Rester « crédible », ou l'art de ne pas céder à la facilité
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J'accorde une importance particulière au genre d'un film que je vais voir. Même si celui-ci m'est inconnu (difficile de nos jours avec les bandes-annonces, le matraquage marketing, les réseaux sociaux, etc.), on le distingue assez rapidement au début du long-métrage (cela fonctionne aussi avec les séries TV). Je ne me conditionne pas forcément par rapport au genre, je me laisse porter dans un univers imaginaire fantastique ou je navigue dans un environnement de science-fiction, qui m’apparaît comme totalement plausible dans notre réalité d’ici quelques années si l’histoire ne pousse pas la science de façon « trop extrême ».
Par exemple, quelques épisodes de Black Mirror sont tout à fait crédibles là où d’autres vont « trop loin » pour s’imaginer qu’un jour « notre vie sera comme ça ». J’apprécie également le cadre très réaliste confiné à un drame ou un thriller, pouvant imaginer que ce que je vois pourrait se passer « dans la vraie vie ».

Après plusieurs discussions avec des collègues, je me suis aperçu que j’étais trop exigeant sur le terme « crédible » aux yeux de beaucoup. Je m’en explique. Un film de science-fiction, prenons Interstellar par exemple, m’apparaît totalement crédible quand son histoire est cohérente et les explications apportées logiques. La frontière parfois floue entre le registre fantastique et de science-fiction sous-entend que l’on peut « tout se permettre » de montrer à l’écran vu que « de toute façon c’est pas possible ». J’ai horreur de cet argument. Il est ridicule. Ce n’est pas parce que l’on est dans une fiction qui propose des créatures, des monstres, des super-héros ou des extraterrestres qu’on peut tout faire ! Au contraire, on se doit d’être plus exigeant avec les règles que l’on a créées dans un monde totalement imaginaire.


J’ai vu Get Out au cinéma, j’ai plutôt bien aimé. À l’instar de Grave, dont nous parlions ici et que nous avions particulièrement apprécié, le film mélange un peu les genres, entre le drame, le thriller, l’horreur (l’angoisse plutôt)… mais j’ai du mal à comprendre les critiques dithyrambiques. Le film est assez prévisible, son explication ne me semble pas plausible « dans la vraie vie » (de l’hypnose et des opérations chirurgicales confinant le cerveau d’un être dans celui d’un autre, etc.). L’on m’a répondu que le propos n’était pas là, que ces éléments ne sont pas les plus importants, que le message et l’ambiance prévalaient. Certes. Mais je les juge cependant importants. Le film ne bascule jamais vraiment dans l’absurde ou le surréalisme, donc cela m’a gêné d’y voir des éléments que je trouve peu plausibles (en plus de bon nombre d’incohérences qui rendent l’ensemble encore moins crédible) sous prétexte que je m’attarde trop sur le « genre » du film. Comme je le disais en amont, le mélange des genres ne me dérange pas à partir du moment où il est bien équilibré et, surtout, quand il est annoncé clairement en amont. Toujours dans cette conversation, l’on m’a dit que je ne devais aimer QUE les reportages et les documentaires si je n’aimais pas qu’il y ait des éléments un peu surréalistes, fantastiques ou autres dans un film. MAIS PAS DU TOUT ! Au contraire, j’adore les films fantastiques et de science-fiction, mais je déteste quand la particularité de ce registre (un élément non « plausible dans notre monde actuel ») intervient comme la « solution miracle » à propos de la résolution d’une intrigue, ou bien que le film bascule soudainement dedans pour justifier certains éléments de l'intrigue.  Cela me fait penser à quatre autres exemples bien distincts.


Le film Mémoire effacée, sorti en 2003 et pas vraiment passé à la postérité, narrait l’enquête d’une mère dont l’enfant avait disparu après le crash d’un avion. L’existence des autres passagers à bord de l’engin semble avoir été effacée chez leurs proches (sauf ladite mère, personnage principal du long-métrage). Tout le long du film, nous sommes clairement dans un thriller, à base de complot, de manipulations… Attention spoilers : la fin de Mémoire effacée nous explique qu’en fait ce sont des extraterrestres qui sont à l'origine du problème… Non seulement c’est trop facile, mais en plus rien ne nous indiquait cette piste d’explication en amont, pour moi on se fout du spectateur.




Autre exemple plus récent (je vais spoiler, passez au paragraphe suivant si vous n’avez pas vu Split) avec la fin du dernier long-métrage de M. Night Shyamalan. Le talentueux scénariste (à la carrière clairement en dents de scie) nous a habitué à un twist final dans quasiment chacun de ses films. Pour Split, il s’inspire sans réellement l’indiquer du formidable livre Les Mille et une vies de Billy Milligan de Daniel Keyes, revenant sur le cas exceptionnel de William Stanley Milligan (dit Billy), qui avait 24 personnalités en lui. Pour l’anecdote il fut acquitté d’un viol commis par une de ses personnalités, jugé non responsable « grâce à » son trouble de la personnalité multiple relativement exceptionnel. L’acteur James McAvoy joue donc l’équivalent de Milligan et on distingue clairement plusieurs personnalités dans son personnage (4/5 et non 24 même si on sait qu’il y en a 24 au total). Seulement, la fin du film nous montre une personnalité qui permet au corps de résister à plusieurs impacts de balles. Malgré les expériences menées sur la force mentale, bien difficile de trouver cela crédible alors que tout le reste l’était (puisque ce cas a vraiment existé !). A ce moment-là, Split bascule dans le registre fantastique, alors qu’aucune indication en amont ne laisser présager cela. Est-ce « grave » ? Oui et non, car même sans cet élément, Split reste une réussite. Mais cet aspect laisse un petit goût amer. Cette semi-déception prend un autre sens lorsqu’on découvre (durant le générique de fin) un lien avec le film Incassable : on comprend alors que Split se déroule dans le même univers. Un univers où il existe un homme invincible et immortel (David Dunn, campé par Bruce Willis) et un autre qui sera son ennemi (celui joué par James McAvoy donc). Incassable flirtait élégamment avec le fantastique tout le long, oscillant entre le drame et le thriller avec un équilibre parfaitement entretenu.

Dans The Dark Knight Rises, de Christopher Nolan, un film somptueux mais comportant un paquet de défauts, de nombreuses « incohérences » ont été pointées du doigt, à juste raison. Une fois encore, c'est lors d'une discussion, durant laquelle je défendais le long-métrage tout en évoquant ses cruelles incohérences, que l'on m'a rétorqué « mais on s'en fout de ça, c'est pas grave, c'est un film de super-héros de toute façon, évidemment que tout ne vas pas être crédible ». J'ai failli m'étouffer. J'ai beau aimer le film, en bon BatFanBoy que je suis, force est de constater qu'il y a des problématiques qui piquent les yeux (en plus de la mort pitoyable de Marion Cotillard). Lorsque Batman revient à Gotham City, devenu un No Man's Land géré par Bane, trois situations sont assez improbables (qu'on soit dans un cadre « réaliste » ou de « science-fiction », ne change rien).

Premièrement, Batman sort de sa prison souterraine (on ignore où elle est située mais très certainement à l'étranger à des heures d'avion) et se retrouve à Gotham sans que son voyage soit montré. Pas forcément « important » de le dévoiler de prime abord car « c'est Batman, il peut faire ce qu'il veut », mais tout de même… Bruce Wayne a-t-il utilisé son influence ? De l'argent caché (à ce moment-là il est censé être ruiné) ? Comment est-il rentré dans une ville coupée de tout ? Pour ce dernier point on s'en fiche un peu, mais l'ensemble des questions que ça soulève sont pertinentes… Deuxièmement, une fois à Gotham City, le justicier marche sur un lac gelé sans faire fissurer la glace ni tomber dedans. Pourquoi pas. Sauf que le film nous montre exactement la même scène avec une autre personne qui, elle, tombe et finira noyée (et/ou congelée). Batman doit peser une centaine de kilos et arbore un costume pesant certainement un poids assez élevé. Il n'est donc pas logique que la glace ne cède pas sous ses pieds aussi !
Troisièmement, un logo d'une chauve-souris en flamme est montré sur la façade d'un immeuble en ruine, pour indiquer à tout le monde que Batman est de retour, que le symbole de l'espoir est là, etc. Une fois encore, même si cela n'a pas été dévoilé à l'écran, on ignore un peu quand et comment le Chevalier Noir a mis cela en place. Comment est sans doute simple à deviner, mais quand ? Si on étudie quelques instants le retour de Bruce Wayne à Gotham, nous avons un homme blessé, à l'autre bout du monde, qui arrive à revenir à Gotham City, qui prend le temps d'enfiler son costume, d'aller concevoir son emblème en haut d'un immeuble avec de l'essence, puis qui marche sur la glace sans qu'elle se fissure ! Incroyable… L'entrée est soignée, le spectacle est là, mais on manque cruellement d'indices ou de pistes de réflexion pour comprendre un peu la cohérence de tout cela. L'excuse du « c'est bon c'est Batman, en plus c'est un film de science-fiction » a du mal à passer. Et on pourrait continuer longtemps avec ce film, avec par exemple les policiers intégralement cloitrés sous terre qui restent plutôt propres durant des semaines et sont directement motivés pour se battre une fois remontés à la surface…


La série Lost touche à plusieurs genres également : aventure, drame, thriller, fantastique, science-fiction… C’est ma série favorite et je dois souvent justifier et réexpliquer bon nombre de détails (ce qui va déboucher sur un livre à venir d’ici la fin de l’année, mais ceci est une autre histoire). On reproche beaucoup de choses à Lost, à commencer par sa fin qui a été mal comprise mais nous ne reviendrons pas dessus. La série est accusée de partir dans « le n’importe quoi » à partir de la saison 4. En cause : des voyages dans le temps. Un aspect donc totalement emprunté à la « science-fiction ». D’autres éléments sont plutôt dans une veine « fantastique », à commencer par le fameux monstre de fumée noire, qui n’a jamais bénéficié d’une explication rationnelle pure et dure mais plutôt d’une origine mystique, donc fantastique. Cela n’intervient pas comme un cheveu sur la soupe, au contraire : l’épisode pilote de Lost nous dévoile cette entité mystérieuse, ainsi qu’un personnage « fantôme ». Nous sommes donc dans un univers bien distinct au registre fantastique et ce, dès le début de la série. Même si cet aspect est mis de côté par la suite et qu’il reviendra par petites touches, le spectateur n’est absolument pas trahi. Le côté science-fiction intervient principalement en saison 4 puisque les auteurs se refusaient de le faire avant. Mais l’ensemble conserve une grande cohérence et s’inscrit dans une suite d’évènements logiques (et « plausibles » puisqu’ils répondent à de nombreux mystères).

Les films d’horreur aiment particulièrement basculer dans l’explication surnaturelle, à base de fantômes ou démons, après avoir laissé penser que la « menace » pouvait être purement humaine. Cette façon de procéder est quelque peu déplaisante, elle reste une solution de facilité. Pour revenir à Get Out, qui n’appartient à aucun genre précis — ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse (à mon sens) — et pour dévier un peu de ce que je viens d’évoquer, on peut souligner la place de l’hypnose, qui est au centre du récit. Ce n’est pas forcément LA révélation (d’autant plus qu’elle est très prévisible assez tôt) mais c’est un élément important du film, qui reste délicat à traiter si l'on veut conserver l'aspect plausible du récit.

 

Le manga Doubt a utilisé l’hypnose comme étant l’explication à tout ce qui se déroulait dans ses pages, idem pour le manga King’s Game dont l’explication finale est un étrange mélange d’hypnose et de jeu vidéo. Tout cela décrédibilise le récit en amont et apporte une justification beaucoup trop simpliste (une explication d’un mystère déçoit souvent, mais quand elle est aussi « facile », c’est frustrant et donne l’impression d’être pris pour un abruti). L’hypnose existe bel et bien dans notre monde mais quand c’est poussé à l’extrême au point de pouvoir manipuler plusieurs personnes – comme dans la fin de Batman & Robin Eternal – on perd en crédibilité. Si cela passe déjà mal sur papier, c’est (souvent) pire à l’écran. Pour rester dans les livres, Nolt a également évoqué récemment le manque de vraisemblance du dernier roman de Musso.

Même traitement pour les sectes et les gourous. Représenter des êtres manipulés sans se dire qu’ils sont des abrutis naïfs et continuer à trouver ça réaliste est très difficile ! La série The Following en est le parfait exemple, si le gourou est charismatique et certains de ses fidèles un peu développés pour comprendre leur attitude, l’ensemble pèche par un manque d’empathie et d’intérêt pour les personnages. Get Out évoque aussi ce côté secte. Le film reste bien, il faut aller le voir, surtout pour l'angoisse qu'il génère (habitués aux films de genre vous ne serez guère surpris) et son message anti-raciste global. Mais clairement, même si j’ai passé un bon moment, je ne comprends pas l’engouement général.
Même si cela aura eu le mérite d'aboutir à cette réflexion ;o)