Time Lost - Tome 1 : Opération Rainbow 2
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Nous sommes tous prisonniers d'une expérience de voyage temporel.
Tous ceux qui tentent ce "saut" se retrouvent coincés ici, à cette période et dans cette région.
Comme si tous les fils du temps étaient enchevêtrés dans un grand sac de nœuds.
Et ce nœud temporel, c'est "ici".

Captain Bettie - USS Reprisal - Opération Rainbow 2


Time Lost est la nouvelle série des éditions Soleil (sortie prévue la dernière semaine d'août 2019) née de la collaboration entre Jean-Luc Sala (QuestorCross Fire...) au scénario et Afif Khaled (Les chroniques de Centrum) au dessin.
Le duo nous a déjà offert le tome 8 de Kookaburra Universe (Le dernier vol de l'enclume) et le tome 2 de Les Divisions de Fer.
Avec ce Time Lost, ils prouvent que l'alchimie fonctionne toujours et, étant cette fois à l'initiative de la série (dont j'espère qu'ils ne céderont pas les manettes à d'autres tant ça marche bien ainsi), ils nous offrent un univers bien à eux qui est juste assez sérieux pour que les idées idiotes soient drôles et juste assez drôles pour que les aspects sérieux ne soient pas indigestes.

Vous voyez, le blondinet un peu lourdingue, là ? C'est Josh et ce sera notre principal comic relief. On se moque gentiment du petit macho : efficace !

Troisième Reich, dinosaures, méchas et pom-pom girls !

La base du scénario de cette BD est un "What if ?" comme on les aime... enfin, comme je les aime et c'est déjà pas mal.
Pour vous prouver la chose, voici le pitch proposé par Soleil pour illustrer la sortie de ce premier tome : "Et si à de nombreuses reprises depuis les travaux d'Einstein, des essais de voyages avaient déjà été tentés, sans retour possible, piégeant dans une zone hors du temps ces infortunés cobayes ? C'est là, où se poursuit une guerre mondiale, que trois jeunes gens vont devoir survivre aux côtés de troupes d'élite de Patton, de dinosaures, Nazis, robots géants et autres pom-pom girls !".
Alors ? Ce n'est pas un peu intrigant, ça ? Allez, ne soyez pas malhonnêtes : avouez que ça vous démange d'en savoir plus. 
Mais regardez-moi cette couverture à droite et osez me dire que vous n'êtes pas au moins un peu intrigué !  
Alors vous vous attendez à quoi, bande de petits bédévores geeks, hein ? À une sorte de nanar version papier, hein oui ? Ah, je vous vois venir ! Vous pensez à Iron Sky (que ceux qui ignorent ce que c'est regardent ce film... à leurs risques et périls) !
Mais non, ce n'est pas un Iron Sky à phylactères. C'est mieux. Parce que c'est moins absurde. Et, du coup, c'est bien plus exploitable sur la longueur (on veut une série, non ?).

Voyage dans le temps

Souvent, les voyages dans le temps, ça vous farcit une histoire de mille paradoxes plus ou moins assumés, plus ou moins conscients, plus ou moins acceptables.
Ici, dès le départ, Sala décide de nous livrer une histoire qui tend un bon gros majeur de catcheur (je fais des dédicaces à Stone Cold Steve Austin si je veux !) à toutes les théories des nerds de tous poils sur les sauts temporels. Oubliez les univers multiples, les paradoxes, les failles, les trous de ver et autres bidules qui ne tiennent pas la route ou qui demandent six cerveaux pour être compris... L'auteur nous annonce d'emblée que le temps est une sorte de chaton :  c'est tentant de jouer avec, de le tripatouiller et de le retourner dans tous les sens mais si tu veux faire mumuse avec lui, il te griffe jusqu'au sang.
On a donc divers voyageurs temporels (volontaires ou non) de diverses époques qui se retrouvent tous dans une sorte de décharge temporelle dans laquelle tout est fait pour leur faire payer leur arrogance. Ici, visiblement, les griffes du chaton sont des dinosaures ! Oui, l'espace-temps où se retrouvent les voyageurs et (idée amusante) une partie de leur environnement semble bien être une région relativement restreinte située au temps où un certain T-Rex jouait les gros durs.
Comme une partie du décor se déplace avec eux, ils ont des bâtiments et objets qui leur sont contemporains et ils se débrouillent pour les adapter peu ou prou à leur nouvel habitat (d'où les méchas).
Autre trouvaille : il semble que dans ce creuset hors du temps, il n'y ait pas vraiment de temps : ils ne vieillissent pas... mais ils peuvent crever comme des insectes si un dino passe par là et a un petit creux !
Vous l'aurez compris, c'est très décomplexé et forcément, moi qui aime rigoler et qui apprécie quand la SF ose se départir de ses frilosités, je n'ai pu qu'adhérer !

J'aime les jeux de figurines, comme ça commence à se savoir.
Alors quand je vois ça, moi, j'ai un sourire somatique en pensant : "Dust : Tactics" !

Un casting varié

Ce genre de récit n'aurait qu'un intérêt très relatif si tous les protagonistes venaient de la même époque et nous avons donc ici, pour une raison parfaitement logique, des protagonistes appartenant à l'armée nazie et d'autres officiant pour Patton mais aussi quelques-uns de nos contemporains se permettant de flatter notre geekitude en lâchant de multiples références à notre époque et à la culture mainstream en lien avec la préhistoire et la seconde guerre mondiale.
Prenez des militaires US de l'opération Paperclip, teigneux et avides de dessouder du nazi, un ancien quartier-maître de la Navy bossant de nos jours dans le musée national de l'aviation navale de Pensacola, deux cheerleaders et un joueur de soccer (oui, un footeux, quoi !) de la génération snowflakes et vous imaginez déjà que l'auteur va pouvoir, dans les tomes suivants, s'amuser en décrivant leurs relations interpersonnelles.

Oh comme je sens que ce barbu va me plaire ! C'est le fameux ancien quartier-maître et le gars a de la punchline en réserve et pas mal de caractère ! 

Dans les tomes suivants ?

Eh oui ! Parce que ce tome 1, pour agréable qu'il soit, est juste la mise en jambes. C'est déjà intéressant, drôle, délirant et inventif mais c'est une introduction. L'auteur vient de vous expliquer les règles du jeu mais il n'a pas encore abattu beaucoup de ses cartes. Nombre de personnages évoqués ne sont pas encore apparus à l'image depuis leur saut dans le temps et le saut de tous n'a pas encore été raconté. Il y a de la matière : l'histoire de chacun avant le voyage temporel, ce qu'il fait depuis son arrivée en plein Jurassic Park géant...
D'ailleurs, le seul voyage déjà raconté est celui qui fut accidentel. Ce qui et intelligent : ça en dévoile très peu, du coup !

Noah Appelbaum (oui, ils s'appelle "pommier", oui) est un scientifique juif forcé par les Nazis à développer
la "répulsine" à voyager dans le temps.  Il me tarde de voir son histoire se dévoiler davantage.

Et techniquement, qu'est-ce qu'il y a sous le capot ?

Scénaristiquement, c'est rythmé et amusant. Pas de longueurs, pas d'explications inutiles mais, paradoxalement, juste assez de place pour nous présenter par le dialogue les personnages et introduire de-ci de-là l'humour nécessaire à un scénario aussi barré.

D'un point de vue purement graphique, ne vous attendez pas à une mise en page révolutionnant les codes du langage de la BD... si vous cherchez çà, lisez plutôt l'excellent Dans la tête de Sherlock Holmes dont je vous ai déjà parlé et auquel je ne peux m'empêcher de refaire allusion si l'on évoque le langage bédéistique de haut niveau.
Non, ici avec Khaled, attendez-vous à une mise en page classique mais à un dessin précis, efficace et tirant sans doute un peu vers les comics (la colorisation punchy y est aussi pour quelque chose) avec toutefois quelques codes européens bienvenus.
On remarquera le parti pris du dessinateur de nous offrir de très nombreuses cases très larges, voire panoramiques, souvent habitées par des personnages en plan américain (on voit le personnage de la tête aux cuisses, comme dans les westerns où il fallait montrer les holsters) ou en plan rapproché (on voit la tête et le buste). Ça offre un découpage très agréable et d'une grande lisibilité même si, une seule case habitant parfois toute la largeur de la planche en en explosant même parfois les marges, ça réduit le nombre de cases et fait évidemment de cette BD un ouvrage qui se lira assez rapidement. Mais c'est pas mal ainsi... c'est vraiment de la lecture-divertissement et ça convient bien au genre "SF foutraque" (oui, j'invente des genres ridicules si je veux... je m'émancipe, moi, dans cette chronique, non ?).


Non, sans doute pas, non. Mais le lecteur oui, il y a de fortes chances.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le scénario est totalement décomplexé.
  • Le pied de nez au voyage temporel.
  • Le dessin est très agréable et bien maîtrisé.
  • La mise en couleurs et le découpage dynamisent bien la BD.
  • Nazis, dinosaures, pom-pom girls... allez, quoi !

  • Ça se lit très vite... mais ça se lit avec gourmandise !
  • Ça va forcément faire lever les yeux au ciel des lecteurs exigeant du sérieux à tout prix. 
  • Vous vous sentirez un peu coupable : "Pourquoi j'aime ça, moi ?". Mais on n'a que le bien que l'on se fait, non ?