Secret Show
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Un gros pavé pour ce Secret Show censé être "hypnotique". Effectivement, on a du mal à garder les yeux ouverts.

Attention, pour le traditionnel résumé de l'intrigue, il va falloir s'accrocher un peu. 
Tout commence lorsque Randolph Jaffe, employé de la poste centrale d'Omaha, Nebraska, découvre un incroyable secret en farfouillant dans le stock de courriers n'ayant pas trouvé leurs destinataires. Il existerait, au-delà de notre réalité, une forme de magie, l'Art, permettant à celui qui la pratique de donner naissance à ses rêves les plus fous. Après avoir assassiné son supérieur pour protéger sa découverte, Jaffe s'offre un petit road-trip qui le conduit à rencontrer une sorte de clodo à moitié à poil coincé dans une boucle temporelle. Il lui apprend l'existence de la Quiddité, une mer-rêve qui serait la source de l'Art. Cette mer métaphysique débouche sur un territoire appelé le Métacosme, un lieu sympathique peuplé par des saloperies qui feraient bien un tour dans le Cosme (chez nous en gros).
Mais le problème le plus urgent de Jaffe, c'est surtout Fletcher, un scientifique qu'il a engagé pour créer le Nonce, une sorte de passage chimique vers la Quiddité et sa magie, et qui, se rendant compte de l'importance du binz, décide de maraver son associé afin de l'empêcher d'arriver à ses fins. Transformés tous les deux par le Nonce, ils se mettent copieusement sur la tronche pendant une éternité, avant de finir, épuisés, aux environs de Palomo Grove, en Californie. Là, ils vont s'arranger pour posséder quelques nanas locales qui prenaient un petit bain dans un étang et poursuivre leur combat à travers leur progéniture. Seulement, voilà, deux de leurs rejetons, au lieu de s'étriper bien sagement comme on leur demande, vont tomber amoureux l'un de l'autre. Pendant ce temps-là, la petite ville s'anime un peu et attire quelques curieux car la célébrité locale, un humoriste excentrique, n'a rien trouvé de mieux à faire que de clamser en faisant son jogging. Et pas d'un arrêt cardiaque, non, il est tombé dans une faille apparemment sans fond...
Ouf ! Donc ça, c'est uniquement les 60 premières pages (sur plus de 270). C'est un peu dense quoi.

Commençons par la présentation du trio de coupables. À l'origine du projet, Clive Barker (cf. notamment cet Écho), auteur de The Great and Secret Show, roman dont est tirée la BD. L'adaptation a été effectuée par Chris Ryall. Une adaptation dont apparemment Barker se déclare très satisfait, ce qui aurait tendance à signifier qu'elle est fidèle au roman et que c'est donc bien l'écrivain qui est responsable des nombreux défauts de l'ouvrage.
Bonne nouvelle cependant, le troisième larron, qui s'occupe de la partie graphique, n'est autre que Gabriel Rodriguez, un artiste au talent certain dont on avait déjà parlé à l'occasion de la sortie de Locke & Key. Il réalise ici un travail exemplaire, tant au niveau des personnages (très expressifs, mais surtout que l'on peut tout de suite identifier sans peine malgré leur nombre, ce qui n'est pas si courant que ça) que des décors, notamment oniriques.




Voyons maintenant un peu cet énorme bordel que l'on pourrait qualifier d'intrigue. Alors, bien entendu, avoir une imagination débordante, c'est une qualité, c'est même plutôt conseillé lorsque l'on est écrivain. Par contre, une fois jeté sur le papier une tonne d'idées, parfois assez étranges, il est également conseillé de mettre un peu d'ordre dans tout cela, histoire d'aboutir à un récit sinon fluide, du moins logique et intéressant. Or, ici, passé le début prometteur, l'on tombe vite dans le n'importe quoi et, surtout, l'ennui. Un ennui lourd, profond, mortel, qui ne cesse de croître tout au long des planches de ce comic fleuve.

Prenons quelques exemples concrets. Le fait de faire trouver un secret parmi les lettres qui n'aboutissent jamais et s'entassent dans un coin paumé est une excellente idée tant ces mots sans destinataires connus, qui n'ont pu accomplir leur destin, acquièrent finalement une sorte d'aura mystique. Malheureusement, ce thème est à peine exploité et l'auteur ne prend pas la peine non plus de nous fournir un minimum d'explications sur le puzzle ésotérique que Jaffe parvient à reconstituer avec une facilité déconcertante. Autre élément intéressant du récit, la partie métaphysique, bien que complexe, recèle des facilités et des maladresses qui la rendent fort peu attractive malgré sa richesse. Les Terata et autres Hallucigenia par exemple (des entités issues de la peur ou des rêves des individus) font de la figuration et n'ont guère de charisme pour des bestioles censées nous terrifier. La Quiddité et tout l'attirail surnaturel qui l'accompagne s'avèrent également plus lourdingues que fascinants, et Barker use et abuse de concepts farfelus présentés comme des évidences ou entourés de suffisamment de "mystère" pour masquer leurs carences (un honnête lecteur se doit de faire l'effort de croire ce qu'on lui raconte, encore faut-il cependant lui donner un minimum de vraisemblances auxquelles se raccrocher). Quant à l'éternelle lutte du Bien contre le Mal qui est ici ressassée, elle est répétitive et plate. 

Dans la longue liste des éléments qui contribuent à dérouter le lecteur et plomber le récit, l'on peut encore ajouter des personnages à l'utilité discutable, une narration poussive, alourdie par de très nombreux pavés de texte dont certains n'ont pas un intérêt réel, et même des dialogues peu inspirés et artificiels.
Tous les ingrédients étaient pourtant présents pour mettre en place une sorte de thriller fantastique, mais c'est à une salade brouillonne et chiantissime que l'on aboutit.
L'emballage, assuré par Akileos, est lui tout à fait correct. Bonne traduction, hardcover, papier glacé et petits bonus constitués d'une introduction de Barker et d'une galerie contenant covers, recherches graphiques de Rodriguez, illustrations de Barker et plan de Palomo Grove.

De jolies planches qui ne peuvent rattraper à elles seules les immenses lacunes d'un (très) mauvais scénario.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers métaphysique complexe et qui aurait pu être fascinant.
  • La partie dessin, assurée par un excellent Rodriguez.
  • Un improbable salmigondis qui ne saurait faire office d'intrigue cohérente.
  • Une narration lourde et poussive.
  • Des idées et personnages survolés.
The Walking Dead : du chef-d'œuvre à la chute
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Retour ultime sur la série The Walking Dead, publiée en France chez Delcourt.

Quelques chiffres tout d'abord. The Walking Dead est une série publiée de 2003 à 2019 aux États-Unis et constituée de 193 épisodes mensuels, réunis en VF en 33 tomes. C'est également une réédition en Intégrale comprenant 16 volumes mais aussi des hors-séries, des artbooks et tout un tas de produits dérivés, allant du roman au jeu de société. Et on ne parle même pas des spin-offs de la série TV, dont on a perdu le compte. 
Si ce comic de Robert Kirkman (accompagné de Tony Moore puis Charlie Adlard aux dessins) a connu un tel succès, ce n'est pas pour rien. Car le début de TWD (jusqu'au tome 10 VF) est un incontestable chef-d'œuvre. Mais la série réussira également l'exploit de réaliser un ahurissant grand écart qualitatif en se transformant peu à peu en récit insignifiant voire même très mauvais.
C'est ce retournement inattendu que nous allons tenter d'analyser ici pour tenter de comprendre pourquoi et comment Kirkman a réussi à transformer... de l'or en merde.

Tout d'abord, il faut revenir sur l'auteur. TWD est une exception à plus d'un titre dans l'œuvre de Kirkman. Ce dernier est en effet plus un habitué du second degré que du récit réaliste. Ses autres séries (cf. notre dossier sur l'auteur) flirtent avec la comédie (Super-Patriote, Brit) voire le burlesque (Battle Pope), un peu comme si le scénariste ne voulait pas se résoudre à verser dans le "sérieux". Même ses titres ayant parfois une véritable dimension dramatique (Invincible) ont aussi un versant plus léger voire parodique. 
Quand Kirkman se lance dans TWD, il va donc explorer une tout autre facette de son écriture. Et il est peu de dire qu'il va se dépasser et atteindre un niveau d'excellence stratosphérique.

Les premiers tomes de TWD sont en effet aussi brillants qu'addictifs. L'écriture de Kirkman s'avère fine, efficace, imparable, et il parvient à bâtir une intrigue solide et cohérente. Mieux encore, si c'est une réussite sur la forme, le fond se révèle tout aussi maîtrisé et intelligent. Car les zombies se révèlent très secondaires dans TWD. Il s'agit là d'un prétexte pour faire s'effondrer le système et ses lois. Cela aurait très bien pu être autre chose (une guerre, un virus, des extraterrestres, une crise économique...). Le mort-vivant est employé par Kirkman comme révélateur de l'humain. Ce qui l'intéresse, c'est de montrer les réactions de l'individu lambda quand le mince vernis de civilisation qui le recouvrait et le modérait s'écaille puis disparaît. Comme le dira Kirkman lui-même : "Si en cours de lecture, quelque chose vous a effrayé, tant mieux... mais il ne s'agit pas d'un comic d'horreur." 

Et il a bien raison, il s'agit en réalité d'une étude sociologique, d'une recherche dans les tréfonds de l'âme, d'un essai philosophique sur ce qui fait d'un être humain un... humain, justement. À travers des dialogues ciselés et passionnants, des personnages à la psychologie travaillée, des situations tendues, l'auteur va plonger le lecteur dans le gouffre nietzschéen où l'on rencontre les monstres, les vrais, et non ceux de ses autres séries (comme Astounding Wolf-Man). Rarement d'ailleurs une série aura abordé autant de sujets dramatiques avec autant d'intelligence. Que ce soit les troubles psychologiques liés à la mort d'un proche, la violence inhérente à la nature humaine, le regard des enfants sur des parents qui se transforment en monstres (et pas forcément en zombies) ou encore le déni, le sentiment de culpabilité ou le simple et si cruel instinct de survie, rien n'est épargné aux personnages et, par leur intermédiaire, au lecteur.

Les personnages ont donc une place centrale dans TWD, car pour que l'on s'inquiète de leur sort, pour que l'on puisse vibrer, trembler, pleurer pour eux, il faut non seulement qu'ils soient vraisemblables, mais il faut aussi qu'ils soient dotés de failles, d'une psychologie fouillée, de désirs, de défauts, bref, qu'ils nous ressemblent. Rick, Lori, Tyreese, Carl, Michonne ou Patricia ne sont pas des héros de romans ou de BD, ce sont des quidams plongés dans une situation catastrophique et réagissant, avec leurs armes et leur éducation, à une rupture totale de la normalité. Certains protagonistes vont agir en héros, d'autres en venir aux pires extrémités, mais tous resteront profondément humains, au sens le plus strict du terme.

Ainsi, Kirkman va dans un premier temps faire souffrir le lecteur. Mais le faire souffrir d'une bonne façon. Il va souffrir de voir les efforts du groupe réduits à néant, souffrir de voir l'espoir de normalité s'évaporer à la première tempête, souffrir de voir des gens, auxquels il s'était attaché, mourir pour de bon. La tension est omniprésente, personne n'est à l'abri. Les têtes tombent pendant que le lecteur, estomaqué, encaisse les coups, surprenants, violents, délectables.
Tout cela va malheureusement prendre fin avec le tome 10 de la VF (comprenant les épisodes 55 à 60).
Après une première époque magique, marquée par les moments intenses et les chocs émotionnels (la fin de la prison, entre autres), TWD va évoluer vers... autre chose. 




Tout commence avec le tome 11 VF. Celui-ci n'est pas foncièrement mauvais, mais il a une particularité étrange : il est totalement inutile. L'arc Fear the Hunter pourrait ne pas exister, ça ne changerait rien à la suite, ce qui est une première pour la série à l'époque tant les rebondissements cruciaux étaient nombreux. L'on pourrait pardonner bien entendu une pause ou un léger essoufflement temporaire, mais ce qui s'annonce est bien pire : la série va s'effondrer, inexorablement, et plonger dans la médiocrité.
Dès les tomes 13 et 14, l'on constate une très nette baisse de niveau, le côté percutant n'est plus là, le titre "ronronne" un peu. La descente aux enfers se poursuit dans les autres tomes, Kirkman n'arrivant plus à redresser la barre. Là où naguère des dialogues inspirés apportaient une profondeur passionnante aux échanges, les protagonistes se contentent maintenant d'échanger des platitudes ou des redites. Dès le tome 18, la série déraille, l'histoire comporte des longueurs, des maladresses et un ennemi ridicule.

Et contre toute attente, cela va encore empirer !
Même les scènes d'action deviennent grotesques, notamment dans les tomes 19 et 20. L'on assiste en effet à des échanges de tirs totalement improbables, "à la Lucky Luke", ou encore à un double coup de pied sauté dans un combat, à la Van Damme [1]. Exit également la tension permanente, les retournements de situation tragiques et les personnages profonds, tout sombre dans une facilité et une indigence désespérantes. Kirkman semble même ne plus avoir quoi que ce soit à dire. Après la menace représentée par le Gouverneur, il avait pourtant le choix. Il pouvait revenir sur les débuts de l'effondrement de la civilisation ; il pouvait suivre la piste des origines de l'épidémie ; il pouvait explorer les différentes situations à l'étranger ; il pouvait s'intéresser à ce qu'il restait de l'armée ou du gouvernement...
Or, que fait-il ? Un Gouverneur bis en la personne de Negan. Mais si le Gouverneur était une menace crédible (parce qu'il mentait à sa communauté et la manipulait habilement), Negan n'est qu'un méchant de dessin animé, outré et grotesque, qui laisse Rick en vie sans raison et tue ses propres hommes. Un tel type aurait une espérance de vie de 20 minutes dans la réalité. Pire, Kirkman va ensuite se perdre totalement avec son délire sur les Chuchoteurs, une bande ridicule dont le mode de vie est totalement irréaliste. 

Mais Kirkman ne s'embarrasse plus d'explications ou de vraisemblance, pressé qu'il est de raconter la même histoire, encore et encore, comme le premier Kurumada venu. Bien entendu, l'on n'est pas obligé de soulever ces points, l'on peut fermer les yeux et s'en remettre à la licence poétique, mais il faut alors une bonne raison pour cela. Or Kirkman va être incapable d'en fournir une.
Sociologiquement, ces Chuchoteurs n'en sont d'ailleurs pas à une incohérence près. Apparemment, les rapports familiaux n'existent plus vraiment puisque la mère de Lydia lui demande de l'appeler "Alpha" et qu'elle la laisse se faire violer. Pourquoi alors vient-elle la récupérer si ce n'est qu'un simple membre de sa "meute" ? Surtout, alors que les Chuchoteurs semblent être des milliers (c'est une estimation qui est donnée par l'un des personnages), comment expliquer le choix d'un tel mode de vie [2] (ils sont suffisamment nombreux pour nettoyer une zone et la sécuriser) et d'une telle régression (notamment dans les habitudes sexuelles) ?

Le groupe des Chuchoteurs s'avère pour le moins étrange. Si l'on comprend pourquoi les zombies ne s'en prennent pas à eux (et si l'on admet qu'ils arrivent à s'habituer à l'odeur), on voit mal comment cette solution très provisoire pourrait constituer un mode de vie stable sur le long terme.
Être perpétuellement recouvert de saloperies ne doit déjà pas être très sain, mais cette espèce de nomadisme macabre ne va pas sans poser de nombreux problèmes. Pour la nourriture, l'on nous explique que les chuchoteurs utilisent ce qu'ils trouvent dans la nature, autrement dit quelques fruits et diverses bestioles qu'ils chassent. Outre le fait que l'efficacité de la chasse en groupe, entouré d'une meute de macchabés, soit très discutable, il est encore plus douteux qu'une vague cueillette puisse nourrir une bande aussi nombreuse. C'est là un propos de citadin qui n'a jamais eu à se nourrir seul. Rappelons-nous les difficultés que rencontrait le groupe de Rick dès qu'il n'était plus en lieu sûr. Et même là, la question de l'approvisionnement se posait parfois. L'un des personnages explique également qu'ils ne mangent pas tous les jours car "ils n'en ont pas besoin". Première nouvelle. Difficile d'imaginer que des humains puissent supporter une marche forcée et constante sans avoir des apports nutritionnels quotidiens.




Tout cela n'est pas inintéressant en soi, loin de là, mais c'est bancal et mal foutu. Tout comme il était absurde que des dizaines d'individus se mettent à suivre aveuglément un type comme Negan, qui les maltraitait et les menaçait constamment, il n'y a aucune raison pour que des milliers de gens se mettent tout à coup à suivre une voie particulièrement difficile sur le plan pratique et psychologique.
C'est ici le principe de la "panne de voiture" qui n'est pas respecté. Prenons un récit où un personnage doit se perdre dans une forêt. Une immense forêt qu'il ne connaît pas et qu'il doit traverser pour se rendre d'un point A à un point B. S'il dispose d'un véhicule, on ne voit pas pourquoi il se farcirait tout le chemin à pied. Son véhicule peut donc être en panne par exemple. Si le personnage a une raison suffisamment importante de se rendre au point B, cela peut expliquer qu'il s'aventure dans cette forêt. Maintenant s'il décide de partir à pied, sans boussole, sans carte, alors qu'il avait un superbe véhicule en état de marche, avec GPS en plus, eh bien ce n'est pas le personnage qui agit (sauf s'il est censé être stupide), c'est l'auteur.
Et ça, c'est la pire des manières d'écrire. Les personnages doivent obéir à une certaine logique, avoir des motivations qui leur sont propres. S'ils agissent sans (bonne) raison apparente, ils apparaissent alors aux yeux du lecteur comme des fantômes sans âmes, des corps non "habités", dont la seule raison d'être est de rendre service à l'auteur, empêtré dans son récit.
C'est cela que fait Kirkman dans la seconde partie de TWD, en sortant un peu n'importe quoi de son chapeau et en oubliant d'intégrer les nouveaux éléments à son histoire de manière cohérente. 

Prenons une scène entière issue du tome 19. Il s'agit de la scène d'intro, cinq longues planches ennuyeuses qui n'apportent rien. Considérons l'intérêt de cette scène de trois manières différentes : sa fonction d'introduction au récit, la pertinence du propos et la portée dramatique. 
Pour la pertinence du propos, on repassera. Il s'agit en fait de radoter une nouvelle fois sur ce que l'on sait déjà, à savoir que tout le monde a perdu des proches depuis le début de l'épidémie. Cela n'apporte rien, si ce n'est que les personnages semblent redécouvrir l'intérêt d'enterrer les cadavres plutôt que de les brûler (intérêt tout psychologique, car d'un point de vue pratique, dans leur situation, ça se discute). Question dramatisation, nada, rien à signaler, Maggie semble presque apaisée malgré la perte récente qu'elle a subie. Sa discussion avec une parfaite inconnue s'avère froide, plate et inutilement longue. Enfin, ces premières planches ne remplissent pas non plus une fonction cruciale : happer le lecteur pour l'amener à tourner les pages suivantes. Avec une telle entrée en matière, il faut se forcer au contraire pour continuer. Pourtant, il est arrivé, dans d'autres épisodes, que de longues discussions soient passionnantes, et largement aussi poignantes que certaines scènes d'action, mais un tel discours, construit à partir de banalités, n'a pas sa place comme ouverture d'un récit censé être captivant.
Kirkman n'est sans doute pas seul en cause, si le responsable éditorial qui supervise la série chez Image Comics avait fait son travail, il aurait demandé à l'auteur de reconsidérer ce début mal torché. Et ce dernier pourrait l'en remercier. Mais non, c'est trop tard, Kirkman est en roue libre...

Autre élément relevant le peu de soin apporté à l'intrigue : les plans et manipulations deviennent tous grossiers et remplis d'incohérences. Ainsi, lors de l'attaque de la communauté des Sauveurs, Rick fait mine de se "sacrifier" pour aller défoncer leur clôture, comme s'il n'était pas possible d'en revenir. Pourquoi ne bloque-t-il pas simplement l'accélérateur du véhicule en lâchant ensuite l'embrayage ? Et en admettant même qu'un chauffeur soit nécessaire, pourquoi la fille qui prend la place de Rick fonce-t-elle comme une demeurée dans le mur derrière la grille ? C'était trop dur de freiner ou de tourner le volant pour ensuite se barrer ? Là, il ne s'agit tout de même pas de pinailler sur un détail en avançant un savoir d'expert (telle munition ne peut être stoppée par tel objet utilisé comme bouclier par le personnage), il s'agit là de stupidités qui sautent aux yeux et sortent complètement le lecteur du récit. 

Quant aux éléments intéressants, qui pourraient relancer l'intérêt, ils sont systématiquement mis de côté ou résolus par un tour de passe-passe. Le côté borderline de Carl va par exemple passer à la trappe, tout comme les particularités qu'auraient pu apporter la gestion d'un véritable "royaume" (la monarchie d'Ézéquiel, bien plus crédible comme organisation sociale que le troupeau des Chuchoteurs). Au lieu de ça, Kirkman va partir en vrille et mettre en scène des tigres de compagnie ou des empoignades qui sont de simples gesticulations sans intérêt en regard de l'affrontement qui avait opposé, par exemple, Rick et Tyreese.  

Évidemment, avec une telle accumulation de défauts et maladresses, allant des dialogues enlevés qui deviennent soporifiques aux scènes d'action cruciales qui deviennent burlesques, ce qui devait arriver arrive : le chef-d'œuvre devient un nanar. Épisode après épisode, la série captivante se transforme en feuilleton lourdingue et inepte. L'intérêt s'émousse tandis que les tomes catastrophiques finissent par être plus nombreux que les excellents recueils du début de la série. Et c'est douloureux. 
Mais ce n'est pas grave.
Oh, c'est décevant, c'est certain. J'aurais aimé que Kirkman continue sur sa lancée et écrive une série à la qualité constante. Mais voilà, c'est dur de faire bien. Et c'est encore plus dur d'avoir du génie, même quand on a de l'expérience et du savoir-faire. C'est pour cela qu'il y a plus de romans, BD et films moyens ou passables plutôt qu'excellents. Mais les auteurs ont le droit de se tromper, de mal faire, de gâcher un bon début. Et quand je repense à Walking Dead, je ne pense pas à la fin, insipide et cagneuse, je pense au début, brillant, excitant, audacieux. Je pense à ces moments où j'ai tourné les pages, fiévreux et tremblant. Je pense à cet état si particulier où l'on ressent des émotions bien réelles à partir de situations fictionnelles. Kirkman a réussi, pendant un temps, à utiliser un peu d'encre et de papier pour fasciner et bouleverser des milliers d'inconnus, tous différents, tous éloignés de lui par le temps et l'espace. Et ça, c'est suffisant pour inspirer le respect (accessoirement lui filer un peu de pognon) et lui dire... merci.

 





[1]
Cette scène n'a aucune chance de se dérouler dans la réalité, du moins, dans le monde non super-héroïque de Walking Dead. Déjà, même pour la chorégraphie martiale d'un film, un tel double coup demanderait pas mal de boulot pour le réaliser parfaitement (sans harnais et filins). Mais dans un vrai combat, il faudrait être complètement stupide pour le tenter. Cela demande une énergie monstrueuse pour une efficacité très aléatoire (d'autant qu'un des coups de pied est donné en arrière, sans regarder, sans compter le fait que sans point d'appui, le transfert d'énergie est peu important). On dirait du Walker, Texas Ranger, qui est une série comique plus que réaliste sur le plan des combats.
[2] La pyramide dite de Maslow, représentation hiérarchisée des besoins humains, permet déjà de comprendre qu'un tel mode de vie, s'il convient à un loup, serait insoutenable pour un homme sur le long terme. En effet, après les besoins physiologiques et inhérents à la sécurité (sécurité qui déjà ici est toute relative), les besoins d'appartenance à un groupe, d'estime de soi et d'accomplissement se font sentir. L'organisation sociale des Chuchoteurs permet certes de satisfaire le besoin d'appartenance, mais clairement pas les autres. Pire, le besoin d'appartenance n'a pas besoin d'être satisfait tant que la sécurité n'est pas optimale, or, pour ne prendre qu'un seul exemple, les pratiques sexuelles du groupe nuisent au besoin de sécurité individuelle. Quant aux besoins physiologiques, comme le fait de se nourrir, ils ne sont garantis que par la bienveillance d'un auteur ignorant tout des difficultés de la chasse ou même de la cueillette. 


Hellboy
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Retour sur Hellboy, un comic aussi original que percutant.

Le pitch tout d'abord. Hellboy nous conte les aventures d'un démon, initialement invoqué par Raspoutine pour le compte des nazis, et recueilli ensuite par l'armée américaine. Quelques années plus tard, Hellboy travaille pour le BPRD (Bureau for Paranormal Research and Defense) et parcourt le monde, affrontant des menaces mystérieuses et variées.

Voilà, nous sommes donc en gros dans le domaine du paranormal. Graphiquement, le dessin de Mike Mignola est très stylisé, non réaliste, et joue sur les contrastes en utilisant la technique du clair-obscur. Certaines cases sont parfois très dépouillées et simplistes, mais l'ensemble parvient tout de même à générer une atmosphère troublante et à faciliter l'immersion pour peu que l'on ne soit pas réfractaire à ce style particulier. 
Cependant, ce qui marque le plus dans l'œuvre de cet auteur, c'est essentiellement son choix narratif. La plupart des volumes (édités en France chez Delcourt) fonctionnent en fait comme un recueil d'histoires fort courtes et constituées d'une douzaine de planches (parfois seulement huit !). Le gros défaut de ce parti-pris est qu'il est difficile - voire impossible - de camper des personnages secondaires un tant soit peu développés. De plus, à peine rentré dans une ambiance rapidement créée, le lecteur se voit bousculé vers la suite, à la rencontre d'un autre lieu.




Nous ne sommes donc pas en présence des longs récits habituels mais, passé un moment de surprise - voire de gêne - l'on finit par s'y faire et se laisser entraîner dans cette expérience surprenante. Les vampires succèdent aux fantômes ou aux sociétés secrètes, les pays et les époques défilent, tout comme les visages grimaçants, et on en arrive à se laisser bercer par cet onirique voyage.
Malgré les thèmes horrifiques et démoniaques de ses histoires, Mignola reste néanmoins dans une forme très esthétisante de l'épouvante, sorte de cauchemar lisse dans lequel le sang coule mais prend l'apparence d'un joli aplat. Il est évident que l'on peut sentir dans Hellboy l'influence de certains écrivains, comme Edgar Allan Poe. L'une de ses nouvelles, Le Ver Conquérant, a d'ailleurs donné son titre à l'un des TPB de la série. Il faut reconnaître qu'un véritable parallèle existe entre ces deux auteurs, non seulement dans l'ambiance générale qui se dégage de leurs récits mais également dans leur manière de privilégier l'atmosphère plus que l'histoire au sens strict.

Notons tout de même l'importance de Hellboy lui-même pour son charisme (et son physique atypique) mais aussi et surtout pour son rôle essentiel de "trait d'union" entre les différents lieux et protagonistes. Le personnage, démon, aventurier en quête de son passé, agent d'une organisation qui est loin d'être irréprochable, est d'une grande richesse et se trouve même lié au Roi Arthur, Mignola n'hésitant pas à puiser dans les mythes et l'Histoire pour asseoir son univers baroque et gothique.  

En conclusion, voilà une série à part, très travaillée et sortant des sentiers battus. Si vous souhaitez délaisser pour un temps le monde des Masques et vous offrir une excursion dans l'étrange, Mignola pourrait bien vous offrir une balade dont vous vous souviendrez, après avoir tourné la dernière page, comme d'un rêve étrange et envoûtant. 





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'aspect graphique, très réussi.
  • L'ambiance très particulière, à la fois sombre et aseptisée.
  • La profondeur du personnage principal.
  • L'assemblage, tout de même un peu artificiel, de courts récits.
Le Disque-Monde en BD
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Le Disque-Monde, c'est une série de romans drôles et captivants, mais ce fut également une tentative d'adaptation en BD, que nous vous présentons aujourd'hui.

Nous avons déjà largement abordé l'univers de Terry Pratchett ici, que ce soit au travers de cartes et d'encyclopédies (cf. cet article) ou par le biais d'un guide de lecture permettant de dénicher le bon "point d'entrée" de cette vaste galaxie romanesque (cf. cet article). Il nous restait à voir la transposition des aventures de ces étranges personnages en bande dessinée, tentative qui n'a connu qu'un bref et unique volume en version française. Mais commençons par une petite présentation générale au cas fort improbable où il existerait encore des lecteurs n'ayant jamais entendu parler du Disque-Monde et de son créateur.

On a beau garder une certaine rancune historique envers la perfide Albion, les britanniques ont tout de même un sacré paquet de bons auteurs au m². Et, quand je dis "bons", j'entends bien sûr "populaires", au sens où ces écrivains-là n'ont pas oublié qu'aussi intelligent que soit le fond, il nécessite une forme agréable pour embarquer le lecteur. C'est presque une politesse de plume. Un coussin rajouté sous nos culs, pour être cru. Et Terry Pratchett est un écrivain doué et poli qui n'a pas peur d'être aimé du plus grand nombre (et de rajouter beaucoup de coussins dans son salon).
Les Annales du Disque-Monde constituent l'œuvre majeure de Pratchett. Il y parodie la fantasy de Tolkien avec un humour particulier que les amateurs de Jerome K. Jerome reconnaîtront aisément (qui n'a pas lu Trois hommes dans un Bateau passe à côté d'un monument de la littérature comique). Bref, le type est talentueux, imaginatif, drôle, restait à savoir si son univers pouvait passer le cap, aussi cruel que parfois magique, de la mise en images.




Mais de quoi ça parle exactement tout ça ? Eh bien d'un monde, plat, supporté par quatre éléphants, eux-mêmes perchés sur une gigantesque tortue. Cela vous paraît débile ? C'est pourtant déjà une forme de parodie, celle qui consiste à railler les pourtant si riches mythologies anciennes. À un moindre niveau, ce roman, devenu BD, nous conte les aventures de Carotte, agent du Guet, qui a découvert il y a peu qu'il avait été adopté. Par des Nains. Et, bien que visiblement fort grand, même pour un homme, il va rester pour beaucoup un nain. Pendant que la nouvelle recrue du Guet apprend que s'il existe une Guilde des Voleurs, c'est bien pour que la police n'ait pas à leur courir après, une société secrète complote pour renverser le Patricien. Les encagoulés vont utiliser la magie et même un dragon pour mener à bien leur sombre projet. Heureusement pour la populace d'Ankh-Morpork, elle peut encore compter sur des gardes non corrompus et même un capitaine fort vaillant.

Quid de l'adaptation ? Celle-ci est parue chez L'Atalante, maison qui édite déjà les romans, en 2007. Le scénario est l'oeuvre de Stephen Briggs et l'on doit les illustrations à Graham Higgins. C'est tout d'abord ce dernier qu'il faut louer tant son style, à base de tronches improbables et de décors douillets (lorsqu'ils ne sont pas remplacés par un dégradé de couleurs), permet de coller au propos et de placer tout de suite les choses dans leur contexte : le second degré.
Papier glacé, couverture en dur, l'éditeur n'a pas lésiné sur les moyens, pensant - sans doute avec raison - s'adresser à des fans exigeants souhaitant avoir entre les mains un produit à la hauteur des livres et de la fascination qu'ils ont suscitée.

Abordons un peu l'humour propre à Pratchett. Normalement, si l'on est obligé d'expliquer une vanne, c'est qu'elle n'est pas si drôle que ça, mais ici, l'on va tout de même faire une exception et aborder l'humour de ce Au Guet ! adapté du roman original Guards ! Guards !
Tolkien a déjà été évoqué et il est vrai que l'heroic-fantasy est clairement parodiée à grands renforts d'élevages de dragons et de mages peu doués, mais les situations les plus comiques proviennent souvent d'une critique, sous-jacente et acide, de notre société. L'absurdité de certaines lois, la bêtise de la foule, les lâchetés quotidiennes, les ambitions démesurées, la volonté de flatter les puissants, tout y passe avec une habileté plus ou moins grande. Car pour être parfaitement honnête, si certaines scènes sont clairement extrêmement bien menées, tant dans le découpage que les répliques, d'autres font parfois retomber le rythme sans avoir une utilité essentielle. Heureusement, ces rares moments de "creux" sont largement compensés par des trouvailles et réflexions bien amenées.

Bref, si vous aimez l'humour anglais, la BD et la fantasy, cette adaptation devrait vous plaire. L'aspect visuel est à la hauteur de l'originalité de Pratchett et l'histoire tient la route pour peu que l'on soit d'humeur à céder non à la facilité mais à une vision à part des mythes connus et de notre monde. Cerise sur le gâteau : l'ouvrage est encore trouvable en neuf, au prix de 15 euros. 
À consommer par beau temps, peut-être en sirotant un thé ou en dégustant une petite friandise.




Chicard et Côlon, sous la plume de Terry Pratchett, dans une adaptation de Briggs et une traduction de Patrick Couton.



— [...] Toutes ces histoires de rois, c'est contre la dignité fondamentale. On est tous nés égaux.
— Je ne t'ai encore jamais entendu parler comme ça, Frédéric.
— Pour toi, c'est le sergent Côlon.
— Pardon sergent.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'humour propre à cet univers.
  • Un style graphique convenant assez bien à l'aspect parodique.
  • Le côté acide et la critique habile de notre société, à une époque où pourtant elle n'était pas encore complètement dégénérée.

  • Certaines scènes, moins réussies ou manquant de rythme.
  • D'une manière générale, on conseillera tout de même les romans, la BD n'apportant rien de crucial.
Écho #68 : Figurines Youtooz
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Nous vous présentons aujourd'hui une nouvelle gamme de figurines : Youtooz.

Nous allons nous concentrer surtout sur Spidey, même si cette marque propose aussi divers personnages issus des jeux vidéo (The Witcher, Banjo-Kazooie...), des séries TV (Stranger Things), des comics (Superman, Wonder Woman...) ou du cinéma (John Wick).

Je dois avoir assez pour au
moins deux figurines avec ça.
Les figurines sont en plastique, elles font environ une douzaine de centimètres et ont la particularité d'être vendues à des prix... relativement prohibitifs. Si on les trouve à 30 dollars aux États-Unis (ce qui est déjà bien cher pour ce que c'est, même si on n'atteint pas le niveau ridicule de certaines figurines Tuniques Bleues), certains modèles dépassent en France les quarante voire cinquante euros ! Clairement, ça ne vaut pas ça. Surtout pour les personnages lambda.
La gamme Marvel dispose, elle, de petits décors entourant le personnage. Ça reste bien trop cher, mais au moins, c'est un peu plus volumineux (et original).

On retrouve notamment les X-Men (Cyclope, Wolverine et Jean Grey) ainsi que le Tisseur dans pas moins de cinq versions différentes. Nous avons choisi de mettre en avant les versions 2099 et Black, mais il existe aussi une version Amazing Fantasy (reprenant la posture de la cover du célèbre AF #15) ; une version "Spider-Man no more !" (avec le costume dans la poubelle et Peter Parker s'éloignant alors qu'au loin un énorme Spider-Man semble le hanter) ; et enfin la version Miles Morales, sans doute la moins jolie (et la moins culte, d'ailleurs c'est la moins chère : 19 euros, un record pour cette gamme). 

Tout cela est très coloré, dans un style cartoony, et globalement assez sympa. Les visages sont simplistes (hors personnages masqués, évidemment) mais restent plus reconnaissables que ceux des Pop par exemple (mais ils sont très clairement bien en dessous des Jada Toys, indétrônables au niveau qualité-prix sur ce segment, cf. notre comparatif en fin de galerie photo). Notons également que les boîtes sont très jolies. Reste le prix, trop élevé même si certains modèles sont affichés à un tarif plus raisonnable. Ceci dit, ça n'a pas l'air d'être dissuasif, car en 2020, soit un an après sa création, la marque (qui dispose de plus de 400 modèles différents), avait déjà écoulé... plus de 500 000 figurines ! Bon, on vous laisse, on doit aller filer notre pognon à monsieur Youtooz. 










À gauche, une Youtooz. Au milieu, une Pop avec sa ridicule "tête à Toto". À droite, une superbe Jada Toys en métal.

De gauche à droite, les versions Amazing Fantasy #15, Spider-Man no more et Miles Morales de la gamme Youtooz.

Basilica : Terre des Origines tome 1
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Orson Scott Card est déjà une institution dans le monde de la SF : l’auteur du Cycle d’Ender et des Chroniques d’Alvin le Faiseur, un Mormon élevé dans la plus pure tradition, propose ici le premier volet d’une saga qui se veut aussi importante que les deux précitées (le Cycle de La Terre des Origines/Homecoming). Créateur d’univers hors pair, aux récits puisant dans les mythes primitifs et mettant en valeur les dilemmes moraux, les épreuves, les doutes et la responsabilité de ses héros messianiques, Card s’est inscrit profondément dans la science-fiction de la fin du XXe siècle, au point que même le Marvel Comics Group a fait appel à lui pour une mini-série très réussie sur Ultimate Iron Man en collaboration avec Adam Kubert. Cet écrivain peut se vanter d’avoir reçu deux fois de suite le doublé prix Hugo et prix Nebula, et une tripotée de prix Locus.
 
Basilica
est donc né sous une bonne étoile. Il est arrivé en France en 1995 par le biais de l’Atalante, éditeur exigeant dont les ouvrages imprimés sur du papier de qualité font le bonheur des connaisseurs.
Et, nanti de toutes ses qualités intrinsèques, il s’avère décevant.

Certes, on sent très vite la volonté de l’auteur de donner corps à ses protagonistes, nous présentant dès les premières pages celui qui semble « l’Élu » de ce cycle, le jeune Nafai, grand gaillard de quatorze ans qui partage sa vie entre le domaine de son père, le riche propriétaire et marchand Volemak, et l’école de sa mère, Rasa, figure incontournable de la vie culturelle et cultuelle de Basilica. Nafai est un adolescent un peu plus costaud que la moyenne, plein de fougue et de doutes, qui se dispute régulièrement avec ses frères et surtout Elemak, l’aîné, le seul d’entre eux à pouvoir monter des expéditions dans le désert. Quant à Issib, le cadet, il se met régulièrement à l’écart de ces disputes : son handicap le pousse à hanter les bibliothèques en quête de savoir. 




Car sur la planète Harmonie, les humains perdurent depuis des dizaines de millions d’années ; ils y ont bâti une civilisation refusant les excès de la précédente, qui précipita la ruine de la Terre, leur monde-foyer qu’ils durent abandonner. Ainsi, si les habitants profitent de certaines avancées technologiques (comme le stockage numérique des données), ils ne disposent étrangement que d’armes peu évoluées en dehors de pulsants peu impressionnants. À Basilica, les femmes régentent la vie de la cité construite autour d’un lac souterrain par lequel certaines élues communiquent avec Surâme, l’ordinateur-dieu d’Harmonie. Pourtant, c’est à Volemak, un riche marchand, et à son fils Nafai, que Surâme envoie des visions d’apocalypse : Basilica est menacée de destruction, ce qui engendrerait la ruine de l’Humanité. Du coup, les tensions politiques latentes s’exacerbent tandis que les fils de Volemak s’entredéchirent : pourquoi Surâme n’intervient-il pas ? Pourquoi ses visions sont-elles si peu claires ? Pourquoi ne sont-elles interprétables que par cette jeune « sorcerette » alors que les autres prêtresses n’y ont pas accès ? Et pourquoi Nafai, le benjamin, plutôt que ses aînés désireux d’hériter de la fortune paternelle ? 




L’on suit donc Nafai qui nous permet d’explorer Basilica de l’intérieur et de découvrir ce lac sacré interdit aux hommes, ces quartiers voués à la fête ou aux marchés, ces temples où chaque prière s’accompagne d’une blessure rituelle. Cependant, même si la vision de Volemak, qui va bouleverser l’équilibre politique et social de la ville, intervient relativement tôt, l'on ne peut s’empêcher de s’ennuyer parfois malgré les descriptions hautes en couleurs. C’est que l’auteur multiplie les dialogues intérieurs, surtout chez Nafai mais également chez Luet, cette jeune fille capable d’interpréter les rêves : nos héros tergiversent longuement et nous empêchent de progresser dans le récit.




C’est frustrant et parfois même rageant, d’autant que les mystères entourant les visions n’aident pas à y voir clair – on peut en dire autant du plan de la cité proposé dans les premières pages, illisible. Mais le cadre fascine, et la destinée de Nafai, se précisant petit à petit (messager d’un dieu qui ne sait d’abord s’adresser à lui que par des rêves énigmatiques), entretient un certain suspense sur ce que sera sa mission, et surtout sur les responsabilités énormes qui lui incomberont. L’écriture est dynamique, riche et parfois percutante, malgré des dialogues empesés, avec un vocabulaire qui sait puiser dans différents registres.




De fait, le style est très différent de ce qu’on trouve ailleurs, même si on peut établir une certaine parenté avec Asimov dans la manière de faire avancer les intrigues par les dialogues. Comme il s'appuie sur un discours parfois ouvertement pédagogique, on a quand même par moments l’impression d’être devant un juvenile (un roman destiné plutôt aux adolescents) : beaucoup de démonstrations inutiles sont à déplorer, et des répétitions de situations peuvent agacer. 
A contrario, la fin de ce volume est toute en accélération, presque bâclée, pour aboutir à une révélation qui annonce un périple d’ampleur cosmique. Pas trop tôt.

Du coup, cela mérite peut-être de poursuivre l’aventure, sauf si vous êtes réfractaires à la philosophie mormone (la saga semble fortement inspirée du livre servant de base à cette religion). 

À vous de juger.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un grand auteur de SF.
  • Une saga qui s'annonce grandiose.
  • Un style riche et foisonnant.

  • Une tendance à surexpliquer.
  • Un récit qui se traîne un peu.