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Disparition mystérieuse et journalisme gonzo sont au menu de Addict.

James Renner, l'auteur de ce livre paru l'année dernière en français chez Sonatine, est un journaliste spécialisé dans les affaires de disparition non résolues [1]. Le cas qu'il aborde ici est aussi poignant qu'étrange, notamment parce qu'il concerne Maura Murray, jeune fille sympathique disparue en 2004, mais aussi parce que les éléments troublants voire carrément sinistres sont nombreux dans cette affaire, aussi tragique que passionnante.

Maura est une étudiante de 22 ans, sportive, jolie, intelligente. Elle cumule deux jobs, a un fiancé, sort parfois avec des amis... bref, quelqu'un d'on ne peut plus normal. Le 9 février 2004, en plein hiver, Maura a pris la route en direction du Nord. Il fait déjà nuit lorsqu'elle arrive à Haverhill, New Hampshire. Elle s'engage sur la route 112. Une petite route de campagne desservant quelques fermes isolées avant de se perdre dans l'immensité de la forêt. C'est après un virage serré qu'elle perd le contrôle de sa voiture.
À 19h27, une habitante du coin, alertée par le bruit, appelle la police pour signaler l'accident.
Peu après, Butch Atwood, un chauffeur de bus rentrant chez lui, s'arrête pour porter secours à la jeune femme. Elle va bien, elle n'est pas blessée et refuse son aide, prétextant avoir déjà contacté une société de dépannage. Atwood, qui sait pertinemment que les téléphones portables ne passent pas ici, sait qu'elle ment. Il rejoint sa maison, cent mètres plus loin, et appelle lui aussi la police. Il est 19h43, il vient à peine de quitter Maura.
La police arrive à 19h46. Maura n'est plus là. En quelques minutes, elle s'est évaporée, sans laisser aucun trace.
Elle ne sera jamais retrouvée.

Lorsque l'on commence à s'intéresser à l'affaire Maura Murray, il est difficile de ne pas être à la fois saisi d'effroi et passionné par ce cas de disparition aux nombreuses zones d'ombre. On comprend d'ailleurs parfaitement pourquoi James Renner est devenu "accro" à cette enquête. [2]
Il faut souligner le très bon travail de la traductrice, Caroline Nicolas, qui conserve le style alerte de l'auteur et a très intelligemment ajouté de nombreuses notes expliquant les termes liés aux spécificités américaines.
Mais pourquoi diable ce cas serait-il si passionnant ? Après tout (et malheureusement), les disparitions inexpliquées ne sont pas rares, même en France (plus de 10 000 personnes disparaissent chaque années [3]). Eh bien, il faut dire que tout est réuni pour faire de cette disparition une affaire des plus sulfureuses.

Tout d'abord, la soudaineté de la disparition est intrigante. Il ne se passe pas plus de 4 ou 5 minutes entre le moment où Atwood laisse Maura (qui a refusé d'aller s'abriter chez lui), et l'arrivée du premier véhicule de police. Peut-être moins.
Les spécificités de l'endroit jouent aussi. Nous sommes dans la campagne américaine, au bord de l'immense White Moutain National Forest. Si vous jetez un œil sur Google Earth, vous verrez que c'est très joli... de jour et en été ! De nuit et en plein hiver, c'est beaucoup moins accueillant.
Dans les jours précédant la disparition de Maura, il se passe plusieurs évènements quelque peu étranges. Elle a une crise de larmes après une conversation téléphonique à son travail et tombe dans une sorte de catatonie. Elle a un autre accident, avec la voiture de son père cette fois, en pleine nuit, alors qu'elle a bu et qu'elle revient d'une fête. Le policier qui vient sur les lieux la laisse repartir sans même un contrôle d'alcoolémie.
Tous les aspects bizarres de cette enquête ne sont pas exclusivement liés à Maura ou au lieu de sa disparition. Un grand nombre de personnes pour le moins étranges vont interférer dans les investigations. Un type du coin vient un jour remettre au père de Maura un couteau rouillé dont son frère se serait servi pour assassiner la jeune fille. Un autre taré poste une vidéo glaçante sur le net, pour célébrer l'anniversaire de la disparition de Maura.
Et certains de ses proches ne semblent pas dire tout ce qu'ils savent...

L'auteur, James Renner.

Tout cela forme un parfait thriller, sauf que, contrairement aux bons romans, cette histoire tristement réelle ne trouvera jamais une conclusion. Des tonnes d'hypothèses sur ce qui est arrivé à Maura ont vu le jour. Certaines sont crédibles, d'autres grotesques (il faut dire qu'un nombre incroyable de personnes plus ou moins étranges sont directement liées à cette affaire). Mais pour la famille de cette jeune étudiante, toutes sont horribles, car aucune n'est certaine.
Il y a sans doute également un aspect moral à aborder. L'on pourrait en effet se demander s'il n'y a pas dans la démarche de Renner (et dans celle du lecteur, ne nous dédouanons-pas) une forme de voyeurisme, de fascination morbide. Eh bien... sans doute, en partie. Ce genre d'histoires nous font frissonner parce que nous savons qu'elles sont vraies. Cela plonge un hameçon très efficace dans notre facette noire et peu recommandable, toujours prête à aller vers l'horreur. Mais fort heureusement, il n'y a pas que ça.

D'une part, les familles sont en général toujours très heureuses d'avoir accès aux médias, de voir relayer leurs demandes. Même dix ou quinze ans après une disparition, certains cherchent encore. Seuls.
D'autre part, il ne semble pas inintéressant d'attirer l'attention du grand public sur le nombre astronomique de disparitions quotidiennes inexpliquées, que ce soit aux États-Unis ou de ce côté de l'Atlantique. À notre époque, où les caméras, les portables, les analyses ADN, sont courants, il est tout de même effarant de constater que des gens peuvent disparaître (en milieu rural ou urbain d'ailleurs) sans que l'on soit en mesure d'avoir la plus petite idée de ce qui leur est arrivé.
En cela, Maura est devenue une sorte de symbole, de personnage idéal presque, incarnant nos terreurs les plus indicibles.
Car enfin, comment se relever d'une perte que rien ne justifie ? Comment gérer une absence qu'aucun élément concret ne peut expliquer ? Comment vivre avec ça ?
Le père de Maura, lui, a continué de chercher. Et d'accrocher régulièrement un ruban bleu sur un arbre bordant la route où la voiture de sa fille a été retrouvée.

Quant à Renner, l'auteur de cette enquête, il se met en scène lui-même et dévoile d'étranges "symétries" ou coïncidences. Il a lui-même subi une tentative d'enlèvement étant jeune, sa sœur a été harcelée par un type très louche, son grand-père était un pédophile, et il se passe quelque chose de très troublant (que nous ne dévoilerons pas ici) avec son propre fils... autant dire que l'univers de Renner est noir. Très noir, noir au point qu'il se retrouve dépendant à l'alcool, divers psychotropes et craque au point de séjourner en prison pendant un temps.
Il fait cependant preuve d'une grande honnêteté et d'un rare recul sur ses propres démons intérieurs, tout en conservant pour son récit un découpage et un rythme dignes d'un thriller.

Une plongée spectaculaire dans les ténèbres, en compagnie de prédateurs dangereux et d'odieux salopards.
Attention, on ne ressort pas nécessairement indemne d'une telle lecture. [4]

Le lieu de la disparition de Maura (image Google Earth).


[1] Il s'agit d'un genre littéraire (le "true crime") à part entière aux États-Unis.
[2] Lorsque Renner commence à enquêter sur Maura, il se fait suivre psychologiquement pour des symptômes de stress post-traumatiques, traumatisme survenu après sa dernière enquête, particulièrement glauque, sur une disparition de fillette. C'est dire l'implication de ce reporter, qui ne cache d'ailleurs rien dans ses écrits de son côté sombre.
[3] Le chiffre peut paraître ahurissant, il provient pourtant de sources officielles, notamment du ministère de l'Intérieur. 40 000 personnes sont signalées disparues chaque année en France, 30 000 sont retrouvées. Chaque jour, dans notre pays, ce sont donc plus de 27 personnes qui s'évanouissent dans la nature et disparaissent à jamais... plus d'une personne toutes les heures.
[4] Pour l'anecdote, bien que lisant des romans d'épouvante et des histoires vraies parfois morbides depuis des décennies, c'est le premier livre à m'avoir dérangé au point que j'en fasse un (pénible) cauchemar la nuit suivant sa lecture. C'est bizarrement le fils de Renner qui m'a le plus mis mal à l'aise.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Poignant.
  • De nombreuses informations.
  • Un style fluide et prenant.
  • Une traduction habile.
  • L'implication et la franchise de l'auteur.

  • Certaines parties semblent presque "romancées" tant elles sont... déroutantes.