Lucky Boy - Coquin de sort
Par

If I slowly turn the wheel / Diving down into the sea / Would you come back rescue me ?
I'd be a Lucky Boy, I'd be a Lucky Boy (Lucky Boy de Shaka Ponk)


Vous êtes le dernier homme sur Terre.
L'ultime espoir de l'espèce humaine repose en vos glorieuses gonades.
En tant qu'unique représentant de la masculinité, il est de votre devoir de partager avec les rares survivantes vos précieuses semences dans de fougueuses et salvatrices étreintes afin de repeupler le Monde après une guerre proprement apocalyptique... enfin, plutôt salement apocalyptique, du coup !

Vos partenaires promises dans cette tâche héroïque ne sont autres que sept plantureuses jeunes scientifiques aussi brillantes qu'attirantes. Votre devoir, à n'en pas douter, va sans nul doute en être rendu bien moins pénible.

C'est donc avec fierté et enthousiasme que vous allez entreprendre de charmer ces demoiselles afin d'offrir à l'Humanité un nouveau départ.
Mais, à votre plus grand dam, ces dernières ne voient en vous qu'un vieillard pervers et libidineux... 

Déception, désarroi et désappointement fleurissent en votre petit cœur de puceau octogénaire. Pourquoi tant de haine ? Pourquoi ce rejet ? Pourquoi ne vous souvenez-vous même pas de votre nom ? Que s'est-il passé sur cette Terre pour que vous ne soyez plus que huit humains à sa surface ? Et... euh... qui est cet autre homme ? Jeune, lui. Séduisant, lui. Visiblement attirant, lui. Et... comment les filles osent-elles s'amouracher de lui ? C'est vous le dernier homme sur Terre ! C'est votre harem à vous ! C'est... c'est pôs juste !

Mais la mémoire va vous revenir, oui. Et tout va rentrer dans l'ordre. Vous allez régler son compte à ce petit nouveau. Vous allez reprendre votre place et vous pardonnerez à vos promises leurs infidélités. Vous oublierez leurs mesquineries et leur champ de force répulsif. Vous allez enfin pouvoir, avec dignité et élégance, vous consacrer à ce qui n'aurait jamais dû cesser d'être votre noble objectif... leurs nichooooooons !


Initialement, j'ai voulu chroniquer cet album en le prenant de cette façon : au premier degré. Comme une simple farce coquine futuriste. Mais à y réfléchir un peu plus longtemps que d'autres (oui, j'ai une fois de plus lu des chroniques sur d'autres pages avant de rédiger celle-ci et il n'y avait apparemment pas de promo sur la pertinence cette semaine), je dois bien me résoudre à y voir plus que cela.

Le nombre de thèmes abordés ou survolés, déjà, est assez impressionnant. L'on y trouve bien entendu les rapports hommes-femmes dans tout ce qu'ils peuvent avoir de complexe, d'amusant, de conflictuel, d'injuste et de... ludique. Mais ce n'est pas tout, loin s'en faut.

Bien évidemment, ces sept filles surdouées et brillantes vivant en autarcie et n'envisageant les deux seuls hommes qu'elles connaissent que comme un prédateur sexuel pour l'un et un reproducteur potentiel pour l'autre, sont déjà un marqueur de notre époque.
Nous vivons en cette période étrange post #metoo où les hommes hétéros doivent composer avec ces deux caricatures auxquelles on peut avoir tôt fait de les résumer s'ils n'y prennent garde : le pervers et le digne d'être père. Entre le vieux saligaud et le jeune niais, ces demoiselles jettent leur dévolu sur Candide et fuient les avances du clone de Tortue Géniale. On les comprend. Mais la seconde partie de la BD amène un flashback en forme de pied de nez : en chaque vieil obsédé ne subsiste-t-il pas un jeune homme timide et frustré que le temps a soumis à son diktat et qui se demande ce qui a bien pu se passer ?

La BD interroge aussi à sa façon le rapport des femmes à leur corps : sans nul homme à séduire aux alentours, elles n'en affichent pas moins des tenues mettant leur féminité en valeur. Cela rappelle de façon simple mais à mon sens pertinente ce que nombre de gros bourrins ont du mal à se mettre dans le crâne : une femme peut être sexy parce que ça lui plaît, ça ne veut pas dire que c'est open bar ! Oui, une femme peut se faire belle pour être belle, sans nécessairement avoir la moindre volonté de séduire quiconque. Nombre de scènes rappellent cela plus ou moins subtilement et c'est bienvenu, selon moi.

La BD peut aussi, bien entendu, ouvrir sur une réflexion sur le rapport qu'ont les jeunes femmes actuelles avec les études scientifiques. Ceux parmi vous qui travaillent dans l'enseignement savent pertinemment que c'est un thème d'actualité depuis quelques années. Voir dans un livre aussi léger sept filles spécialisées en diverses matières scientifiques sans pour autant oublier d'être terriblement femmes n'est pas anodin et cela va là aussi dans le bon sens.

Outre cela, Lucky Boy est bourré de références aux mangas comme à la SF plus classique et rien que la chasse aux allusions à ses modèles peut être un motif pour une deuxième lecture ludique de l'album.

Non, vraiment, cette BD a plus à offrir que l'histoire d'un vieux pervers en quête de dépucelage et n'en retenir que ça serait vraiment dommage. Certes, l'histoire de ce loser de petit vieux à qui l'excitation provoque des hémorragies nasales éjaculatoires dignes de Maître Muten Roshi pourrait n'être qu'une énième coquinerie bédéistique. Mais il y a, selon moi, davantage à voir dans ce tome paru aux éditions Ankama. Alors si c'est coquin, marrant et plutôt malin... c'est déjà pas mal, non ? 



D'un point de vue purement objectif, maintenant, cette BD est l'œuvre de Bill Presing. Le gars est loin d'être étranger au dessin : il a étudié l'illustration de bande dessinée mais a bien vite travaillé sur des émissions et des dessins animés pour le web comme The Gotham Girls pour le site Internet de Warner Bros. et The Venture Bros. pour Cartoon Network. Il a aussi été storyboarder pour Pixar et a bossé sur Ratatouille et Là-haut...  
Ça explique pas mal de choses : le sens du mouvement et du découpage, l'aspect mignonnet, cette capacité à faire du "grand public" malgré une thématique pas mal en-dessous de la ceinture, les couleurs vibrantes, l'alternance entre humour et émotion... Monsieur n'a pas travaillé pour Disney sans y apprendre des recettes qui marchent !

Du coup, cet album est joli et, malgré son apparente légèreté, il n'oublie pas d'être malin à maintes reprises... Ne peut-on pas dire ça de la majorité des films d'animation produits par la firme à la lampe de bureau ?

Les plus collectionneurs d'entre vous apprécieront, en plus, l'ex-libris offert avec cette première édition et que je me permets d'utiliser ci-contre pour illustrer mon article de façon, ma foi, assez plaisante.
Ce n'est pas la BD de l'année, de fait. Mais elle est bien plus intelligente que ce que d'aucuns voudraient laisser entendre. La lire me fit passer un bon moment. Mais y réfléchir un peu ensuite me plut tout autant.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est joli, ces couleurs.
  • C'est rondouillard à souhait, ce dessin.
  • C'est comique, cette histoire.
  • C'est aussi un peu intelligent, par moments.
  • J'avoue que si le dessin avait pu être encore un peu plus éloigné du tracé typique des storyboards, cela m'aurait plu davantage... mais ça lui confère une personnalité.
  • L'introduction de la BD est terriblement "premier degré" et assez longue. Cela n'aide guère à prendre l'ensemble au sérieux alors que, pourtant, il y a matière à réflexion dans cette bande dessinée.