Captain Marvel : Monstres & dieux
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J’ai toujours aimé Captain Marvel. Je parle ici du déserteur kree devenu défenseur de la Terre et des grandes causes cosmiques (le nom ayant été porté par bon nombre de personnages, avant et après lui et même en dehors de Marvel).
Il est, et d’assez loin, mon super-héros préféré. Une inclination qui date pourtant, remontant à l'époque des premiers Strange édités par Lug. Aux côtés de l'Homme-Araignée, de Daredevil ou de l'Invincible Iron-Man, il y avait ce guerrier interstellaire venu conquérir la Terre avant de prendre fait et cause pour la planète bleue (donc avant Actarus) : des vaisseaux spatiaux, des pistolets laser, des extraterrestres, de grands idéaux, il n'en fallait pas moins pour me convaincre. Dans les pages de ses aventures, je vivais des épopées cosmiques, rencontrais des héros christiques et des vilains totalement charismatiques (quelle invention que ce Thanos, Titan fils de Mentor, amant de la Mort, puisant autant dans l’inspiration de la mythologie hellénique que dans les classiques de la terreur ! [cf. cet article sur les origines du personnage]). Les dialogues eux-mêmes, quoique souvent pompeux, exprimaient un goût certain pour le verbiage philosophique et les destins hors normes : à coups de grandes phrases maniérées, Mar-Vell (son patronyme, plutôt bien trouvé finalement) s’installait comme un personnage aussi classique dans sa conception que novateur dans son évolution. L'ancien soldat kree se vit catapulté protecteur de l’Univers par les bonnes grâces d’entités quasi-divines. Tout, de son élégance naturelle à l’expression de ses pouvoirs (ce vol gracieux souligné d’une traînée d’étincelles, ces rafales photoniques et cette conscience cosmique qui se traduisait – et se traduit toujours ! – par une forme d’harmonie avec l’univers, le visage devenant le reflet de l’espace intersidéral…) me fascinait. Or, Mar-Vell, déjà à cette époque, ne pouvait exister sur notre plan que pendant un laps de temps limité, car il partageait son existence avec celle de Rick Jones, ce jeune que le destin a placé sur la route de personnages aussi incontournables que Hulk ou Captain America.

Et puis j’oubliais Starlin, Jim Starlin, l’artiste qui acheva de faire de Captain Marvel, par le biais de la "saga du Cube cosmique", un super-héros inégalable. J’aimais ce personnage, j’adorais ses histoires, j’admirais les êtres étranges qu’il rencontrait, de Drax le Destructeur à Eon, en passant par les Titans ou l’Intelligence Suprême… et puis Thanos, bordel !

Captain Marvel était donc mon super-héros préféré. Loin devant Vance Astro, leader des premiers Gardiens de la Galaxie.
Il est mort figurez-vous. Dans une histoire publiée en un album mémorable, Marvel affronte un ennemi qu’il ne pourra vaincre : le cancer. Une histoire magistralement écrite qui a laissé des traces, avec un impact supérieur à la mort de Gwen Stacy.
Bien sûr, nombre de héros marvelliens ont été régulièrement ressuscités, parfois pour le meilleur mais souvent de façon maladroite. Mar-Vell, lui, peut-être par respect pour ce personnage à part, ne l’a jamais été jusqu’à récemment.

Mais il se trouve qu'il eut un fils.
Genis, qu’il s’appelle. Grand, costaud, beau gosse, il sera pris en charge par un duo d’artistes talentueux qui le propulseront nouveau protecteur cosmique à travers une succession de péripéties hésitant entre loufoquerie et drame. Résumer sa pourtant courte carrière serait une gageure, mais une chose est certaine : il est lui aussi lié à Rick Jones (il faudra bien un jour lui ériger une statue à ce garçon, lui qui a sauvé plusieurs fois l'univers en devant supporter l'ego et les atermoiements de personnalités aussi différentes que Bruce Banner et Steve Rogers). Ce dernier l’initiera au "métier" de super-héros et Genis, après avoir endossé l’identité de Legacy, revendiquera le surnom de feu son père. Seulement, son caractère est loin d’être le même : instable et impulsif, il a suivi une éducation plutôt hédoniste (je fais court) et même l’influence de Rick ne parvient pas à faire de lui l’égal de ce que fut Captain Marvel. D’autant que les dangers qu’il affronte sont grands. Jusqu’au jour où il se fera manipuler par des entités omnipotentes qui boosteront ses pouvoirs, au point qu’il deviendra conscient des futurs possibles et des tragédies passées. De quoi devenir cinglé. Et plusieurs fois.


C’est ici que commence notre album, édité en 2006 dans la collection Monster Edition de Panini (cf. cet article de présentation).
Genis a récupéré le vieux costume de son père, du temps où il était encore officier kree (très classe finalement, dans les tons vert et argent) et canalise son énergie au travers d’un pistolet. Il écoute de moins en moins les plaintes de Rick, isolé dans le Microvers, qui se désole de la tournure que prend la mission divine de Genis, car ce dernier s’est mis en tête de devenir redresseur de torts à l’échelle de l’Univers. Totalement imbu de sa propre puissance, qui l’hypnotise et le terrifie à la fois, il ira jusqu’à braver Thor, seigneur d’Asgard, avant de tester sa justice immanente en s’associant avec un psychopathe réchappé miraculeusement de la chaise électrique, s’autoproclamant juge devant un Spider-Man ébahi. C’en est trop pour Jones qui va péter un câble et le rappeler à l’ordre. Genis, fatigué par l’attitude réprobatrice de son alter-ego, le suicidera, tout en se moquant des représentants des quatre races les plus représentatives de la Galaxie (Krees, Skrulls, Rigelliens et Shi’Ars) décidés à tout faire pour l’arrêter…

Nous voici en présence de douze épisodes de la série regroupés en trois arcs (Monster & Gods, 2 volets ; Coven, 4 volets ; Crazy like a fox, 4 volets) et quelques one-shots, le tout dans une édition qui nous propose en outre de très belles couvertures originales. C’est le grand Peter David qui est aux commandes : l’ancien et respecté scénariste inamovible de Hulk [dont je vous parlais tout récemment encore ici et ] ne s’y embarrasse pas de simplicités narratives au point que le récit paraît souvent confus, nébuleux, même si on se régale des situations dans lesquelles se plonge Genis, de ses réflexions remettant en cause jusqu’aux fondements de l’éthique humaine et le principe de la Justice, ainsi que de quelques duels impressionnants dans lesquels le fils de Mar-Vell fait étalage d’une puissance impressionnante.
David laisse régulièrement s'exprimer son humour cavalier mais excelle aussi dans ces moments où la folie de Genis reprend le dessus, plongeant le lecteur dans un abîme de perplexité dans lequel il ne parviendra que difficilement à distinguer le réel de l’illusoire : car le nouveau Captain Marvel est moins un être vivant qu’un concept brisant les barrières du temps, né adolescent d’un fragment d’ADN, héros malgré lui et profondément conscient de son pouvoir. Des réalités alternatives surgies de son passé resurgiront de vieux démons qui lui paraîtront tout à fait réels : il se découvrira même une sœur qui elle-même le dépouillera de son statut de gardien de l'univers.

Un voyage palpitant, parfois embrouillé, totalement jubilatoire et servi par des dessinateurs de talent (dont Kyle Hotz et Michael Ryan), qui nous mènera aux lisières de la folie et nous fera prendre conscience de ce que sont les "vraies" responsabilités liées à un grand pouvoir. On regrettera que le résumé fourni en sommaire soit aussi peu précis, les données sur les épisodes précédents ne permettent pas de profiter pleinement du scénario très touffu.
Mais pour qui aime, c’est un délice.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une édition bien dense et pertinente rassemblant douze histoires pour un prix modique.
  • Quatre dessinateurs au style assez homogène et au trait acéré.
  • Un anti-héros fascinant.
  • Des confrontations de grande ampleur.
  • Un humour piquant, grande spécialité d'un scénariste passé maître dans ce domaine.

  • Des références obscures et un résumé un peu chiche qui n'aide guère le lecteur.
  • Un personnage qui manque finalement de charisme et ne supporte pas la comparaison avec son géniteur.