Chroniques des Classiques : I comme Icare
Publié le
28.7.21
Par
Nolt
Ce film d'Henri Verneuil, avec Yves Montand dans le rôle principal, sort en 1979. Il s'inspire à la fois de l'assassinat de JFK et des expériences de Stanley Milgram sur la soumission à l'autorité.
Tout commence peu après l'assassinat du président Jary, dans un pays imaginaire dont de nombreux détails évoquent l'Amérique du Nord. La commission Heiniger est constituée pour faire toute la lumière sur les circonstances de ce crime. Les conclusions de celle-ci sont sans appel : le tueur a agi seul, sans motivations politiques, c'est l'œuvre d'un fou, rien d'autre. Le procureur Henri Volney, lui, n'est pas d'accord avec ces conclusions et le fait savoir. Il obtient ainsi les pleins pouvoirs pour mener une nouvelle enquête, qu'il souhaite plus sérieuse.
Rapidement, il met à jour des incohérences dans le rapport officiel. Puis, il parvient à mettre la main sur un témoin clé. Tout porte à croire que le présumé tueur, Karl-Éric Daslow, n'est qu'un bouc-émissaire. Mais en mettant à jour un complot dans lequel sont mêlés mafia et services secrets, le procureur Volney commence à devenir gênant...
Ce film ayant plus de 40 ans, il est quelque peu désuet sur la forme (que ce soit la réalisation ou, parfois, le jeu d'acteur). Ceci dit, cela lui confère aussi un certain charme, d'autant que certaines scènes sont encore très efficaces (et inquiétantes, comme celle de Bellony, terrorisé dans sa cabine téléphonique). La musique d'Ennio Morricone parvient en outre à accentuer l'atmosphère angoissante. Bon, on connaît le gaillard, partout où il passe (cf. Orca ou encore Il était une fois en Amérique, entre autres), il magnifie les scènes en leur apportant relief et profondeur.
C'est cependant sur les thématiques qu'il aborde que I comme Icare va se révéler passionnant.
Si certains éléments concrets et bien connus sont empruntés à JFK et Oswald, il ne s'agit là que d'une toile de fond. Le long-métrage va en réalité, en sous-texte d'une enquête passionnante, aborder la problématique des "appareils" représentant parfois un État dans l'État ainsi que celles de la déresponsabilisation de l'individu et de l'obéissance.
L'une des scènes retranscrit ainsi parfaitement les expériences menées par Milgram, un psychologue ayant publié en 1963 les résultats, édifiants, d'une expérience redoutable. Dans le cadre d'une étude scientifique sur le rapport entre punition et apprentissage, deux volontaires sont recrutés. L'un sera le "moniteur" et devra réciter des couples de mot à "l'élève", qui devra les retenir. Par exemple "ciel bleu", "vent violent", "neige blanche", etc. Puis, le moniteur donne uniquement l'adjectif, et l'élève doit se souvenir du nom qui l'accompagne. À chaque erreur, le moniteur inflige une décharge électrique croissante à l'élève, qui est ainsi incité à "mieux répondre".
En réalité, le véritable but de l'expérience est tout autre (nous l'avions déjà évoqué dans cet article). L'élève est toujours un complice, un acteur en réalité, qui va faire semblant de souffrir, va sa plaindre, demander à quitter l'expérience, puis simuler une perte de connaissance. Milgram, grâce à cette mystification, cherche en fait à savoir à quel moment le moniteur cessera d'obéir à un ordre révoltant qui peut aller jusqu'à la mise à mort d'un individu qui ne lui a strictement rien fait. Le film explique très bien cette étude et la met parfaitement en scène. Dans la réalité, les chiffres sont stupéfiants... absolument tous les participants acceptèrent le principe de l'expérience. Et 62,5 % d'entre eux, soit une écrasante majorité, la menèrent à terme, infligeant à une victime inerte des chocs électriques allant jusqu'à 450 volts, donc pouvant largement s'avérer mortels.
Le mécanisme permettant une telle attitude est aussi efficace que sinistre. La plupart des individus, s'ils respectent et reconnaissent une autorité, n'auront aucun souci à lui obéir pour peu que le contexte soit logique (si l'autorité n'est pas respectée ou si l'ordre est farfelu, ça ne fonctionne évidemment plus). Un effet encore plus vicieux est ensuite à l'œuvre. Lorsque l'élève commence à souffrir, hurler, supplier, le moniteur est pris d'un violent conflit intérieur qu'il doit résoudre. Il pourrait bien entendu stopper l'expérience, mais s'il n'obéit plus à l'ordre numéro 7, pourquoi avoir obéi à l'ordre numéro 6 en infligeant une souffrance dès lors devenue inutile ? Si le cobaye arrête l'expérience de son propre chef, il admet implicitement sa propre responsabilité : il montre qu'il pouvait arrêter avant, et il avoue subitement l'immoralité de l'expérience. Ainsi, pour obtenir le plus grand confort moral possible, il devient nécessaire de poursuivre... jusqu'à l'ordre final. Diabolique ! Ou plutôt... très humain.
Mine de rien, Verneuil va ainsi livrer un film intelligent mais surtout tendu et inquiétant. De nombreux effets de mise en scène viennent appuyer l'angoisse latente et l'impression d'être observé et menacé par une entité épouvantable. Lorsque Volney se retrouve de nuit dans son bureau, par exemple. Il regarde la ville, froide, inhumaine, parsemée d'immeubles dans la pénombre, dont les quelques fenêtres éclairées ressemblent aux yeux d'une bête à l'affut.
Même chose pour ce pauvre Bellony, déjà évoqué plus haut, dans sa cabine. Un simple véhicule qui passe devient pour lui un danger palpable. Les tueurs, invisibles, presque omnipotents, peuvent être partout. C'est le principe de la surveillance imposée par un système dictatorial : il est impossible de surveiller tout le monde, tout le temps, mais le simple fait de se savoir potentiellement surveillé induit déjà l'angoisse et l'obéissance résignée qui l'accompagne.
Le final, qui explique le titre du film, revient une dernière fois sur cette menace invisible, avec un ascenseur qui s'ouvre sur une silhouette que l'on ne verra même pas à l'écran. C'est la dernière émanation, le dernier pied-de-nez de la pieuvre étatique, toute-puissante et meurtrière.
Thriller sombre, futé et intemporel dans ses thématiques, I comme Icare s'impose comme le chef-d'œuvre absolu de Verneuil et pourrait figurer, sans aucun problème, dans le Top 10 des meilleurs films français de tous les temps.
À voir absolument.
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