Grégory
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La mini-série documentaire de Netflix, Grégory, disponible depuis fin 2019, revient sur l'une des plus célèbres affaires judiciaires françaises et les nombreux ratages qui l'ont entachée.

Au départ, l'on pourrait croire que l'on sait déjà tout de la sinistre affaire du "petit Grégory", assassiné en octobre 1984 dans les Vosges. Et pourtant, malgré de nombreux reportages (notamment un Faites entrer l'accusé ou un Non Élucidé) et livres dédiés au sujet, la mini-série de Netflix, en 5 épisodes de 55 minutes, permet de découvrir cet incroyable fait divers dans toute sa complexité, et même de prendre connaissance de certains documents sonores ou visuels peu connus.

En ce qui concerne la forme, ce documentaire en 5 parties est particulièrement soigné, que ce soit au niveau de la photographie ou de l'habillage sonore. Sans pour autant verser dans le voyeurisme ou le mauvais goût, la réalisation permet de suivre cette vaste enquête (et ses nombreux rebondissements) avec ce qu'il faut d'effets et de suspense. Au niveau du fond, outre un rappel minutieux de toutes les étapes de ce crime et des drames qui ont suivi, l'on peut noter le témoignage de pratiquement tous les acteurs clés de l'époque (ceux qui sont encore en vie, en tout cas) et un recul permettant de mettre en cause les dérapages et les comportements plus que douteux de pratiquement tous ceux qui ont eu un rôle à jouer dans ce désastre, que ce soit les policiers, les magistrats, les avocats ou les journalistes.

Même si l'époque a changé, il est en effet ahurissant de constater à quel point certains ont pu s'égarer et s'écarter de leur rôle. Cela commence par le juge Lambert, sosie improbable de Guy Bedos jeune, qui va violer le secret de l'instruction à plusieurs reprises, organiser ce que l'on nommerait aujourd'hui de "fausses paparazzades", gêner l'enquête des gendarmes et se laisser influencer au point de s'acharner aveuglément sur une innocente. Il publiera d'ailleurs un livre sur l'affaire, qui lui vaudra un passage désastreux dans l'émission littéraire Apostrophes, émission dans laquelle il aura bien du mal, en bredouillant et ne finissant pas ses phrases, à répondre aux questions d'un Bernard Pivot atterré par certains écrits, parfois aberrants, du juge. Lambert sera rattrapé par cette affaire (qui décidément aura fait bien des victimes) en 2017, date à laquelle il se suicide, après une nouvelle mise en cause et de nouvelles actions de la justice.

Mais difficile de faire reposer le désastre absolu de la gestion judiciaire et médiatique de cette affaire sur le seul juge Lambert. Certains journalistes jouent un rôle absolument nauséabond dans le déroulement des drames qui suivent l'assassinat de Grégory, notamment dans la mort de Bernard Laroche. Tout d'abord, l'on peut déplorer le comportement de charognards de certains, n'hésitant pas à harceler la famille, à bousculer les témoins convoqués au tribunal, à aveugler de flashs les parents qui se recueillent pendant l'enterrement de leur gamin. Mais cela va bien plus loin. Jean Ker notamment, qui deviendra un proche de Jean-Marie et Christine Villemin, avoue, sans même apparemment comprendre la gravité de ses paroles, qu'il a dit aux parents que "si on avait tué son gosse, il aurait buté le coupable". Quand Jean-Marie, père ivre de douleur, avoue à Ker qu'il s'apprête à tuer Laroche, alors libéré après avoir été un temps soupçonné, le journaliste se réveille tôt le matin et prétend partir empêcher le passage à l'acte... sans pour autant oublier de se munir de son appareil photo. Un comportement caricatural à l'extrême, odieux jusqu'à l’écœurement.
Ker n'est pas le seul, la campagne de dénigrement de Christine Villemin, organisée par Jean-Michel Bezzina, écrivant alors sous de multiples pseudos dans de nombreux médias en vue, est ahurissante tant elle viole tous les principes de la déontologie, de la compassion et de la dignité humaine.. tout cela parce que, selon les dires de Ker, pour Bezzina, il était "plus intéressant pour les lecteurs que la mère soit coupable".
Gardez vos sacs à vomi à portée de main, ce n'est pas fini.

Du côté des avocats, ce n'est guère mieux : Gérard Welzer, défendant à l'époque Bernard Laroche, va rencontrer (grâce à l'intervention d'un journaliste) le commissaire Jacques Corazzi (qui n'est pas sur l'affaire puisque les investigations sont encore menées par les gendarmes à ce moment-là) et lui communiquer l'intégralité de son dossier...
Corazzi, aujourd'hui en retraite mais qui a pris le relais des gendarmes à l'époque, se distingue également dans cette mini-série, grâce à des propos hallucinants tenus pendant son interview. En parlant de Christine Villemin, il va notamment dire, après l'avoir rencontrée pour la première fois (les propos sont actuels, il explique ce qu'il a ressenti sur le moment) que "si elle est effectivement habillée en noir, son pull est tout de même un peu serré".
Wow ! Il la trouve suspecte parce qu'elle n'est pas habillée en jogging. Mieux, enfin, "pire", il dira ensuite, en décrivant la mise en examen de Christine chez le juge Lambert, que ce dernier semble "troublé, car c'est une femme agréable et, disons le mot, excitante"...
Penser un truc pareil, ce n'est déjà pas bien glorieux, surtout vu le contexte et la fonction du gars, mais l'avouer 35 ans après, aussi maladroitement, sans se rendre compte de l'ignominie des propos, c'est tout de même un brin alarmant. À se demander s'il ne faudrait pas reprendre les enquêtes de ce type, surtout lorsqu'elles concernaient des femmes.

Dans le désastre, un seul journaliste semble sincèrement regretter le rôle qu'il a pu jouer au sein de la meute (ce n'est pas Jean Ker, même s'il versera des larmes de crocodile en évoquant l'un de ses rares souvenirs qui ne s'y prêtait pas). Il y a aussi le capitaine Sesmat, correct, digne, ému en découvrant les images de l'enterrement de Grégory, il semble, avec le juge Simon, être le seul être humain raisonnable dans ce maelstrom d'incapables, de pieds nickelés, de ganaches et de salopards sans scrupules.
Parlons-en de Maurice Simon, qui usera jusqu'à sa santé sur l'affaire, et finira par être victime d'un infarctus. Resté plusieurs jours dans le coma, il se réveillera amnésique... lui qui, pourtant, déconstruisait, petit à petit, les mensonges et les tâtonnements, pour en arriver à une piste impliquant des appuis politiques. Le juge, dans ses carnets personnels, donnés à la justice après sa mort par son fils, dénonce certaines obstructions : "C'est clair, il ne faut pas découvrir le ou les vrais coupables parce que ce sont Laroche et consorts et qu'il y a derrière eux le Parti communiste et des élus socialistes. Je m'explique mieux, dès lors, le culot des Bolle qui se croient tout permis."
(cf. le Journal du Dimanche, éléments non repris dans le documentaire Netflix... pourquoi ? Il n'est jamais non plus fait mention du problème politique et syndicaliste qui oppose alors violemment certains membres, éloignés ou non, de la famille Villemin au "Chef", ayant trop réussi à leurs yeux.)

Même les badauds viennent en rajouter une couche. Une dame (caricature pourtant réelle de la rombière dans toute sa splendeur) viendra dénoncer les touristes se rendant sur la tombe de Grégory (alors que c'est exactement ce qu'elle fait) et se couvrira de ridicule quand, à la question d'un journaliste ("Vous avez vu la maison des parents ?"), elle répondra : "Ah ben, on ne sait pas où c'est hein, vous le savez, vous ? Elle est visible d'ici ?"
Misère...

Illustration du naufrage d'un système judiciaire en pleine déroute, cette mini-série donne également à réfléchir sur l'absence totale de déontologie au sein de professions qui, pourtant, devraient en avoir le plus. Cela n'aide pas non plus à avoir une bonne opinion de l'être humain, capable non seulement du pire des crimes, celui de s'en prendre à un enfant innocent, mais coupable également de surfer sur ce crime, de manipuler, briser des vies, pour un peu d'argent ou de notoriété.

Fascinant et abject.


Aucun de nous n'ose le dire mais je sais ce que chacun pense. Nous allons faire semblant de nous battre pendant encore quelque temps et il nous arrivera d'y croire et puis, un jour, il faudra se décider à tirer le rideau. Je n'ai plus d'espoir. […] Le feu des passions, la haine des uns, la curiosité des autres, les mensonges de beaucoup trop, la publicité, les magouilles et les fausses vérités auront tout détruit.
Maurice Simon (1923-1994), juge et homme d'honneur.




ps : En raison du caractère particulier du sujet, et pour ne pas en rajouter dans l'indignité, nous avons choisi de limiter les illustrations au strict minimum dans cet article. Ne souhaitant pas traiter ce sujet avec les procédés que nous réservons à la pure fiction, et estimant la présence de Virgul, notre mascotte, inappropriée, nous avons également supprimé le tableau récapitulant les points négatifs et positifs des œuvres que nous chroniquons habituellement.