Prélude à Fondation : les Robots de l'Aube / les Robots & l'Empire
Par


À l'époque de la sortie de la série TV adaptant (enfin !) le Cycle de Fondation - rappelons que la saga originelle est composée de longues nouvelles rédigées par Isaac Asimov à la fin des années 1940, rassemblées sous la forme de trois romans la décennie suivante, qui ont valu à l'auteur de nombreuses récompenses dont le prix Hugo, inédit, de "Meilleure Série de science-fiction de tous les temps" en 1966 - nous vous avions présenté des ouvrages permettant d'éclairer le profane sur l'œuvre gigantesque entreprise par l'écrivain, une "Histoire du Futur" s'étendant jusqu'au 24e millénaire et largement inspirée de l'avènement et de la chute de l'Empire romain. La trilogie initiale démarrait justement après l'effondrement de l'Empire Galactique de Trantor, avec une poignée de scientifiques ayant pour tâche d'éviter que la communauté humaine s'enfonce dans des siècles de marasme et de désespoir, de chaos et de destruction. 

Car après une longue période pendant laquelle Asimov s'adonna davantage à la vulgarisation scientifique et laissa de côté la fiction, il revint à ses premières amours dans les années 1980 (un peu pressé par ses éditeurs d'ailleurs, qui se faisaient l'écho de lecteurs avides d'explorer plus avant son univers) et entreprit dès lors de compléter ce qu'il avait construit pièce par pièce tout en tâchant de rattacher cette série à l'autre œuvre de sa vie, les Robots, qui ont animé une grande partie de ses nouvelles de jeunesse (c'est Asimov qui rédigea les fameuses Trois Lois de la Robotique si largement répandues désormais qu'on les mentionne dans bon nombre de films et d'ouvrages ultérieurs). Son but était ainsi d'offrir un panorama exhaustif de l'évolution de la société humaine depuis la fin du XXe siècle jusqu'à l'ère galactique. Le tout était de trouver des éléments permettant d'établir des passerelles entre ses différents textes, de jeter les bases de ce grand œuvre. Plusieurs de ses récits se situaient au sein de l'empire de Trantor, parfois à ses balbutiements, parfois du temps de sa grandeur : des romans comme Poussières d'étoiles, Les Courants de l'espace et Cailloux dans le ciel mettaient déjà en place quelques briques du futur édifice galactique. Des nouvelles comme La Mère des mondes soulevaient la question de la postérité (et l'héritage) de la Terre au sein de l'empire. Ce dernier sujet était d'ailleurs au cœur des deux ouvrages précités, que nous avons traités ici-même : Les Cavernes d'acier et Face aux feux du Soleil.


Des textes agréables qui rassemblaient toutes les passions de l'écrivain/scientifique : la robotique et la manière dont elle s'intègre dans la société ; l'évolution des rapports ethnologiques et stratégiques entre les nations colonisées et leurs colonisateurs ; une enquête policière classique, résolue à l'aide d'hypothèses et de déductions logiques, dans un esprit très holmesien (Asimov était friand d'énigmes et de whodunit et il s'est d'ailleurs empressé de rédiger d'excellentes nouvelles en ce sens). Dans ces deux romans, nous faisions la connaissance de personnages fascinants autant qu'antithétiques : Elijah Baley, inspecteur terrien bougon et tenace ; R. Daneel Olivaw, androïde de dernière génération, élégant, racé et d'une redoutable perspicacité. Malgré les réticences initiales du flic, ces deux-là finiront par devenir collègues, puis compères et finalement amis - une amitié réjouissante, allant à l'encontre des courants de pensée de l'époque, créant un précédent capital qui servirait de point de départ vers un avenir incertain mais plus radieux que les perspectives soulevées de prime abord (une guerre se préparait entre la Terre, peuplée de milliards d'humains agoraphobes vivant reclus et leurs anciennes colonies à la civilisation fortement robotisée, dotées d'une technologie largement plus avancée). Cette relation singulière entre un Terrien manquant de diplomatie, brisant allègrement les tabous et le parangon robotique d'une espèce altière et noble devait non seulement éveiller les consciences mais constituer la première pierre d'un projet d'une ampleur insoupçonnée.

C'est cela qui a poussé Asimov, après avoir d'abord prolongé sa saga Fondation par deux romans, à rédiger ensuite des textes qui feraient le lien entre ses différents cycles : il manquait quelque chose entre la fin de Face aux feux du Soleil et les premiers récits impériaux mentionnés plus hauts, dans lesquels l'humanité avait essaimé à travers la galaxie alors que la Terre avait été presque oubliée. Les contraintes du cahier des charges auto-imposé étaient grandes, et le genre SF avait bien évolué depuis l'Âge d'or où il avait fait ses premières armes. L'auteur en était d'ailleurs bien conscient, il s'en était ouvert aux défenseurs iconoclastes de la nouvelle génération dans une préface au recueil Dangereuses Visions (1967). Bien que risquée, l'entreprise était malgré tout vouée à réussir, et les récompenses obtenues par Fondation foudroyée ont dû lui donner la confiance nécessaire pour aller au bout de son projet de longue haleine. Nous vous proposons donc un point sur ces deux romans.

Les Robots de l'aube

Résumé
: Quand Elijah Baley arrive sur Aurora, il pressent qu’il va au-devant de sa plus périlleuse mission. Il s’agit en effet pour lui de découvrir qui, pour la première fois dans la galaxie, s’est rendu coupable du meurtre de Jander Panell, le robot positronique le plus sophistiqué jamais créé, une créature atteignant un degré "d’humanité" très supérieur à tout ce que le Docteur Susan Calvin aurait pu imaginer.
Or le seul être qui possédait les compétences nécessaires pour commettre un tel crime n’est autre que son propre concepteur, le Docteur Fastolfe ! Heureusement, Baley sera à nouveau assisté sur cette affaire de Daneel Olivaw, désormais l’unique robot humaniforme encore en activité…

En récupérant la dynamique et les personnages de Face aux feux du Soleil, Asimov se donne toutes les chances pour plaire au lecteur malgré le poids des contraintes liées à son projet. Et de fait, le côté pédagogique prend souvent le pas sur la narration, le style s'est considérablement alourdi par rapport à la sobriété joyeuse dont il faisait preuve dans les années 1940-1960 et on remarque de nombreuses répétitions et passages inutilement étirés destinés à nous donner quelques bases issues du corpus des Robots (avec des références à la "robopsychologue" Susan Calvin) tout en nous projetant déjà vers Fondation (avec des allusions pas très subtiles à la psycho-histoire).


En dehors de ces passages obligés, le traitement de l'intrigue rappelle le fonctionnement des histoires policières qui lui sont chères, avec cet enquêteur qui ne dispose de quasiment aucune information, qu'on a amené contre son gré, sur lequel pèsent des responsabilités énormes et qui durant une grande partie du roman ne voit pas comment se sortir de ce guêpier, condamné à tenter quelques coups de bluff vite réprimés. Baley dispose d'encore moins de latitude que dans le tome précédent mais on sait que sa nature observatrice, son obstination et sa faculté de raisonnement le tireront de ce mauvais pas.

Reste sa relation avec Gladïa, qui est cette fois nettement plus développée et constitue la partie la plus sincère et la plus intense, parfois maladroite, souvent touchante, du roman. Revenant dans l'écriture de fiction, Asimov semble se croire obligé d'insérer plus de sexualité dans ses textes et il le fait avec une sorte de timidité tremblotante, hésitant à parler crûment tout en évoquant des situations parfois scabreuses. C'est assez déroutant et on se laisse encore une fois attendrir par cet amour secret.

Les Robots et l'Empire

Résumé : Plusieurs décennies se sont écoulées. Le docteur Amadiro voue une haine inextinguible envers Gladïa Gremionis pour avoir fait échouer ses plans de domination de la galaxie. Avec l'aide de Mandamus, un jeune et brillant scientifique, il ourdit à nouveau un plan d'éradication de l'humanité. Pour le contrer, Gladïa est toujours assistée de Daneel, le robot humaniforme, et de Giskard, l'androïde télépathe, aux aptitudes nombreuses mais limitées par les restrictions qu'imposent les lois de la robotique. Et leurs choix seront d'autant plus ardus qu'une nouvelle loi, la loi Zéro, va faire son apparition...
Malgré son rythme étrange et des contraintes de narration imposantes, Les Robots & l'Empire se lit sans déplaisir. Certes, Baley manque à l'appel (les décennies ont passé et - ce qui est rappelé un peu trop régulièrement - les Terriens ont une espérance de vie trop courte pour pouvoir vivre aux côtés des Spaciens) cependant quelques séquences de souvenirs parviennent à le faire revivre avec une certaine élégance nostalgique. L'intrigue repose donc essentiellement sur Gladïa et les deux robots Daneel et Giskard, ô combien précieux pour l'accomplissement du Grand Projet asimovien. 

Or Gladïa n'était jusque-là qu'une gentille fille timorée, coincée par une éducation rigide et un schéma de pensée monolithique, que sa romance inespérée avec l'inspecteur Baley avait ouverte au monde des hommes. Il faut croire qu'il lui a permis de lever nombre d'inhibitions car la voilà leader d'un mouvement d'émancipation humaine, prenant fait et cause pour la nouvelle vague de colonisateurs venus de la Terre et militant pour un partage équitable de la Galaxie. Objectif ambitieux, allant à contre-courant et donc virtuellement périlleux, qui va se compliquer en outre par la découverte d'un gigantesque complot anti-terrien. Heureusement pour elle, la présence constante à ses côtés des deux robots lui permettra de déjouer plus d'un des nombreux pièges tendus sur sa route délicate. 

Aux côtés du sémillant descendant de son grand amour, elle sillonnera l'espace pour tenter de résoudre le mystère de la disparition de tout un peuple et de convaincre des partis politiques hostiles, alors que la Galaxie est au bord de la conflagration. Le finale établira adroitement, bien que plutôt artificiellement, les étais solides sur lesquels reposeront les prémices de Fondation. Baley est mort mais son ombre plane encore sur les décisions de ses successeurs et surtout des deux robots qui auront entre leurs mains, l'espace d'un instant crucial, l'avenir de toute l'espèce humaine.




+Les points positifs-Les points négatifs
  • Deux textes qui permettent de faire un lien adroit entre les histoires de robots et les histoires galactiques.
  • Des romans qui reprennent des personnages auxquels on s'était attaché.
  • Un premier ouvrage dans la lignée des précédents, fondé sur une enquête impossible. Un second plus enlevé, plus préoccupé par des complots à l'échelle intersidérale.
  • Les relations entre les êtres (homme terrien et femme spacienne, homme et robot et entre les robots eux-mêmes) font le sel de ces histoires.
  • Il fallait oser envisager d'amender les incontournables Trois Lois de la Robotique ! 


  • Un style qui a perdu de son efficacité en tentant de s'accorder à l'air du temps.
  • Moins de naïveté mais plus de maladresse dans les descriptions des rapports humains.
  • Un cahier des charges qui alourdit souvent le propos et oriente parfois artificiellement le récit.