Alfred Hitchcock 1 - L'Homme de Londres
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Voir Noël Simsolo écrire sur la vie d'Alfred Hitchcock n'a rien de surprenant : ce n'est pas la première fois que ce touche-à-tout cinéphile s'exprime sur la carrière ou l'œuvre du Maître du suspense. En revanche, rédiger ainsi sa biographie par le biais d'une bande dessinée est déjà plus singulier, même s'il n'en est pas à son coup d'essai (il a déjà usé du même procédé pour Sergio Leone et Sacha Guitry, plus récemment). Un exercice dans lequel il est passé maître, donc, et qui a pour but d'initier le profane ou le cinéphile amateur.

Pour ce faire, l'auteur délaisse ses techniques d'écrivain de polar pour une stratégie éprouvée : Hitchcock lui-même va raconter sa vie, sa carrière en profitant d'un dîner de fin de tournage à Monaco. Et lorsqu'il hésite à donner son point de vue, Simsolo l'y pousse par le biais de reporters de circonstances (en l’occurrence Cary Grant et Grace Kelly - jusqu'à ce qu'elle aille se coucher et laisse les deux hommes terminer leur entretien dûment arrosé). Ainsi, "Hitch" (comme il aimait qu'on le surnomme) se livre plus facilement et dispense bon nombre d'anecdotes, parfois croustillantes, confirmant ou nuançant les rumeurs dont on lui fait part.


Le premier tome, publié chez Glénat le 30 octobre 2019, se concentre sur la première partie de sa vie, par forcément la plus connue des amateurs de cinéma, mais celle qui fit de lui un metteur en scène au style unique, maître de son art et suffisamment bankable pour pouvoir travailler aux États-Unis où il acquerra non seulement ses lettres de noblesse mais le titre de "Maître de la peur". Hitchcock se présente ainsi comme un original dès sa naissance : catholique anglais, il est de facto un personnage atypique dans la société britannique. Un père très strict, une mère aimante mais omniprésente lui donnent les inflexions et la structure d'une vie future marquée par des principes inamovibles, une confiance en soi totale - du moins pour son art -, une fidélité solide (malgré les très nombreuses tentations disponibles sur les plateaux de tournage) et une ambition raisonnable. Doué, talentueux, méticuleux, Alfred Hitchcock est avant tout un travailleur acharné, passionné par ce qu'il fait. Lors de ses premiers stages au cinéma (en tant que graphiste), il est présent dans tous les secteurs de l'industrie du film, afin de se familiariser très tôt avec le processus créatif. Du coup, lorsque vient le moment de prendre le taureau par les cornes, il sait qu'il maîtrise suffisamment l'art de la mise en scène pour sauter sur la première occasion qu'on lui présente. Certes, les producteurs anglais lui mettront souvent des bâtons dans les roues, mais Hitch saura faire front, confiant dans sa technique et ses idées tout en faisant évoluer ses connaissances en se rendant autant que possible au cinéma, mais surtout au théâtre. Admirateur des expressionnistes allemands dont il reprend certaines techniques, il se voit confier régulièrement des adaptations de pièces pas toujours intéressantes - mais l'occasion faisant le larron, cela lui permet une certaine liberté qui lui fera expérimenter nombre d'astuces filmiques, allant jusqu'à s'auto-citer très tôt, construisant précocement une véritable filmographie d'auteur.


La grande majorité de ses films de la période anglaise est ainsi abordée, souvent par le truchement de quelques anecdotes ou témoignages. Il s'est ainsi mis très tôt à apparaître dans ses propres films, au grand dam des figurants dont il piquait le job. Il était capable d'être extrêmement sévère avec ses acteurs, qu'il estimait secondaires dans le déroulement du film (bien qu'il ait eu énormément de respect pour certains, dont l'acteur fétiche de Fritz Lang, Peter Lorre, qu'il parviendra à engager pour la première version de L'Homme qui en savait trop). Gourmand davantage que gourmet, il partageait nombre de manies avec son contemporain Winston Churchill (dont le cigare éternellement allumé) et s’accommodait plutôt bien de son embonpoint. Sans être imbu de sa personne, il se savait supérieur à ses pairs britanniques et cherchait à étendre sa sphère d'influence au-delà de l'océan avec Hollywood en point de mire. Il cherchait davantage à impressionner durablement les spectateurs et a très tôt exploité les techniques du cinéma muet pour conférer plus de sens à des éléments de décor, des objets, des gestes qui se voyaient magnifiés et insérés subtilement dans le montage afin d'altérer la perception et d'orienter le regard. L'art du suspense, s'il n'en est pas le créateur, a été porté à une dimension jamais atteinte avant lui, qui a ainsi su densifier les récits trop sages qu'on lui imposait (la plupart du temps des adaptations commandées de pièces à succès) et maîtriser l’immixtion de McGuffin dans ses scripts. Infatigable, il enchaînait les films de manière à faire ses armes, nourrissant l'espoir de pouvoir un jour tourner un film plus personnel, à partir d'un scénario qu'il aurait choisi (espoir pas toujours abouti, son projet sur la pièce Marie-Rose n'ayant jamais été porté à terme) mais aussi celui d'être repéré par des productions américaines qui lui proposeraient davantage de reconnaissance et de moyens et, peut-être, de libertés. Même s'il appréciait la notoriété et le confort matériel qu'elle apportait, il désirait par dessus tout être célébré par ses pairs, être reconnu pour son talent. L'échec de Rich & Strange, un film au ton décalé sur lequel il misait beaucoup, l'a profondément touché, mais sa frénésie filmique lui a permis de rebondir très tôt, tout en préparant son exil alors que l'Europe s'enfonçait dans les prémisses de la Seconde Guerre mondiale.

Cela dit, la grande majorité des petites histoires publiées dans ces planches étaient déjà disponibles dans les grands livres traitant du cinéma ou de la personne d'Alfred Hitchcock, et notamment l'indispensable Hitchcock/Truffaut qui permet très souvent d'offrir un parallèle intéressant entre la version dessinée, le témoignage du maître et surtout les plans des films illustrant les anecdotes. En revanche, quelques détails plus personnels (comme cette manie de casser de la porcelaine avant un tournage, d’utiliser le plus souvent possible des menottes - comme dans Number Seventeen ou Les 39 Marches pour lesquelles il a laissé le couple vedette menotté pendant une journée entière - ou encore celle de faire des blagues souvent déplacées, parfois empreintes de misogynie) confirment des rumeurs ou proviennent d'autres sources. D'autre part, le dispositif peine à passionner par son côté très artificiel : alors que les dialogues Grant-Hitchcock sont plein d'humour et d'élégance so british, ceux relatifs à des événements passés donnent l'impression d'être commentés par les individus même qui les vivent, suivant une sorte de distanciation désagréable. C'est particulièrement notable lorsque Hitchcock discute avec sa femme, sa partenaire et son amie de toujours, qui le savait sensible aux charmes des actrices blondes qu'il faisait tourner mais incapable de passer à l'acte.
L'aspect graphique enfin n'est pas le point fort de l'album, même s'il faut reconnaître au dessinateur Dominique Hé la recherche constante d'un minimum de ressemblance, au moins pour les grandes figures historiques ; il s'est notamment investi dans les différentes silhouettes de Hitch, s'inspirant notamment de celle qui illustrait la série de courts-métrages Alfred Hitchcock présente. Sinon, la mise en page et le découpage demeurent très classiques, avec des cases très petites, aux décors sobres et à l'encrage discret ; on remarquera qu'avec cette réalisation, les enchaînements manquent de dynamique - ce qui d'ailleurs n'était pas le but de l'ouvrage. Il ne faut pas s'attendre à du palpitant, du trépidant, plutôt à une succession de scénettes illustrant des moments-clefs de la vie d'un des plus grands cinéastes du XXème siècle.

Une expérience à poursuivre avec la seconde partie, à paraître.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une introduction intéressante et riche d'anecdotes à la carrière d'Hitchcock.
  • L'occasion de découvrir la partie anglaise de la filmographie du maître, la moins connue forcément.
  • L'occasion aussi de côtoyer quelques grandes figures, parfois mythiques, du 7ème Art (Cary Grant, Grace Kelly, Peter Lorre, Laurence Olivier).

  • Des détails existant pour la plupart dans les meilleurs livres sur le maître.
  • Une mise en page terne.
  • Des dialogues sans nuance, faisant davantage office de commentaires.