacée de destruction, ce qui engendrerait la ruine de l’Humanité. Du coup, les tensions politiques latentes s’exacerbent tandis que les fils de Volemak s’entredéchirent : pourquoi Surâme n’intervient-il pas ? Pourquoi ses visions sont-elles si peu claires ? Pourquoi ne sont-elles interprétables que par cette jeune « sorcerette » alors que les autres prêtresses n’y ont pas accès ? Et pourquoi Nafai, le benjamin, plutôt que ses aînés désireux d’hériter de la fortune paternelle ?
L’on suit donc Nafai qui nous permet d’explorer Basilica de l’intérieur et de découvrir ce lac sacré interdit aux hommes, ces quartiers voués à la fête ou aux marchés, ces temples où chaque prière s’accompagne d’une blessure rituelle. Cependant, même si la vision de Volemak, qui va bouleverser l’équilibre politique et social de la ville, intervient relativement tôt, l'on ne peut s’empêcher de s’ennuyer parfois malgré les descriptions hautes en couleurs. C’est que l’auteur multiplie les dialogues intérieurs, surtout chez Nafai mais également chez Luet, cette jeune fille capable d’interpréter les rêves : nos héros tergiversent longuement et nous empêchent de progresser dans le récit.
C’est frustrant et parfois même rageant, d’autant que les mystères entourant les visions n’aident pas à y voir clair – on peut en dire autant du plan de la cité proposé dans les premières pages, illisible. Mais le cadre fascine, et la destinée de Nafai, se précisant petit à petit (messager d’un dieu qui ne sait d’abord s’adresser à lui que par des rêves énigmatiques), entretient un certain suspense sur ce que sera sa mission, et surtout sur les responsabilités énormes qui lui incomberont. L’écriture est dynamique, riche et parfois percutante, malgré des dialogues empesés, avec un vocabulaire qui sait puiser dans différents registres.
De fait, le style est très différent de ce qu’on trouve ailleurs, même si on peut établir une certaine parenté avec Asimov dans la manière de faire avancer les intrigues par les dialogues. Comme il s'appuie sur un discours parfois ouvertement pédagogique, on a quand même par moments l’impression d’être devant un juvenile (un roman destiné plutôt aux adolescents) : beaucoup de démonstrations inutiles sont à déplorer, et des répétitions de situations peuvent agacer.
A contrario, la fin de ce volume est toute en accélération, presque bâclée, pour aboutir à une révélation qui annonce un périple d’ampleur cosmique. Pas trop tôt.
Du coup, cela mérite peut-être de poursuivre l’aventure, sauf si vous êtes réfractaires à la philosophie mormone (la saga semble fortement inspirée du livre servant de base à cette religion).
À vous de juger.
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