Atlantis Attaque !
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Les Omnibus de chez Marvel sont l'occasion d'enrichir les rayons de sa bibliothèque avec un objet imposant, esthétiquement beau et sobre, et permettant au collectionneur de posséder une saga complète sans avoir à explorer les recoins de son antre pour exhumer les différents numéros publiés en kiosque.
Atlantis attaque ! c'est cela et plus encore puisque la saga en question est un crossover entre épisodes parus non pas dans les séries classiques mais en annuals durant l'année 1989 et qui concerne la grande majorité des super-héros de la Maison des idées ainsi que le bestiaire qui les accompagne. La première de couverture signée Mike Mayhew, à l'encrage splendide, nous dévoile une sombre menace se profilant derrière Captain America, Iron Man, Thor et Namor en lutte contre une horde d'Atlantes alors qu'on devine au second plan les silhouettes inertes de Jean Grey, Sue Storm, Miss Hulk, l'Epée, Tornade et la Sorcière rouge. C'est plus qu'alléchant, d'autant que la quatrième nous révèle les numéros ayant servi pour le présent omnibus et touchant non seulement les Avengers et leurs homologues de la "West Coast" mais également le Silver Surfer, Hulk, les X-Men, Spider-Man, le Punisher, Daredevil, les New Mutants et X-Factor ! Excusez du peu !


L'émerveillement continue dès les premières pages de présentation avec le récapitulatif des artistes ayant œuvré dans ces annuals : quiconque a grandi à l'ère bénie (mais définitivement révolue) des éditions LUG, des Strange et autre Special Strange ou Titans puis qui a connu la révolution graphique entraînée par l'émergence d'Image comics ne peut que se réjouir de noms comme Steve Englehart, David Michelinie (papa de certains des meilleurs épisodes d'Iron Man), Peter David (celui qui fit de Hulk une série aussi dense que riche et adulte), Fabian Nicieza ou Roy Thomas (dont je raffolais des adaptations de Conan) au scénario. Les dessinateurs ne sont pas en reste puisque se côtoient des figures de proue comme Ron Lim (rappelez-vous les grandes sagas cosmiques entre le Surfer et Thanos), Mark Bagley et surtout l'inoubliable John Byrne des X-Men et d'Alpha Flight.
Avouez que c'est alléchant.

Restait donc à goûter au contenu. Je connaissais vaguement la Couronne du Serpent, cet artefact qu'on a retrouvé entre les mains de différents prétendants à la domination universelle, qui permet à son possesseur d'entrer en symbiose avec le dieu Set et d'acquérir par ainsi des pouvoirs défiant l'imagination. Vaguement car, sous une forme ou une autre, elle est réapparue régulièrement dans de nombreuses séries, au gré de scénarios alambiqués la rattachant à des projets de conquête d'un individu plus ambitieux qu'un autre ou simplement à une manipulation de la divinité susdite.
A ce propos, le dernier quart du présent volume nous propose une synthèse des aventures ayant eu cet objet comme point focal et retraçant son parcours à travers les âges, depuis la Création jusqu'à nos jours. Peter Sanderson et Mark Bagley utilisent le vieux truc du Gardien Uatu, qui a tout vu et sait (presque) tout, en narrateur des péripéties entamées dès la naissance du monde par un conflit entre Gaïa et Set et qui s'est poursuivi au fil des âges et sur d'autres mondes, dont une Terre alternative sur laquelle œuvre l'Escadron suprême. Il pourrait être intéressant de commencer la lecture de l'Omnibus par ce rappel qui a au moins le mérite d'être rapide et concis et de proposer une vision chronologique des événements. Car ces derniers sont innombrables qui ont vu les différentes tentatives de Set pour reprendre corps dans notre réalité et asservir les humains.

Le gros morceau de l'ouvrage est tout autre : maladroit, confus, naïf, aux ressorts grossiers et surtout sans continuité artistique. Le problème c'est que nous sommes face une compilation d'annuals, des épisodes conçus au départ comme hors continuité et permettant de donner de quoi manger aux lecteurs avides tout en laissant les artistes de la série officielle souffler un peu. C'est donc là que le bât blesse, quand bien même le projet de crossover ait réussi à impulser une dynamique chez les artistes conviés à la tâche. On y retrouve donc les manigances de Ghaur, le Grand Prêtre Déviant qui va s'associer à Attuma d'Atlantis en lui permettant de conquérir la surface tandis qu'il œuvre en secret à la résurgence du dieu Set. Vous l'aurez compris, l'attaque d'Atlantis n'est qu'une manœuvre de diversion afin d'occuper les héros de la Terre alors que se trame un plan bien plus machiavélique.

Ça commence fort avec l'épisode du Silver Surfer, rythmé et bien encré et particulièrement agréable à lire même de nos jours. En revanche, le script de Steve Englehart use de procédés qui me semblent suspects en faisant revenir du néant Ghaur, qui jadis posséda le pouvoir d'un Céleste mais fut défait par le Grand Esprit des Eternels. Disons que je n'ai pas du tout été convaincu par la manière dont le scénario attirait le Surfer jusqu'à Ghaur et surtout par celle dont le Surfer a réagi quand il a su ce que mijotait cet être qu'il savait néfaste au plus haut point (en gros, il abandonne les Terriens pour se consacrer à ses propres problèmes).
On continue sur Terre avec une série de petits événements impliquant les héros en divers endroits jusqu'à ce qu'ils comprennent que cela dissimule un enjeu plus important. C'est d'abord Iron Man qui se joint à Namor : la couverture laisse penser aux grandes heures du Vengeur en armure sous la houlette de Bob Layton et John Romita Jr : il n'en est rien et on assiste à un épisode poussif, aux décors minimalistes et qui a pris un méchant coup de vieux - comme bon nombre d'autres chapitres de l'ouvrage. Parfois, on est agréablement surpris en retrouvant des intermèdes signés John Byrne (comme la Réunion des West Coast Avengers), mais on retombe dans le médiocre ensuite (les apparitions de Hulk/Joe Fixit, la pénible aventure des X-Men divisés en quatre équipes malgré eux). Le "team up" Miss Hulk/Spider-Man a du chien pourtant, d'autant qu'ils affrontent l'Abomination, mais c'est malheureusement illustré par Rob Liefeld - et j'ai franchement passé l'âge de ces silhouettes approximatives et ces décors vides.


Ce sera du même acabit tout du long, les épisodes les plus agréables étant ceux qui ont le moins d'impact sur le crossover (comme celui, un peu cul-cul de Rich Buckler pour les New Mutants). Ce qui déçoit c'est avant tout la manière très artificielle avec laquelle les séries se joignent et les motivations ou réactions parfois incompréhensibles de nos héros. Le coup des Sept Épouses est d'ailleurs assez imbuvable, même si, graphiquement, c'est le haut du panier. Cependant il faut reconnaître que le côté désespéré du finale à rebondissement parvient à tenir en haleine, avec sa part d'actes héroïques et de sacrifices (qui n'en sont pas).
Une déception à la hauteur de l'épaisseur du livre et des promesses qu'une telle collection de talents et de personnages pouvait engendrer.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un Marvel Omnibus, ça en jette dans une bibliothèque.
  • Des noms d'artistes qui nous ont fait rêver.
  • Un assemblage de super-héros comme on n'en retrouve que dans les plus grands "events".
  • Le plaisir de retrouver des équipes qui ont disparu depuis (les West Coast Avengers, les X-Factor originaux, les New Mutants).
  • Une bonne synthèse sur la Couronne du Serpent qui permet un bon passage en revue des grands moments du monde Marvel.

  • Des ressorts dramatiques souvent risibles.
  • Des réactions parfois incompréhensibles.
  • Un assemblage un peu artificiel et une profusion de noms qui entraînent la confusion.
  • Des dessins et des encrages qu'on a aujourd'hui du mal à supporter.