The Magic Order
Publié le
22.1.22
Par
Vance
Chez UMAC, nous gardons toujours un œil sur les productions de Mark Millar, un œil à la fois fasciné et critique [cf. ce dossier]. Le gars est productif et, même s'il ne fait pas toujours l'unanimité par la manière dont il clôt ses intrigues, il a au moins le mérite de proposer systématiquement quelque chose de pertinent, incisif, dynamique et parfois un brin iconoclaste. Il sait soigner ses entames, souvent brutales et a réussi à booster certaines des séries classiques dont il a eu la charge : son Wolverine : Ennemi d'État est une vraie réussite et son travail sur Ultimates et Ultimate X-Men a rallié tous les suffrages. En revanche, ses créations originales n'ont pas toutes convaincu, quelquefois plombées par une morale douteuse ou un traitement outrageux.
Tout auréolé de ses réussites tant populaires que critiques au sein des deux principaux éditeurs de comic books, le scénariste écossais a fondé Millarworld destinée à appuyer l'adaptation (souvent rentable) de ses titres sur petit ou grand écran : Wanted, Kick-Ass ou Kingsman ont eu l'honneur de sorties en salles, ce qui a poussé le géant Netflix, en 2017, à racheter sa société. Ainsi donc, les créations de Millar auront pour vocation d'être converties à plus ou moins long terme en séries ou téléfilm. Thomas mentionnait déjà Reborn dans cet article et Huck dans un Digest ; nous avions également évoqué Prodigy conçu sur le même modèle et il semble bien que The Magic Order suive le même chemin. Sortie en 2018, la mini-série a été publiée par Panini dans la collection "100% Fusion Comics" l'année suivante : l'élégante quoique discrète couverture cartonnée mentionne la présence d'Olivier Coipel au dessin, et comporte la rouge icône caractéristique "Pour lecteurs avertis" – deux arguments supplémentaires pour aller y voir de plus près.
Après son excellent run sur Thor et l'event House of M, Coipel se voyait proposer un travail légèrement différent des précédents, en ce sens que les limites imposées par les séries grand public de Marvel s'avéraient un tantinet repoussées. En d'autres termes, notre artiste national pouvait se lâcher sur la représentation de la violence et de la nudité – et même si on est très loin des excès gore d'un Crossed (cf. cet article), il faut avouer qu'on peut se trouver un peu perturbé par quelques cases inhabituellement chargées de tripes ou d'hémoglobine.
Et comme toujours avec Millar, ça démarre fort : deux individus, dont l'un semblant échappé du Carnaval de Venise, surveillent d'un toit l'immeuble voisin, où un couple s'est endormi. L'un d'eux dispose d'une baguette avec laquelle il va manipuler l'enfant de ce couple : après avoir récupéré un couteau dans la cuisine, le gamin va tranquillement assassiner son père sous les yeux horrifiés de sa mère. "Premier sorcier éliminé." affirme placidement le Vénitien avant de disparaître avec son acolyte. Ailleurs, Cordelia Moonstone se retrouve à nouveau aux mains de la police : sa vie faite d'excès en tous genres la conduit régulièrement à être arrêtée - mais qui peut réellement mettre une spécialiste de "l'escapologie" sous les barreaux ? Se volatilisant littéralement de la voiture où elle était menottée, elle arrivera comme à son habitude en retard à la cérémonie de la Baguette brisée organisée pour l'enterrement d'Eddie Lisowski, membre du Cercle Intérieur (le "sorcier" assassiné dans les premières pages). Ce meurtre abject a choqué toute la famille qui ne tarde pas à soupçonner Madame Albany, laquelle semble avoir recruté des alliés assez puissants pour pouvoir aussi aisément se débarrasser de l'un d'entre eux. Dans cette guerre entre clans œuvrant dans l'ombre de la réalité, les Moonstone se décident alors à faire appel à Gabriel, le fils prodigue : encore faudra-t-il le convaincre de revenir parmi eux, lui qui avait décidé de couper les ponts afin de mener une vie de famille tranquille (comme un moldu donc).
Le récit avance vite. Les six épisodes de la mini-série s'enchaînent sur un tempo élevé et nous permettent de découvrir les à-côtés de cet univers ressemblant à un Harry Potter pour adultes, avec cette confrérie de sorciers protégeant anonymement la population humaine des forces du Mal. Les personnages singuliers côtoient les artefacts les plus étranges et tandis que les victimes commencent à s'accumuler, les Moonstone préparent leur contre-offensive. Il leur faudra requérir toutes les forces vives de leur clan car le mystérieux allié de leur ennemie, ce Vénitien, dispose d'un talent inouï pour manipuler les forces occultes et ils ne savent pas s'ils seront de taille contre lui. À moins d'user d'un sortilège interdit...
Coipel fait des merveilles dans cette course contre-la-montre spectrale et on le sent parfaitement à l'aise dans les séquences les plus violentes – qui ne s'éternisent jamais mais proposent force éventrations et explosion de corps. Ses personnages sont bien définis et on prendra plaisir à admirer ses gros plans avec des visages remarquablement détaillés. L'histoire se double d'une quête effrénée des sorciers en place dans le but de mettre à l'abri des objets de pouvoirs tout en enquêtant sur leur adversaire qui paraît chaque fois posséder un coup d'avance sur eux et ne reculent devant aucune cruauté. Évidemment, nos héros ne sont pas à l'abri d'une traîtrise de dernière minute, un retournement de veste, un acte de lâcheté inopportun - ou simplement d'une subtile et perverse stratégie de longue haleine. Les Moonstone devront ainsi faire face à leurs propres erreurs de jugement : bien que garants de la sécurité des hommes (un peu comme Doctor Strange, en somme), ils ne sont pas tout blancs dans cette affaire, et traînent quelques dossiers un peu douteux. Et si l'entreprise d'Albany était légitime, après tout ?
Pas grand chose à redire sur cette mini-série, dense et mouvementée à souhait. On retrouvera quelques points communs avec des productions précédentes, notamment sur la gestion de ses héros pas si honnêtes que cela et des moments spectaculaires semblant calculés pour frapper les esprits à l'écran ; d'ailleurs, le découpage et la mise en page de Coipel s'avèrent très posés, d'une sobriété exemplaire, multipliant les pleines pages iconisantes et privilégiant les grandes cases. Dans cette affaire, c'est du coup Cordelia qui s'en sort le mieux, montrée à son avantage : le mouton noir de la famille a ce charme des parias, sourire enjôleur et mèche rebelle. Millar se montre toujours aussi efficace et peu volubile, ce qui donne des pages entières où les dialogues disparaissent et les phylactères se font rares. Une aventure extrêmement graphique en somme, qui évite le piège de la morale trop docte pour être honnête ou de la provocation à deux balles. Son ambiance réussit à créer un ton original à mi-chemin de la dark fantasy lovecraftienne avec un background qui ne demande qu'à s'étoffer, plus séduisant que Gravel de Warren Ellis et moins éthéré que Lady Kildare de Brian Haberlin.
On prie sincèrement pour qu'un réalisateur du calibre de Guillermo Del Toro hérite de cette possible future franchise, si tant est qu'elle se fasse.
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