Le Club des Cinq en BD
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À gauche, la série actuelle. À droite, celle des années 80. Et on ne gagne clairement pas au change.


Après l'excellent roman, destiné aux adultes, de Michel Pagel ou l'étrange produit hybride qui introduisait déjà une partie dessinée, nous nous penchons aujourd'hui sur le Club des Cinq en BD. Et plus précisément sur le premier tome de la dernière série en cours : Le Club des Cinq et le Trésor de l'Île.

Ce n'est pas la première fois qu'une série de bandes dessinées est tirée des romans écrits par Enid Blyton. La première série, comptant 6 tomes, date des années 80 et était scénarisée par Serge Rosenzweig, accompagné de Bernard Dufossé puis Carlo Marcello au dessin. Les albums bénéficiaient d'un style plutôt moderne pour l'époque et s'adressaient surtout à un public adolescent, voire adulte. Le scénariste, en 44 planches, bâtissait alors un récit dynamique, basé sur des personnages réalistes et légèrement plus âgés que ceux des romans pour enfant. Notons qu'il n'adaptait pas non plus les histoires de Blyton et se contentait de s'en inspirer en ciselant des intrigues plus adaptées au support et à l'air du temps.

La seconde série, en cours depuis 2017, est très différente au niveau de la forme. Tout d'abord, il s'agit d'adaptations strictes (enfin, pas si strictes que ça, on y reviendra) des récits de Blyton. Le premier tome reprend donc la fameuse histoire du trésor de l'île appartenant à Claude et conte sa rencontre avec ses cousins, à savoir François, Mick et Annie. 
Le scénario est l'œuvre de Nataël, les dessins sont de Béja (qui, accessoirement, est son fils). 

Commençons par la partie graphique. L'on a droit ici à une ligne claire élégante qui n'est pas sans rappeler un certain Hergé (impossible de ne pas penser à L'Île Noire en voyant la couverture ou certaines pages intérieures). Sur le plan visuel, c'est donc plutôt réussi, même si les visages sont un peu lisses et l'atmosphère bien enfantine en comparaison des planches parfois inquiétantes des volumes de la première série. 
Et malheureusement, tout le reste cloche un peu, voire beaucoup.



La typo choisie pour le lettrage, notamment celle des pavés de texte, est on ne peut plus dégueulasse (et à la limite de la lisibilité). On se demande bien pourquoi l'éditeur a ainsi opté pour cette police au style manuscrit hasardeux. Ça ressemble à l'écriture d'un gamin de cinq ans... très bon choix ! 
Mais surtout, c'est l'aspect narratif qui est terriblement maladroit. On a la fâcheuse impression d'assister en fait à un résumé de l'histoire. Les personnages sont survolés, les scènes réduites à leur plus simple expression, les pavés de texte cités plus haut viennent rajouter des ellipses désagréables à un récit qui manque déjà de liant et d'émotion. Tout va si vite, tout est tellement simplifié, que l'on en est presque au style "rapport de police" qui caractérise bien des récits d'amateurs peu éclairés. Pire, l'on est ici sur seulement 30 planches de BD. Ce qui explique certes le côté concis, mais pourquoi l'éditeur (Hachette) impose-t-il un si court format, quitte à précipiter une histoire qui démarre trop vite et n'a jamais le temps d'embarquer vraiment le lecteur ? Même si l'on destine cette version aux jeunes enfants, cela ne dispense pas d'un minimum de travail et de savoir-faire...

Le travail d'adaptation est lui aussi mal fait, voire absent. Cette histoire date, à la base, de 1942. Et elle a été adaptée en France pour la première fois en 1962. Que l'on prenne la version originale ou la version française, ces récits sont forcément datés et marqués par des règles (visant les publications pour la jeunesse) qui ont évolué. L'idée serait donc de moderniser un peu tout ça sur la forme, tout en conservant la force de la plume de Blyton, c'est-à-dire le côté "aventure & mystères". Or, c'est un échec sur toute la ligne. Non seulement le récit n'est pas dépoussiéré, mais, un comble, il s'avère poussif et ne parvient jamais à retransmettre les petits frissons de plaisir et de gentille inquiétude qu'il est censé générer. Cela n'a pas empêché un journaleux de Boborama de prétendre que cette adaptation était fidèle "dans le texte et l'esprit" aux romans de Blyton. M'enfin, quand on reprend la présentation de l'éditeur sans lire ce que l'on est censé chroniquer, forcément, ça n'aide pas. 

Bref, malgré de jolis dessins, voilà une BD qui regroupe exactement tout ce qu'il ne faut pas faire en matière d'écriture, à savoir balancer à la va-vite des personnages insuffisamment développés, le tout enveloppé par un scénario fait de fausses péripéties aseptisées et de transitions lourdingues.
À zapper d'urgence, repliez-vous plutôt sur le roman de Pagel, lui sait comment raconter une histoire.  

Un extrait de la première série, bien mieux écrite et bien plus respectueuse de l'esprit des romans.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des planches qui ne manquent pas de charme.


  • Une narration clairement déficiente et blindée d'ellipses maladroites.
  • Des personnages et une intrigue insuffisamment développés.
  • On se demande où est passé l'esprit des romans de Blyton et la magie du Club.
  • Pour couronner le tout, une typo de merde.