Vivarium
Publié le
26.7.20
Par
Vance
Dans cette curieuse année tronquée qu'est 2020, certains des films prévus étaient attendus avec impatience, d’autres suscitaient une certaine curiosité. Vivarium était de ces derniers.
La crise sanitaire ayant eu les effets que l’on sait, beaucoup de films ont donc été annulés ou reportés. Voilà que The Jokers, fascinant éditeur hexagonal (il a à son catalogue des titres comme Brimstone, Bone Tomahawk, le très beau Mademoiselle, Green Room et surtout Parasite), met à disposition du public, sur la plupart des supports physiques (Blu-ray et DVD), cette production européenne, écrite et réalisée par Lorcan Finnegan. Ce cinéaste irlandais ne dira pas grand-chose aux profanes, ni même aux cinéphiles en dehors de ceux qui fréquentent les festivals et guettent les pépites en court-métrage, annonciatrices des futurs grands metteurs en scène : or le bonhomme a pourtant déjà glané une tripotée de récompenses pour des réalisations comme Foxes ou Defaced, dans lesquelles il traitait déjà d’un thème qui semble le préoccuper, le turlupiner même : le consumérisme de masse et notamment la frénésie de l’accès à l’immobilier. Son angle d’approche est néanmoins différent de métrages tels 99 Homes en ce sens qu’il s’attaque moins aux fondements du capitalisme qu’à son impact sur la psyché des consommateurs et leur vie sociale.
Droit dans ses bottes, Finnegan continue à explorer ses
obsessions dans un long-métrage, son second après Without name. Le moins que
l’on puisse dire, c’est qu’il a su captiver son audience et, sinon convaincre,
du moins intriguer au point d’être encore récompensé, à Cannes cette fois (avec
le Prix de la Fondation Gan). Il a su surtout trouver les partenaires
financiers pour monter son projet avec des sociétés tant irlandaises (Fantastic
Films) que belges (Frakas Productions),
américaines (XYZ Films) ou danoises (Pingpong Films) ; le long défilé des
logos animés introduisant le film en dit long sur le parcours du combattant
qu’a dû traverser le cinéaste. Ce n’est pourtant pas cela qui aura fait venir
les spectateurs au cinéma, ou qui feront acheter le disque : l’affiche (ou
la jaquette) fortement teintée de surréalisme, et surtout le nom de l’acteur
vedette, Jesse Eisenberg (hypnotique dans The
Social Network, et que vous pouvez retrouver aussi dans The Art of Self-Defense) devraient convaincre ceux qui n’ont pas été séduits par la
bande-annonce.
Le film est à l’image du projet : court, dense, sincère
et curieux. Nanti d’un budget honnête plombé par certaines exigences
artistiques et le cachet des acteurs principaux, Finnegan ne fait guère dans
l’esbroufe et s’oriente très vite vers ce genre de productions qui plaît
davantage par sa portée, son écriture, son excentricité ou son originalité que
par ses effets, ses décors ou son casting, ces "petits films" pour
lesquels on a souvent beaucoup d’indulgence à partir du moment où ils tiennent
leurs promesses. Rappelez-vous le cas de Moon, qui n’avait pas eu l’heur d’une
sortie en salles et avait tellement épaté les vidéastes qu’il a finalement pu
être projeté par la suite. Les confidences de l’acteur principal et le buzz
autour de sa sortie laissait présager un destin similaire, mais laissaient
craindre aussi un scénario qui peinerait à aboutir, des enjeux confus ou mal
gérés ou des effets spéciaux à la ramasse.
Or, Vivarium s’avère finalement assez réussi et parvient à ne jamais dévier de son sujet de départ (même s'il choisit une narration volontairement ambiguë et donc frustrante) : après un singulier
prologue animalier (qui peut donner une orientation aux interprétations
qu’engendreront le script), le couple de personnages central prend vie à
l’écran. Gemma est une maîtresse d’école britannique, elle est en quête d’un
logement pour elle et son conjoint Tom (une sorte d’architecte paysager – ou
simple élagueur ?). On comprend tout de suite que leur situation
financière n’est pas au beau fixe et que ce ne sera pas une partie de plaisir.
Les voilà dans une agence, en train de regarder les petits pavillons d’un
lotissement nommé Yonder. Guère convaincus, ils acceptent toutefois,
vraisemblablement par jeu, de suivre l’agent immobilier au teint blafard jusqu’à la maison n°9,
sise dans une rue où toutes les habitations arborent ces nuances de vert. Ce
dernier leur fait le tour du propriétaire puis disparaît sans crier gare, les
laissant seuls. C’est au moment de quitter le lotissement que Gemma et Tom vont
s’apercevoir qu’ils sont tout bonnement prisonniers : impossible de trouver la moindre
voie de sortie de ce labyrinthe de maisons toutes identiques (et toutes
inhabitées) ! Contraints de passer la nuit sur place, ils recevront
d’abord de la nourriture (livrée sans qu’ils puissent en déterminer la provenance)
puis… un bébé. Les instructions sont simples : il leur est demandé de
l’élever en échange de leur libération. Mais le bébé, l’environnement, les
aliments, tout est trop étrange pour que la santé mentale de nos héros ne soit
pas affectée. Ainsi que la solidité de leur couple…
Dans ce décor restreint (quelques pièces de la maison, un
jardinet, une rue), la caméra ne lâche pas les trois comédiens de cette famille
artificielle avec un enfant qui communique par mimétisme et des parents qui
refusent le rôle qu’on les oblige à endosser. La mise en scène est parfois
ludique mais sobre, concentrée sur son histoire et ne s’attarde pas
outre-mesure sur les surprises et happenings ; le ton est amer, désabusé,
à l’image de cette palette de verts qui semblait si pimpante et devient petit à
petit nauséeuse. Car tout dans cet univers respire l’artifice, l’irréel
singeant la réalité (l’œil averti des spectateurs remarquera très vite le ciel
et son étrangeté). Un monde comme issu des affiches publicitaires scandant les
bienfaits d’un produit, les avantages d’un appareil, les merveilles d’un lieu
de villégiature… On n’est pas très loin de l’appartement recréé de la fin de 2001,
l’Odyssée de l’espace : c’est presque normal, mais trop beau, propre, net
pour être vrai. Ou, du moins, c’est réel (la nourriture est mangeable, les
appareils électriques fonctionnent) mais faussé, gauchi. Le choix est d’y
vivre, ou d’y survivre. Et cette dernière proposition implique d’entrer en
rébellion. Oui, mais contre quoi ? Ou qui ? Et surtout, comment ?
En ce sens, Vivarium fonctionne comme un épisode d’une série
comme La Quatrième Dimension : le tempo est certes lent mais les
péripéties sont nombreuses et ajoutent du piment à une ambiance délétère qui
sape le moral des protagonistes, car si des révélations surviennent parfois, les
mystères sont légion et permettent au cerveau du spectateur exigeant d’alterner
les interprétations et les références. Pas révolutionnaire mais prenant et
surtout cohérent, avec des interprètes convaincants, bien qu’on ait déjà vu Eisenberg
plus inspiré ; heureusement, Imogen Poots, très expressive, campe une Gemma
hésitant constamment sur la conduite à tenir, forte et fragile à la fois.
Le blu-ray est remarquable, proposant une image très précise
et une palette de couleurs bien plus étendue que le DVD, mettant bien en valeur
le travail de la direction artistique et du chef-opérateur qui ont choisi des
éclairages spécifiques et une tonalité adéquate avec des tons pastel faussement
rassurants pour un résultat oppressant ; l’influence des toiles de Magritte
est patente.
La VO comme la VF sont encodés en DTS-HD Master Audio avec une
piste plutôt frontale, assez chiche en effets surround (surtout des
entrées-sorties de champ), mais en revanche bien pourvue en basses fréquences
qui retranscriront encore mieux l’impression d’étrangeté hantant cette maison
qui semblait pourtant idéale. Les bonus sont suffisamment divers et riches pour
continuer à intéresser l’acheteur, avec deux interviews (Jesse Eisenberg,
lui-même producteur exécutif du film donc particulièrement impliqué dans sa
genèse, et le réalisateur), une vidéo sur la remise du prix de la Fondation Gan
et le story-board du métrage, ce qui ravira les cinéphiles qui pourront y trouver
quelques divergences intéressantes avec le résultat final.
Un bon petit film, qui tient en haleine, déconcerte souvent (en ce sens qu'il se refuse à exploiter des trames explicatives, ce que certains trouveront forcément frustrant) et
suscite interrogations et malaise.
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