Vivarium
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Dans cette curieuse année tronquée qu'est 2020, certains des films prévus étaient attendus avec impatience, d’autres suscitaient une certaine curiosité. Vivarium était de ces derniers.

La crise sanitaire ayant eu les effets que l’on sait, beaucoup de films ont donc été annulés ou reportés. Voilà que The Jokers, fascinant éditeur hexagonal (il a à son catalogue des titres comme Brimstone, Bone Tomahawk, le très beau Mademoiselle, Green Room et surtout Parasite), met à disposition du public, sur la plupart des supports physiques (Blu-ray et DVD), cette production européenne, écrite et réalisée par Lorcan Finnegan. Ce cinéaste irlandais ne dira pas grand-chose aux profanes, ni même aux cinéphiles en dehors de ceux qui fréquentent les festivals et guettent les pépites en court-métrage, annonciatrices des futurs grands metteurs en scène : or le bonhomme a pourtant déjà glané une tripotée de récompenses pour des réalisations comme Foxes ou Defaced, dans lesquelles il traitait déjà d’un thème qui semble le préoccuper, le turlupiner même : le consumérisme de masse et notamment la frénésie de l’accès à l’immobilier. Son angle d’approche est néanmoins différent de métrages tels 99 Homes en ce sens qu’il s’attaque moins aux fondements du capitalisme qu’à son impact sur la psyché des consommateurs et leur vie sociale.

Droit dans ses bottes, Finnegan continue à explorer ses obsessions dans un long-métrage, son second après Without name. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a su captiver son audience et, sinon convaincre, du moins intriguer au point d’être encore récompensé, à Cannes cette fois (avec le Prix de la Fondation Gan). Il a su surtout trouver les partenaires financiers pour monter son projet avec des sociétés tant irlandaises (Fantastic Films) que belges (Frakas Productions), américaines (XYZ Films) ou danoises (Pingpong Films) ; le long défilé des logos animés introduisant le film en dit long sur le parcours du combattant qu’a dû traverser le cinéaste. Ce n’est pourtant pas cela qui aura fait venir les spectateurs au cinéma, ou qui feront acheter le disque : l’affiche (ou la jaquette) fortement teintée de surréalisme, et surtout le nom de l’acteur vedette, Jesse Eisenberg (hypnotique dans The Social Network, et que vous pouvez retrouver aussi dans The Art of Self-Defense) devraient convaincre ceux qui n’ont pas été séduits par la bande-annonce.
Le film est à l’image du projet : court, dense, sincère et curieux. Nanti d’un budget honnête plombé par certaines exigences artistiques et le cachet des acteurs principaux, Finnegan ne fait guère dans l’esbroufe et s’oriente très vite vers ce genre de productions qui plaît davantage par sa portée, son écriture, son excentricité ou son originalité que par ses effets, ses décors ou son casting, ces "petits films" pour lesquels on a souvent beaucoup d’indulgence à partir du moment où ils tiennent leurs promesses. Rappelez-vous le cas de Moon, qui n’avait pas eu l’heur d’une sortie en salles et avait tellement épaté les vidéastes qu’il a finalement pu être projeté par la suite. Les confidences de l’acteur principal et le buzz autour de sa sortie laissait présager un destin similaire, mais laissaient craindre aussi un scénario qui peinerait à aboutir, des enjeux confus ou mal gérés ou des effets spéciaux à la ramasse. 


Or, Vivarium s’avère finalement assez réussi et parvient à ne jamais dévier de son sujet de départ (même s'il choisit une narration volontairement ambiguë et donc frustrante) : après un singulier prologue animalier (qui peut donner une orientation aux interprétations qu’engendreront le script), le couple de personnages central prend vie à l’écran. Gemma est une maîtresse d’école britannique, elle est en quête d’un logement pour elle et son conjoint Tom (une sorte d’architecte paysager – ou simple élagueur ?). On comprend tout de suite que leur situation financière n’est pas au beau fixe et que ce ne sera pas une partie de plaisir. 
Les voilà dans une agence, en train de regarder les petits pavillons d’un lotissement nommé Yonder. Guère convaincus, ils acceptent toutefois, vraisemblablement par jeu, de suivre l’agent immobilier au teint blafard jusqu’à la maison n°9, sise dans une rue où toutes les habitations arborent ces nuances de vert. Ce dernier leur fait le tour du propriétaire puis disparaît sans crier gare, les laissant seuls. C’est au moment de quitter le lotissement que Gemma et Tom vont s’apercevoir qu’ils sont tout bonnement prisonniers : impossible de trouver la moindre voie de sortie de ce labyrinthe de maisons toutes identiques (et toutes inhabitées) ! Contraints de passer la nuit sur place, ils recevront d’abord de la nourriture (livrée sans qu’ils puissent en déterminer la provenance) puis… un bébé. Les instructions sont simples : il leur est demandé de l’élever en échange de leur libération. Mais le bébé, l’environnement, les aliments, tout est trop étrange pour que la santé mentale de nos héros ne soit pas affectée. Ainsi que la solidité de leur couple…


Dans ce décor restreint (quelques pièces de la maison, un jardinet, une rue), la caméra ne lâche pas les trois comédiens de cette famille artificielle avec un enfant qui communique par mimétisme et des parents qui refusent le rôle qu’on les oblige à endosser. La mise en scène est parfois ludique mais sobre, concentrée sur son histoire et ne s’attarde pas outre-mesure sur les surprises et happenings ; le ton est amer, désabusé, à l’image de cette palette de verts qui semblait si pimpante et devient petit à petit nauséeuse. Car tout dans cet univers respire l’artifice, l’irréel singeant la réalité (l’œil averti des spectateurs remarquera très vite le ciel et son étrangeté). Un monde comme issu des affiches publicitaires scandant les bienfaits d’un produit, les avantages d’un appareil, les merveilles d’un lieu de villégiature… On n’est pas très loin de l’appartement recréé de la fin de 2001, l’Odyssée de l’espace : c’est presque normal, mais trop beau, propre, net pour être vrai. Ou, du moins, c’est réel (la nourriture est mangeable, les appareils électriques fonctionnent) mais faussé, gauchi. Le choix est d’y vivre, ou d’y survivre. Et cette dernière proposition implique d’entrer en rébellion. Oui, mais contre quoi ? Ou qui ? Et surtout, comment ?
En ce sens, Vivarium fonctionne comme un épisode d’une série comme La Quatrième Dimension : le tempo est certes lent mais les péripéties sont nombreuses et ajoutent du piment à une ambiance délétère qui sape le moral des protagonistes, car si des révélations surviennent parfois, les mystères sont légion et permettent au cerveau du spectateur exigeant d’alterner les interprétations et les références. Pas révolutionnaire mais prenant et surtout cohérent, avec des interprètes convaincants, bien qu’on ait déjà vu Eisenberg plus inspiré ; heureusement, Imogen Poots, très expressive, campe une Gemma hésitant constamment sur la conduite à tenir, forte et fragile à la fois.


Le blu-ray est remarquable, proposant une image très précise et une palette de couleurs bien plus étendue que le DVD, mettant bien en valeur le travail de la direction artistique et du chef-opérateur qui ont choisi des éclairages spécifiques et une tonalité adéquate avec des tons pastel faussement rassurants pour un résultat oppressant ; l’influence des toiles de Magritte est patente. 
La VO comme la VF sont encodés en DTS-HD Master Audio avec une piste plutôt frontale, assez chiche en effets surround (surtout des entrées-sorties de champ), mais en revanche bien pourvue en basses fréquences qui retranscriront encore mieux l’impression d’étrangeté hantant cette maison qui semblait pourtant idéale. Les bonus sont suffisamment divers et riches pour continuer à intéresser l’acheteur, avec deux interviews (Jesse Eisenberg, lui-même producteur exécutif du film donc particulièrement impliqué dans sa genèse, et le réalisateur), une vidéo sur la remise du prix de la Fondation Gan et le story-board du métrage, ce qui ravira les cinéphiles qui pourront y trouver quelques divergences intéressantes avec le résultat final.
Un bon petit film, qui tient en haleine, déconcerte souvent (en ce sens qu'il se refuse à exploiter des trames explicatives, ce que certains trouveront forcément frustrant) et suscite interrogations et malaise.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un film intéressant, donnant à réfléchir.
  • Une production européenne loin des standards des super-productions estivales - donc moins formatée. 
  • Une durée relativement courte donnant plus de densité au métrage.
  • Une forme de huis-clos abolissant la notion de temps, limitant les décors et les personnages et augmentant la sensation d'oppression.
  • Quelques rebondissements bien sentis, et des développements imprévus.
  • Des parti-pris esthétiques cohérents.
  • Des interprètes convaincants.

  • Un tempo un peu lent, quoique correspondant à l'ambiance singulière du lieu d'habitation.
  • Un refus presque borné d'entrer dans des trames explicatives, qui peut dépiter les esprits rationnels.
  • Une seconde moitié moins forte que la première, scandée par des ellipses temporelles et une forme de désespoir.