Publié le
14.6.25
Par
Vance
Spider-Man et Wolverine, à lire nos chroniques, sont les deux piliers de l’Univers Marvel. Le premier a pour lui l’ancienneté et un statut d’icône (sa face masquée ayant longtemps accompagné le logo de l’éditeur), l’autre un charisme inimitable et une popularité incontestable. Cependant, il est un troisième personnage qui a régulièrement été mentionné sur nos pages : Hulk. Ce personnage au pouvoir presque sans limite, à la furie incontrôlable dépendant de la frustration de son alter-ego à l’intellect brillant, a souvent été le héros d’épisodes ou d’arcs particulièrement réussis, parvenant à faire vibrer voire émouvoir ses lecteurs tout en proposant, sous la plume incomparable de Peter David, certaines des plus belles pages de comics de la fin du XXe siècle. Inclassable, quoique ayant de plus en plus tendance à se ranger - c’est d’ailleurs son côté Bruce Banner qui devient plus redoutable et implacable - il dégage une aura particulière et permet ainsi des scripts à rebondissements.
Qu’il ait fait face à des armées extraterrestres ou des entités cosmiques, Hulk a toujours réussi à sauver sa planète natale, dont les habitants n’ont rien trouvé de mieux pour le remercier que de l’exiler outre-espace. Bien mal leur en a pris, et vous le savez si vous avez parcouru la série World War Hulk. Si le crossover souffre des mêmes défauts de la quasi-totalité des events du genre, en aboutissant à un statu quo tiré par les cheveux, il a tout de même été engendré par une mini-série de très haute qualité, Planet Hulk, qui a permis par la suite d’amener un nouveau personnage dans la galaxie hulkienne : son fils Skaar.
D’autre part, ajouter des Hulk jusqu’à plus soif, c’était aussi courir le risque d’épuiser le filon. World War Hulks et la venue de Skaar ont été l’occasion d’arcs denses et souvent passionnants, avec un Banner aux commandes (en mode Tony Stark, jouant constamment aux échecs en tentant d’avoir en permanence un coup d’avance sur l’Intelligentsia) mais ont généré un peu trop de créatures aux pouvoirs dévastateurs. Nul doute qu’il faille élaguer, mais les scénaristes hésitaient encore en s’égarant dans la période « exploitons cette aubaine ».
Et cette aubaine, ce fut un autre fils : il se nomme Hiro-Kala, est né sur une autre planète (évidemment). Avec une autre reine extraterrestre (ben tiens !). Le fils a (bien entendu) hérité des pouvoirs de son titanesque père, mais également de l’Ancienne Force. Ça lui est monté à la tête. Il a commis des atrocités. Hiro-Kala est tout-puissant. Il revient sur Terre, armé de tout un monde, pour se venger. À moins que ce ne soit pour autre chose, que son cerveau malade a du mal à formuler. Et c’est à l’équipe des Hulk de faire face, l’ultime chance de sauver la Terre dans un remake apocalyptique d’Armageddon (le film) mais sans la fiancée qui pleure son papounet.
Greg Pak nous a ainsi concocté quelques affrontements bien dévastateurs, et un épisode commence par une belle baston entre Hulk et les Secret Avengers, baston traitée avec une étonnante légèreté de ton. Tom Raney fait son boulot sans génie, néanmoins les deux épisodes qu’il illustre sont agréables à regarder. Les derniers sont orchestrés par un Barry Kitson bien pâle, incapable de rendre correctement les duels gigantesques du grand finale. On n’est pas loin du pétard mouillé.
Pour d’autres super-héros, cela aurait pu constituer des épisodes dans la moyenne, avec un petit « pourquoi pas ? ». Pour Hulk, c’est forcément décevant. Ceux qui voudraient tout de même tenter le coup peuvent le trouver pour pas cher chez Panini comics (édition 2011) en seconde main.
Pour d’autres super-héros, cela aurait pu constituer des épisodes dans la moyenne, avec un petit « pourquoi pas ? ». Pour Hulk, c’est forcément décevant. Ceux qui voudraient tout de même tenter le coup peuvent le trouver pour pas cher chez Panini comics (édition 2011) en seconde main.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
Publié le
2.6.25
Par
Nolt
Un auteur exceptionnel, des personnages légendaires et à l'arrivée... un gros flop ! C'est le bilan de Legenderry - L'Aventure Steampunk.
Tout commence dans la ville de Big City, quand une jeune femme poursuivie par un groupe de clones surarmés se réfugie au Scarlet Club, tenu par Madame Pendragon, alias Vampirella. La demoiselle, courroucée par le comportement des malfrats qui ont eu l'outrecuidance d'occire une partie de son personnel, va les découper en rondelles avec l'aide d'un certain Britt Reid, richissime magnat de la presse et alter ego du célèbre Frelon Vert.
Enquêtant sur cette tentative d'enlèvement, les deux compères vont découvrir une machination obscure, dans laquelle sont mêlés les pires criminels du continent. Avec l'aide de prestigieux alliés, ils vont devoir s'interposer pour éviter l'avènement d'un terrible monstre.
Quand un auteur de la trempe de Bill Willingham développe un nouveau projet, l'on a tendance à espérer le meilleur. Le scénariste a en effet fait des merveilles sur Fables, une série devenue culte par la grande qualité de son écriture. Et le pitch de départ de Legenderry ressemblait d'ailleurs étrangement à la relecture des contes pour enfant que Willingham avait brillamment réalisé. Ici, le Grand Méchant Loup ou Cendrillon font place à Red Sonja, Zorro, Flash Gordon, Green Hornet, Vampirella ou encore Steve Austin (l'homme qui valait trois milliards, ou plutôt, dans cet univers, trois mille yars). Le tout dans un environnement steampunk, tout cela sentait donc plutôt bon.
Et pourtant, les problèmes sont nombreux à l'arrivée.
Tout d'abord, les dessins de Sergio Fernandez Davila échouent totalement à rendre la magie de l'univers décrit. Les décors sont peu nombreux, bien ternes et souvent très artificiels. Même si l'illustrateur s'en sort mieux avec les costumes et les véhicules, on est loin de l'atmosphère envoûtante d'un Luther Arkwright ou d'un Grandville par exemple. La colorisation de Wes Hartman et Robby Bevard, très flashy, n'aide pas à embellir les rares lieux qui pourraient avoir un certain charme. Et il faut dire que le choix de l'éditeur, portant sur du papier glacé, amplifie encore cet effet clinquant et sans nuances. Un papier mat aurait sans doute été plus approprié.
Mais les plus gros problèmes proviennent étonnamment de l'écriture. Tout d'abord, l'univers décrit manque de profondeur. Là encore, toujours cette impression, tenace, d'artificialité, et ce jusqu'au niveau de la carte du monde de Legenderry, dont les noms reflètent la platitude de l'ensemble : La mer s'appelle "la Mer" ; les noms de régions sont aussi originaux que "le Nord", "la Forêt" ou "la Jungle" ; la ville principale s'appelle "Big City" et le nom de l'île la plus importante est... "l'île".
L'intrigue, simpliste, n'est pas bien gérée non plus. Il y a bien des combats réguliers (assez gore d'ailleurs, avec décapitations et démembrements), mais sans véritable enjeu ni dramatisation ou suspense. D'autant que l'on se fiche aussi des personnages, dont on ne connaît rien si ce n'est le nom. C'est sans doute le plus gros couac de la série, Willingham ne parvenant pas du tout à insuffler un peu de vie dans les nombreux protagonistes qui défilent au long des épisodes. Il y a certes des noms connus, même parmi les "méchants", avec le Docteur Moreau, l'Empereur Ming ou encore Kulan Gath, mais héros comme antagonistes ne sont que des coquilles vides, sans aucune personnalité, aucun caractère.
L'intrigue, simpliste, n'est pas bien gérée non plus. Il y a bien des combats réguliers (assez gore d'ailleurs, avec décapitations et démembrements), mais sans véritable enjeu ni dramatisation ou suspense. D'autant que l'on se fiche aussi des personnages, dont on ne connaît rien si ce n'est le nom. C'est sans doute le plus gros couac de la série, Willingham ne parvenant pas du tout à insuffler un peu de vie dans les nombreux protagonistes qui défilent au long des épisodes. Il y a certes des noms connus, même parmi les "méchants", avec le Docteur Moreau, l'Empereur Ming ou encore Kulan Gath, mais héros comme antagonistes ne sont que des coquilles vides, sans aucune personnalité, aucun caractère.
L'on pourra objecter que l'auteur doit gérer une foultitude de personnages et qu'il n'est pas facile de leur donner à tous de l'épaisseur, mais là, en 154 planches (ce qui est énorme !), il n'y en a pas un qui ait ne serait-ce que le début d'une personnalité. Alors que Fables était passionnant dès les premières pages. Et quand bien même le format imposé empêcherait de traiter convenablement les personnages, la logique commanderait alors d'en changer. Depuis quand le format serait prioritaire par rapport à l'intérêt de la série ? Le côté très fonctionnel des scènes est étonnant également. Il n'y a aucun humour, aucun moment permettant d'étoffer les personnages et de comprendre leurs motivations, aucun moment d'émotion, aucun "habillage", rien que du très pragmatique servant à faire avancer une histoire poussive et déjà lue un bon milliers de fois.
Et ce n'est même pas tout. L'adaptation française souffre de quelques fautes (dont certaines énormes tout de même, la traductrice ne faisant visiblement pas la différence entre un "boxeur", donc quelqu'un qui pratique un sport de combat, et un "boxer", qui désigne un caleçon ou un chien), d'une ou deux erreurs de lettrage et d'une ponctuation hasardeuse (avec notamment des points d'interrogation qui n'ont rien à faire dans des phrases affirmatives). Ce n'est pas honteux non plus sur l'ensemble, mais ça aurait mérité une bonne relecture. Par contre, niveau bonus, c'est blindé : le lecteur aura droit au scénario complet du premier épisode, à des études de personnages et à un paquet de variant covers.
D'autres tomes, écrits par des auteurs différents, continuent l'exploration de cet univers et sont centrés sur des personnages particuliers (Red Sonja, le Green Hornet et Vampirella). Le souci, c'est que ce premier volume est tellement insipide qu'il ne donne pas du tout envie de se plonger dans la suite. On se demande d'ailleurs comment Dynamite, l'éditeur américain, a pu valider une telle soupe tiède alors que Legenderry aurait pu servir de vitrine de luxe à son univers. Quel gâchis !
D'autres tomes, écrits par des auteurs différents, continuent l'exploration de cet univers et sont centrés sur des personnages particuliers (Red Sonja, le Green Hornet et Vampirella). Le souci, c'est que ce premier volume est tellement insipide qu'il ne donne pas du tout envie de se plonger dans la suite. On se demande d'ailleurs comment Dynamite, l'éditeur américain, a pu valider une telle soupe tiède alors que Legenderry aurait pu servir de vitrine de luxe à son univers. Quel gâchis !
L'éditeur français, Graph Zeppelin, aguichait le lecteur sur la quatrième de couverture en parlant d'une "aventure illuminée aux becs de gaz et propulsée à la vapeur et à l'adrénaline". La vapeur, il n'y en a pas eu tant que ça, et l'adrénaline, on l'attend encore. Avec une intrigue convenue et plate, des personnages transparents et un univers peinant à générer le moindre intérêt, le résultat s'avère décevant.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|
Publié le
31.5.25
Par
Vance
Univers Multiples, Axiomes & Calembredaines aime le Punisher. Si les articles qui lui sont consacrés sont relativement peu nombreux, son ombre plane sur de nombreuses œuvres de la galaxie Marvel. Cependant, nous l'avons sur UMAC davantage traité sous l'angle Garth Ennis, un auteur plébiscité qui a fait de cet anti-héros un personnage terriblement fascinant. Or, Rick Remender a réussi à relever le gant lorsqu'il a hérité de Frank Castle, et les arcs qu'il en a tirés valent le coup d'œil : le scénariste a d'ailleurs été souvent admiré ici même pour son écriture dynamique et ses histoires jouissives (cf. l'excellent Deadly Class).
Aujourd'hui, nous allons évoquer une mini-série en cinq épisodes sortie en 2011, éditée en France dans la foulée chez Panini au sein de la collection "Marvel Saga", avec une traduction de Laurence Belingard : Punisher - In the Blood.
Le Punisher est de nouveau dans la course. Bien que redevenu humain - et donc plus vulnérable que sous sa forme « Franken-Castle » - il est plus décidé que jamais à combattre les criminels tout en se vengeant de ceux qui l’ont fait récemment souffrir mille morts. Hood et son ancien acolyte Microchip sont dans son collimateur, et il a pris pour l’épauler Henry, un jeune hacker qui n’est autre que le fils du Puzzle, un de ses anciens adversaires récurrents…
Voilà Castle qui repart en croisade, toujours animé par la vengeance. On pourrait s'en lasser, mais le fait est que certains personnages ont été créés explicitement dans cette optique, et lorsque leur traitement est réussi, la lecture procure irrésistiblement un plaisir régressif d'une rare intensité. On sait qu’on aura droit à des affrontements testostéronés, violents et souvent sanglants - sans concession, pas même une punchline assassine. Ça défouraille, ça dézingue et le Punisher avance au milieu de ses victimes vers son prochain objectif, implacable, incarnation de l'inéluctabilité létale.
Il m’a taillé, taillé et retaillé. À chaque bagarre, c’était pire. Un aide-mémoire ambulant. Regarde-bien, tu peux lire sur ma tête. […] Ma gueule, c’est son affiche publicitaire.
Remender a apporté à ce schéma bien rôdé une certaine profondeur : Castle a frôlé la mort et, si ses motivations sont restées plus ou moins les mêmes, son attitude face à elles a relativement changé. Tout comme ses relations avec ses ennemis, ou avec ses rares alliés. Cela ne l’empêche pas d’être aussi, voire plus, efficace qu’auparavant, et s'il ne verse pas dans le remords, ses introspections lui confèrent un aspect plus humain qu’auparavant - et rendent le récit plus riche. Un phénomène sensible également dans les histoires de Wolverine de la même époque.
Cette fois, il va se retrouver pris au piège d’une machination assez subtile qui le frappera là où se trouve l’un de ses rares points faibles, en dehors du souvenir de sa famille : son associé. Ressuscité par Hood, Microchip a trahi Frank, chose qu’il ne peut absolument pas laisser passer. Mais quel risque que prendre le fils d’un criminel (qui lui voue par ailleurs une haine féroce) comme partenaire ! À moins que ce ne soit mûrement calculé : car le bonhomme a montré face à des adversaires (sur le papier) plus coriaces ou puissants que lui qu'il avait toujours un as dans la manche, un plan B, une arme secrète qui faisaient soudain pencher la balance en sa faveur. Déjà, à l'époque où il avait été proprement mis en pièces par Daken (le fils de Wolverine), bien malin qui aurait pu prédire son retour...
Sang pour sang se pose comme un récit violent et retors, et s'avère assez réussi compte tenu du cahier des charges. Roland Boschi ne fait pas dans la dentelle, ses visages grossiers et ses postures peu académiques confèrent à l’ensemble un côté mal dégrossi qui parvient néanmoins à retranscrire assez efficacement la brutalité des affrontements, tant physiques que verbaux. L’encrage très froid peut décontenancer de prime abord.
Culpabiliser rend intègre.
Ce numéro 12 de "Marvel Saga" avait la bonne idée de nous gratifier de quelques très belles couvertures en prime, ce qui le rend d'autant plus intéressant à dénicher.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
Publié le
28.5.25
Par
Nolt
En effet, si vous n'avez pas trop le moral, vous allez vous ouvrir les veines bien avant le dixième épisode de cette série disponible sur Netflix. Il s'agit en fait du préquel lointain de Yellowstone. On y suit la famille Dutton partant, au sein d'un convoi de miséreux, rejoindre l'Oregon pour tenter d'y trouver des terres et fuir sa condition.
Déjà, le pitch joue carte sur table, on n'est pas là pour rigoler.
Et effectivement, le récit est dramatique, mais vraiment épouvantablement dramatique. C'est bien simple, tout n'est que souffrance, désespoir et mort.
Bon, il faut dire que pour les pionniers, à l'époque, tout est mortel. Entre les chutes de cheval, les serpents, les traversées de fleuve hasardeuses, le simple hiver, la soif au milieu du désert, la chiasse parce que tu as bu de l'eau, tout un tas de maladie affreuses, les bandits et les indiens, il y a de quoi s'en faire un peu pendant le voyage.
Et si tu n'es que blessé, ben tu meures quand même d'une infection.
Les auteurs ont voulu faire dans le réalisme cru et impitoyable, et pour le coup, ils y sont allés à fond, sans idéalisation ou le côté romanesque des westerns à l'ancienne. Même Deadwood, à côté, paraissait aseptisé. C'est dire ! Il faut donc s'accrocher, car l'ambiance est très lourde.
Ceci dit, la série n'est pas mauvaise, loin de là. Les paysages sont magnifiques, le casting est très réussi (avec par exemple un excellent Sam Elliot), les dialogues sont bien écrits (et flirtent même avec la poésie et un certain lyrisme parfois) et certaines scènes sont vraiment poignantes. Par contre, tout n'est que noirceur. C'est une longue accumulation, parfois tout de même indigeste, de drames et de tragédies, tous plus horribles les uns que les autres.
Par exemple, sans trop en dévoiler, le dernier épisode n'est qu'une longue agonie de plus d'une heure (il est plus long que les autres, parce que ça aurait été dommage de se priver d'un peu de larmes en plus). J'exagère, ce n'est pas tout à fait vrai, il y a un petit interlude au sein de l'épisode, où on assiste à l'amputation d'un gars. Qui va ensuite se coucher à côté de sa femme qui va mourir dans ses bras des suites d'une chute. Ben ça, cette scène-là, c'est le moment sympa où tu peux souffler un peu...
Et la réalisation appuie encore ce côté sinistre avec de nombreuses scènes crépusculaires et une musique bien pesante et lourdingue qui finit par agacer.
Cela reste tout de même à voir, ne serait-ce que pour réfléchir aux conditions de l'époque, au côté impitoyable de la nature, à la force et au courage de ces gens d'un autre temps et d'une tout autre trempe. En comparaison, le confort d'aujourd'hui, dont bénéficient des benêts inconscients de vivre sous une assistance totale et permanente, semble presque indécent.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
Publié le
18.5.25
Par
Vance
L'actualité de James Tynion IV s'avère brûlante. Le scénariste de l'excellent Nice House on the Lake sort ainsi en même temps la suite de cette mini-série - Patience ! On en reparlera bientôt, promis ! - et une œuvre originale, Spectregraph, dont la partie graphique a été confiée à Christian Ward.
Destinée à être développée en série (au même titre que Something is killing the children qui valut à son auteur les premières distinctions dans le monde des comic books), Spectregraph impressionne au premier abord. Édité chez Delcourt cette fois (les autres albums étant généralement parus chez Urban), le volume s'avère être un objet dense et riche de 224 pages dont la couverture glacée intrigue : Ward est un illustrateur qui ne laisse pas indifférent (rappelez-vous sa participation à l'intriguant Aquaman : Andromeda) et sa collaboration avec Tynion IV a de quoi faire saliver. D'autant que c'est une variation savante sur une histoire de maison hantée...
Ladite maison se trouve être une imposante demeure californienne conçue voici des décennies par un richissime excentrique qui a fricoté avec plusieurs engeances occultistes. Récemment décédé, le propriétaire laisse ainsi l'opportunité aux plus fortunés des connaisseurs de l'acquérir, et Janie, jeune femme désœuvrée et sans le sou, trouve ainsi une bonne opportunité de gagner un peu de cash en acceptant de la faire visiter à Vesper, mystérieuse gothique envoyée par un groupe avec des intentions secrètes. Malheureusement pour elles, la visite ne se passe pas du tout comme prévu - ni par Janie, ni par la visiteuse, ni par ses collègues qui attendent à l'extérieur : les deux femmes se retrouvent coincées dans ce manoir étrange, sans clef ni issue, et cernées par des spectres...
Comme à son habitude, le scénariste balade le lecteur par différentes strates temporelles, de 1967 à 2024 : l'on y découvre ainsi Ambrose Everett Hall, le milliardaire qui nourrit un projet défiant les lois naturelles, pour lesquelles il va investir des sommes folles, un temps considérable et l'appui du groupe Thanatos. Le but qu'ils poursuivent ensemble, mais pas pour les mêmes raisons, est de défier la Mort et de toucher à l'immortalité. On apprend ainsi qu'Ambrose élabore une "machine" au sein même de sa maison mais que les différentes tentatives n'ont pour l'heure jamais véritablement fonctionné. Au grand dam de son compagnon, l'énigmatique Felix, qui endurera ces expériences jusqu'à ce que sa patience déclare forfait.
Néanmoins là, en 2024, au cœur de cette construction défiant la raison, Vesper et Janie vont devoir collaborer si elles veulent s'en sortir. La première ne comprend pas ce qui s'est passé : elle a pourtant suivi à la lettre les instructions de ses commanditaires du groupe Thanatos. Janie, elle, que toutes ces considérations métaphysiques dépassent, veut simplement mettre fin à la visite, retourner chez elle et retrouver son bébé qu'elle a laissé tout seul en pensant être de retour assez tôt. Célibataire depuis peu, au bord de la dépression, elle se morigène et se traite de mauvaise mère. C'est pourtant elle qui va la première trouver les ressources pour tenter de venir à bout des énigmes et pièges que recèle cette gigantesque propriété hermétiquement close. Et pour commencer : qui a pris la clef qu'avait Vesper ? Pourquoi Vesper l'a-t-elle frappée avant de s'excuser ? Et qu'est-ce que c'est que ces corps désincarnés qui flottent dans l'air ? Sont-ils dangereux ? Janie devra secouer un peu une Vesper profondément choquée afin de tenter de comprendre ce qui est arrivé et affronter les dangers cachés dans les recoins obscurs de la demeure.
Du point de vue du script, il faut avouer que, malgré les fréquents flashbacks, on arrive à comprendre le projet d'Ambrose, la décision de Felix et les motivations des deux femmes. Ces deux dernières, particulièrement développées, vont d'ailleurs dans l'épreuve nouer, malgré leur évidente disparité, un lien assez réjouissant qui contribuera à doper le suspense savamment entretenu, jusqu'à un retournement malicieusement dissimulé. L'intrigue se construit tout en accélération (la première moitié étant singulièrement lente à se décanter) et la tension va crescendo, même si les ressorts ne sortent pas de l'ordinaire.
Le problème est ailleurs, qui risque de perturber plus ou moins fortement le plaisir de lecture. La partie graphique, en effet, si elle procure quelques savoureuses sensations d'étrangeté sur certaines cases (sensations décuplées lorsqu'on admire la galerie de couvertures à la fin de l'ouvrage), peine généralement à retranscrire intelligiblement les scènes un peu mouvementées : l'encrage rend les visages laids et les silhouettes grossières, reconnaissables uniquement par des détails visuels (les reflets dans les verres de lunettes notamment). Certes, avec ce noir omniprésent, la sensation d'enfermement et de mystère est magnifiée, mais les confrontations s'avèrent confuses et les déplacements incompréhensibles, d'autant que Ward ne se prive pas de dépasser les limites des cases avec des dessins qui se juxtaposent au gré des émotions. On n'est parfois pas loin de David Lynch dans sa période Lost Highway, mais avec des maelströms sursaturés qui rappellent plutôt Fluorescent Black. C'est, au mieux, troublant, mais souvent déstabilisant voire confus. En revanche, à moins d'être extrêmement sensible, ce n'est pas particulièrement effrayant : on demeure plutôt aux lisières de l'étrange, mais pas de l'horreur. Enfin, ceux qui y perçoivent une critique cinglante de la société américaine y trouveront peut-être leur compte : une société du masque et du paraître dissimulant des océans de vacuité et d'égocentrisme vampirique, sans doute. Cependant, il s'agit davantage d'un contexte plein d'artifices qui permet aux deux héroïnes d'y trouver une finalité existentielle.
Il se dégage de l'œuvre une impression assez inégale, sauvée in extremis par l'attention particulière apportée aux destins des deux jeunes femmes, malmenées par la vie et qui se transcenderont au cœur de l'inconnu.
Une lecture inconfortable mais une expérience probante, à tenter. Des éditions variantes sont disponibles, dont une avec une couverture signée Jae Lee.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|
Publié le
17.5.25
Par
Nolt
Et si Bruce Wayne n'était pas un milliardaire aux ressources illimitées mais un type banal, venant d'un quartier défavorisé ? Voilà le point de départ de Absolute Batman.
Le jeune Bruce est le fils d'un modeste instituteur de Gotham. Il mène une vie tout à fait normale jusqu'à une sortie scolaire dans un zoo où va se dérouler un drame. La vie du jeune garçon prend alors un tour sinistre. Peu à peu, à force d'entraînement et de volonté, il va devenir un homme, fort, habile, assoiffé de justice.
Alors qu'un gang sème la terreur en ville, assassinant des innocents au hasard des rues, Batman va se dresser contre eux. Il va rendre coup pour coup, retourner la terreur contre ses instigateurs, mais conserver un code moral intact : Batman cogne fort... mais il ne tue pas.
DC Comics, avec sa gamme Absolute, lance donc un nouvel univers parallèle, comme Marvel l'a fait en son temps avec 2099 ou Ultimate. Dans un texte, repris en introduction de la version française éditée par Urban Comics, le scénariste, Scott Snyder (La Nuit de la Goule, Clear) annonce, avec enthousiasme et fort peu de modestie, que les lecteurs vont pouvoir profiter d'un Batman "comme ils ne l'ont jamais vu". Il se refuse même à en dire plus pour ne pas trop en dévoiler et gâcher notre joie...
Sauf que dans la réalité, tout cela n'est pas aussi bon qu'on pourrait le penser.
Faisons déjà le tour du positif. Les dessins de Nick Dragotta (un excellent dessinateur quand son travail n'est pas saboté par l'encrage d'Allred, cf. Fairy Tales) sont plutôt réussis, avec un aspect brut qui sied fort bien à un Batman plus massif qu'à l'accoutumée. Les poses du héros sont d'ailleurs étudiées pour maximiser l'effet de ses apparitions. La colorisation de Frank Martin va renforcer l'atmosphère des différentes scènes en adoptant souvent une seule teinte dominante alors que les tons pastel seront réservés aux flashbacks.
D'une manière générale, l'histoire, avec son gang de tarés masqués et surarmés, flirte un peu avec l'horreur et peut vaguement faire penser à du American Nightmare. Même Batman est, en effet, plus violent que dans sa version classique, ce qui va dans le sens des propos de Snyder. Malheureusement, c'est bien là la seule nouveauté.
Cet univers Absolute s'avère assez décevant. On nous promet des versions "corrompues" des personnages classiques, mais la soi-disant corruption reste tout de même très sage. Wayne demeure un héros bardé de principes, ce qui, sur le fond, n'apporte rien par rapport à son illustre modèle. Il y a bien des changements mineurs (dans le rôle d'Alfred Pennyworth par exemple, ou dans celui de Gordon, maire de la ville), mais ils demeurent anecdotiques et ne bouleversent en rien le monde du Dark Knight.
Le drame à l'origine du traumatisme du petit Bruce reste identique (remplacer une ruelle sordide par un zoo ne change absolument rien aux fondamentaux) et même le "manque de moyens" n'a aucun impact significatif sur l'équipement (et les véhicules) du protecteur de Gotham. Wayne a bien quelques fréquentations douteuses, mais il n'est en rien lui-même ambigu. En fait, tout est si identique, au moins dans l'esprit, à la version "standard" que l'on flirte avec le radotage. Quant au "méchant" de l'histoire, il apparaît bien fade et peu charismatique.
L'univers décrit manque singulièrement d'ambition, Snyder (à qui l'on a peut-être imposé un cadre trop rigide) échouant totalement à imposer une vision innovante et, surtout, une réelle noirceur. Au final, l'on assiste donc à une énième variation sur le même thème, sans véritable refonte du mythe.
Décevant.
Sortie le 30 mai 2025.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|
Publié le
15.5.25
Par
Vance
Aujourd'hui, petit séminaire de théologie appliquée. Non, je rigole. On va se replonger dans la SF du XXe siècle avec un de ses auteurs les plus emblématiques, Arthur C. Clarke, à la fois astrophysicien de renom (c'est le père du concept des satellites géostationnaires) et écrivain célébré, dont nous avons déjà évoqué deux de ses œuvres les plus représentatives : 2001, l'Odyssée de l'espace et La Cité & les Astres.
Pourquoi revenir à lui ? D'abord parce qu'il s'agit d'un écrivain fort passionnant dès lors qu'il aborde le destin de l'Humanité, et qu'il demeure chez lui, constamment, des pulsions messianiques engendrant des visions époustouflantes de lendemains enchanteurs - ou plus désenchantés. Subséquemment, il a une vision très intéressante de la place de la Religion face à la Science qui est censée - d'après lui - la supplanter depuis l'aube du XXIe siècle. Et cette facette, si elle est discrètement sensible dans les romans ci-dessus, l'est bien davantage dans certaines de ses nouvelles, format dans lequel il excelle. Il faut absolument lire au moins ses deux meilleurs recueils : L'Étoile et surtout Avant l'Eden, ce dernier comportant, de l'avis des spécialistes, ses textes les plus réussis.
Or la collection Librio, dépendant de l'éditeur Flammarion, qui propose depuis vingt ans des ouvrages classiques ou indépendants pour une somme modique, a créé une petite anthologie de nouvelles issues des deux recueils suscités, opérant un choix plutôt judicieux comme nous l'allons voir. Pour découvrir les qualités indiscutables de l'auteur, voilà un moyen pratique et pas cher (2 €). En outre, le format des Librio rend la lecture plus agréable (ils sont en effet un peu plus hauts que les livres de poche habituels : avec plus de 20 cm, ils se rapprochent des in-8 en format Carré comparés aux traditionnels in-18 au format Raisin). Cependant, du fait du papier bon marché utilisé - imprimé en Allemagne - et d'une couverture en carton souple plutôt fine, ils ne sont pas destinés à durer, sauf dans les bibliothèques des passionnés bien entendu.
Il convient de préciser qu'il ne s'agit pas de la traduction de l'anthologie en langue originale portant le même nom (25 nouvelles éditées chez Harcourt en 1967 et sélectionnées par l'auteur).
Dès la première des huit nouvelles, Clarke frappe fort avec le texte éponyme dans un récit qui vous prend par la main en se mettant à distance respectueuse de la démarche entreprise par ces lamas tibétains, venus demander à une firme informatique américaine de leur prêter une de leur machine afin d'encoder tous les noms possibles de Dieu - une entreprise qui permettrait à l'Humanité, selon eux, d'accomplir sa destinée beaucoup plus rapidement que prévu. Racontée sous forme de dialogue très asimovien, la fin est particulièrement réussie, d'une glaçante poésie. Un court-métrage multi-récompensé de 2018 a été réalisé sur la base de cette nouvelle.
![]() |
La nouvelle suivante, L'Étoile, est une des plus connues et réussies de l'écrivain anglais : un astrophysicien jésuite témoigne de la manière dont sa foi a été "sérieusement ébranlée" après avoir étudié les restes d'une supernova et les répercussions qu'a eu cet événement cosmique sur le destin de milliards d'humains. Les voies divines sont impénétrables, mais on peut les questionner, ce dont ne se prive pas Clarke. Le genre de texte presque anodin par son format mais qui laisse d'indélébiles traces dans notre raisonnement.
Avec ce texte, on commence à percevoir plus distinctement le style de l'auteur, nettement moins direct que son grand compère Asimov et beaucoup moins porté sur les dialogues : Clarke a une plume élégante et de jolies tournures pour décrire les paysages planétaires, les étendues vertigineuses du vide spatial ou les tourments intérieurs de ses protagonistes. Certains des questionnements qu'il aime soulever pourraient faire l'objet d'un devoir de philo au bac. Il ne prive pas en outre de délayer la sauce et d'alourdir la narration afin de donner plus d'impact à la chute de son texte : c'est particulièrement sensible dans Avant l'Eden (qui décrit avec circonspection l'impact d'une expédition humaine sur la biosphère vénusienne, avec une forme de fatalisme inhabituel) et surtout Un été sur Icare, la nouvelle la moins probante sans aucun doute, qui s'appesantit sur la survie hypothétique d'un astronaute échoué sur un astéroïde s'apprêtant à être rôti par les feux du soleil.
![]() |
Illustration pour Un été sur Icare |
Auparavant, on s'était frottés au Mur de ténèbres, un récit plus ouvertement philosophique dont la conclusion procurera aux lecteurs un vertige similaire aux perspectives évoquées dans Le Monde inverti. Clarke parvient cependant à faire vivre ses personnages dans ce format réduit plus proche du conte, et à leur conférer assez d'épaisseur et de sentiments pour nous entraîner.
Supériorité, on aimera ou pas. Le texte souffre un peu de son âge mais traite malicieusement de la course aux armements dans un contexte de guerre interplanétaire : faut-il développer massivement des armes conventionnelles ou investir dans la recherche et inventer de nouvelles technologies, quitte à perdre l'avantage du temps et du nombre ? Déplacez le problème vers la Seconde Guerre mondiale et vous aurez les réponses, Clarke y ajoutant un brin d'humour salvateur.
Le Réfugié accuse le poids des ans et la petite surprise qu'il prépare est assez vite éventée pour nous laisser un gentil texte sur un équipage d'astronef faisant escale en Angleterre avant de repartir vers les étoiles, avec un commandant de bord américain confronté aux particularités britanniques. Et pourtant, l'on se dit que les dialogues pourraient encore fonctionner aujourd'hui (on imagine très bien un Texan gloser sur l'anachronisme de la famille royale face à deux sujets de Sa Majesté, dignes et stoïques).
On finira par La Sentinelle, encore un bon choix d'éditeur avec une nouvelle à la portée extraordinaire qui se trouve aujourd'hui presque dépassée par ce qu'elle a engendré au travers du long-métrage phénoménal et de sa version roman. Le récit de cette mission lunaire menée par un géologue qui découvre un étrange artefact perché sur une crête de la Mer des Crises ouvre des perspectives assez vertigineuses, sous la forme d'un questionnement auquel l'auteur aime se livrer afin de nous tendre une perche métaphysique et nous inviter à disserter dessus.
En bref, en huit nouvelles, voici un moyen idéal pour découvrir le style et l'intelligence narrative d'un des plus grands auteurs du genre.
En bref, en huit nouvelles, voici un moyen idéal pour découvrir le style et l'intelligence narrative d'un des plus grands auteurs du genre.
![]() |
Illustration pour la Sentinelle (oui, le monolithe de la nouvelle diffère de celui du film ou du roman) |
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|
Publié le
11.5.25
Par
Vance
En moins de 100 pages, Larson nous impose un rythme dément pour raconter une histoire de chasse au trésor dans un lieu hautement improbable menée par deux contrebandiers déprimés financés par des jumeaux richissimes qui cachent bien leur jeu. Dès le départ, on est happé par le tempo infernal imprimé par l'auteur qui laisse au lecteur le soin de dresser un background à peu près cohérent au travers de dialogues incisifs, de très courtes descriptions teintées d'ironie et d'une litanie de néologismes et mots-valises avec lesquels le traducteur a dû beaucoup s'amuser (ou s'arracher les cheveux, sans doute un peu des deux). Pas de prologue, pas d'introduction à l'univers qui nécessitera de faire appel à une certaine culture littéraire afin de comprendre les tenants et aboutissants : Larson ne s'embarrasse guère de digressions, à peine une vague analepse sous forme de souvenir honteux pour expliquer comment l'un des personnages en est venu à perdre son corps...
Yanna est le copilote du Bandit chétif, petit cargo de l'espace avec lequel elle traficote en compagnie de son ami d'enfance, Hilleborg. Ce dernier est réduit à une tête reliée à un sac protéinique et s'exprimant par le biais des circuits du vaisseau : les conséquences d'un emprisonnement suivi d'une exécution sommaire après un coup foireux. La proposition des jumeaux tombe à pic : une excursion à la surface d'un nagevide, ces gigantesques créatures qui parcourent les océans de l'espace que Yanna a la chance de bien connaître. Sauf qu'ils en choisissent un qui se meurt en orbite autour d'une géante rouge et qu'ils n'ont pas été très honnêtes quant à leur motivation première...
![]() |
Vaisseau de contrebandier |
Les amateurs de SF auront tôt fait de trouver les points de repère nécessaires pour se sentir en terrain étrangement familier : le ton mordant du narrateur, le techno-babble permanent, les ellipses savamment disposées requerront uniquement un petit effort supplémentaire pour se faire une idée acceptable du contexte. Des contrebandiers de l'espace, la littérature en regorge depuis la nuit des temps : Yanna n'est pas Han Solo et son vaisseau est loin d'avoir les performances du Millenium Falcon (il n'est même pas armé), cependant on comprend bien le concept - et la mention d'une cache spécifique destinée aux marchandises douteuses en fera sourire plus d'un. Un blogueur pertinent évoquait d'ailleurs des images de ses dessins animés de jeunesse, tels Capitaine Flam : la vision d'un Hilleborg réduit à une tête parlante a de quoi frapper les esprits et rappeler ce genre de références. On pourra ajouter également les Acantis, ces baleines extraterrestres utilisées par les Broods (qu'on peut voir dans cet article s'en prendre à Kitty Pryde) comme vaisseaux dans la saga X-Men : c'est en tous cas la première image qui m'est venue en lisant la description de ce nagevide. De même, le bestiaire imaginé tant dans la biosphère de cette gigantesque bête que sur les rares planètes évoquées rappellent certaines des créatures créées par Dan Simmons dans Les Cantos d'Hypérion (les vonNeumanns qui se nourrissent d'énergie semblent un peu similaires aux ergs).
![]() |
Un Acanti, ces baleines cosmiques utilisées par les Broods comme vaisseaux et habitat dans la saga X-Men |
Néanmoins, et systématiquement, ces références se retrouvent perverties par l'ambiance iconoclaste du roman : Yanna est certes une pirate du cosmos, mais elle n'a jamais tué personne. Elle est rongée par le remords à propos de la sentence exécutée sur son ami et pose sur le monde un œil assez désabusé. Hilleborg, presque littéralement désincarné, communiquant avec un synthétiseur vocal, semble lui faire perpétuellement la tête - à raison, comme on finira par le comprendre. On a régulièrement l'impression que Larson cherche à flinguer avec jubilation nombre de codes de ce genre de récits d'exploration et d'aventures, surtout lorsque la fausse excursion se mue chasse au trésor et qu'un cinquième larron vient se joindre à ces réjouissances, bien décidé à empocher le butin avant tout le monde. La perspective de gagner une tonne de fric s'éloigne bien vite lorsque votre existence est remise en question par une bande de mercenaires surarmés... Yanna n'a rien d'une héroïne et ce ne sont que quelques considérations très égoïstes qui vont la pousser en avant dans cette entreprise de plus en plus périlleuse. Au point d'enchaîner les coups de Trafalgar, les coups du sort et les coups de génie à une fréquence de plus en plus élevée.
Le nagevide en lui-même s'avère un lieu atypique et absolument hallucinant, propice à bon nombre de péripéties et chausse-trappes : sa surface gigantesque abrite un écosystème aussi varié que dangereux (gaffe aux arbres-bouchers !) et tout l'environnement est saturé par ses fluides vitaux et ses gaz internes qui s'échappent lentement dans l'espace, créant une sorte d'atmosphère vaporeuse tandis que sa peau se craquelle et engendre failles et crevasses titanesques tandis que ses nageoires se délitent au ralenti. Le tout avec un firmament presque entièrement occupé par la géante rouge dont la lumière écrase les perspectives et engourdit les perceptions.
Impossible de s'ennuyer, d'autant que la plume acerbe de l'auteur fait savamment reluire le caractère bien trempé de Yanna, qui ne se prive pas de dire ce qu'elle pense à tous ceux qui l'emmerde, à commencer par ses commanditaires qui l'ont plongée dans cette histoire.
Frais, revigorant et dynamique, une lecture qui fait du bien.
Frais, revigorant et dynamique, une lecture qui fait du bien.
![]() |
Image générée par IA |