De l'écriture dite "inclusive" et de ses inepties
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J’avais tenté une première mouture de cet article, que j’ai finalement jetée à la poubelle. Pourquoi ? Parce que je me faisais plaisir en me moquant allègrement de l’écriture dite inclusive (bon, on va garder quelques vannes hein, faut pas déconner), le tout en étant particulièrement condescendant à l’égard de ses chantres (difficile de ne pas être condescendant lorsque l’on a en face de soi des béotiens incultes et sectaires qui pensent changer le monde en opérant une révolution en pantoufles). Mais, tout cela finalement n’était pas très constructif. Et après tout, je ne souhaite pas m’adresser aux extrémistes, prêts à tout pour censurer, menacer ou faire licencier ceux qui ont l’outrecuidance de développer un avis contraire au leur. Ces gens-là sont en général irrécupérables, et contrairement à Gérard, je n’ai pas l’âme d’un bon samaritain qui tenterait de venir en aide aux égarés. Par contre, il m’a semblé utile d’apporter quelques précisions pour les personnes qui sont sincèrement intriguées par cette forme d’écriture et qui souhaitent comprendre pourquoi c’est une ineptie totale.
Voilà donc quelques arguments qui me semblent sensés. 

1. La langue est opaque à la tyrannie

Bonjour, je suis le genre neutre.
OK, je m'habille plutôt comme
 un gars, mais avant que des
petzouilles me fassent disparaître,
 du sang coulera dans les rigoles,
 si tu vois ce que je veux dire.
On ne peut pas modifier une langue vivante par "décrets", en y insufflant artificiellement la dernière mode du moment. Même les grammairiens ou le gouvernement n’ont pas ce pouvoir. Une langue se modifie sur le long terme (plusieurs décennies…) grâce à l’usage littéraire.
Lorsque des auteurs professionnels, reconnus, emploient en masse une tournure ou un terme, alors, cette nouveauté finit par être répertoriée dans les ouvrages sérieux, de type Grevisse. Et si elle perdure, eh bien l’usage la valide.
Imaginez le bordel que ce serait si, pour des raisons politiques, n’importe qui se permettait d’imposer des changements fondamentaux tous les 5 ans… il ne serait tout bonnement plus possible de simplement apprendre le français ou d’échanger dans cette langue en restant compréhensible. Or, c’est quand même le but : communiquer.

2. La grammaire n'a pas de rapport avec ton slibard

Le "masculin" de la grammaire n'a strictement rien à voir avec l'anatomie. Les mots n'ont pas de sexe, ils ne défendent pas une "image" de la femme ou du "patriarcat". Ceci est une vision totalement pervertie de la grammaire, dans laquelle certains projettent leurs fantasmes et leurs névroses. 
Un homme peut ainsi être une star, une sentinelle, une andouille, une bonne recrue... l'homme en question conserve son sexe, c'est le genre grammatical des mots qui est concerné, pas l'individu.
De la même manière, une femme peut être un tyran, un écrivain, un chirurgien, un génie. On ne lui nie en rien sa qualité de femme. Croire cela, c'est confondre deux domaines différents : le contenu de votre culotte et le genre grammatical des mots.

3. Neutralité et Apartheid 

En français, le genre neutre existe bien, il est simplement peu évident à discerner car il se calque sur le masculin. Cela n'a jamais voulu dire que l'homme est supérieur à la femme, mais que le neutre, en français, se construit comme le masculin. 
Prenons un exemple. Les verbes du premier groupe se construisent, au présent de l'indicatif, de la même manière à la première personne et à la troisième personne du singulier : je mange, il mange / je démarre, il démarre...
Il ne s'agit nullement d'une volonté égalitariste de traitement entre moi (je) et autrui (il). C'est une simple construction grammaticale.
Si l'on prend maintenant les verbes du deuxième groupe, l'on constate que la terminaison n'est plus identique entre la première et la troisième personne du singulier : je finis, il finit / je bondis, il bondit...
Il y aurait donc des verbes du premier groupe inclusifs, modernes et gentils, et des verbes du deuxième groupe rétrogrades, excluants et anthropophobes ? 
Bah non... ce sont juste des verbes qui ne se conjuguent pas de la même façon. Ce n'est pas une description cachée d'un fantasme sociétal. 
De la même manière, le genre neutre, construit sur le modèle grammatical masculin (qui n'a rien à voir avec le sexe de la personne qui fait ou subit l'action), est déjà "inclusif". C'est l'écriture inclusive qui paradoxalement exclut en voulant à tout prix associer chaque genre (anatomique) à la construction neutre (grammaticale) en introduisant une séparation selon le sexe qui n'a pas lieu d'être. C'est une forme d'apartheid grammatical. Brillante invention involontaire pour des gens se prétendant "progressistes".

4. Une forme "inclusive" suspecte et confinée à l'écrit

L'écriture inclusive, outre son aspect déstructuré et peu esthétique, ne peut même pas se prononcer à l'oral (acteur.rice.s / ceux.elles / départementaux.ales... tous ces exemples sont issus de ce torche-cul, je n'invente rien). Ou alors, on obtient des abominations comme "joueureuses". Franchement, quelle tanche (attention, une tanche peut être un homme, hein) ne comprend pas que "joueurs" est un terme pluriel neutre qui désigne un groupe constitué aussi bien d'hommes que de femmes ?  
Cette obsession constante du joyeux SJW, qui souhaite rappeler à quel point il est tolérant, finit par être suspecte, comme un type qui commencerait toutes ses phrases par "vous savez, je ne suis pas raciste...". Vous le sentez venir le "mais", là ?

5. Les dérives réelles de la Novlangue du pauvre

Cette inclusivité de surface, totalement hypocrite, a cependant un effet très pernicieux car, sous le fallacieux prétexte de vouloir "corriger" une inégalité imaginaire (imaginaire dans la grammaire, par contre, triturer les mots ne changera rien dans la réalité), certains en viennent à tout considérer par le biais du genre. Un peu comme ces anti-racistes modernes qui, en voulant montrer qu'ils sont plus humanistes que les autres, ne peuvent plus rien juger en dehors du prisme réducteur de la race. Il n'y a pas plus "raciste" (dans le sens étymologique du terme) qu'un "anti-raciste" moderne (cf. ces Blancs, désignés coupables par défaut, ou à qui l'on interdit certaines réunions). 
Et puis, imaginons que l'écriture inclusive, malgré sa lourdeur, son non-sens et son côté délirant et tyrannique, finisse par s'imposer. Comment va-t-on réécrire les grands classiques ? Les poèmes ? Les romans ? Les BD ? Qui va adapter ça ? Selon quelles normes ? Imaginez la difficulté de la tâche si vous deviez prendre n'importe quel texte un peu long et le débarrasser du mode grammatical neutre sous prétexte qu'il se construit sur le mode grammatical masculin... ce n'est pas juste con et inutile, c'est un chantier colossal. Et un chantier dans lequel se perdrait nombre de sens, rimes, nuances, repères historiques et élans lyriques. Pourtant, l'écriture inclusive a beau être aussi habile et charismatique qu'un François Pignon dans La Chèvre, elle fait déjà des dégâts. Et a commencé à envahir les manuels scolaires. Non parce qu'elle fait l'unanimité, mais parce qu'elle est portée par un petit groupe d'excités, très actifs. Pour imposer une tyrannie, nul besoin d'un peuple. Il faut un chef, quelques lieutenants et deux ou trois milliers de nervis. La plupart des gens ne réagiront pas, par lâcheté ou parce que chacun estime qu'il a plus urgent à faire, et que d'autres s'en occuperont. On connaît un peu le schéma, à force...


Je le répète encore une fois, personnellement, je juge les individus de manière très simple : Si tu te comportes bien, tu es quelqu'un de bien, et peu importe ton sexe, tes origines, ta religion, ta sexualité, etc. Si tu te comportes comme une merde, tu es une merde (et peu importe ton sexe, tes origines...).
Ça me semble être une approche logique, juste et humaine. Et malgré tout, j'ai mis presque une vie à la concevoir, car comme tout le monde, j'ai dû faire face à mes propres a priori. Je veux dire par là que cette philosophie, cette façon de concevoir l'autre, ne va pas de soi. Ça demande de la réflexion, de l'expérience, des remises en question. On ne naît pas avec des certitudes, les certitudes, c'est ce qui demeure quand tout le reste, après bien des mises en situation, s'est écroulé. 
Aussi, si le féminisme que certains défendent consiste à réclamer l'égalité entre hommes et femmes (au niveau des postes à responsabilités, en termes de salaire, etc.), je suis évidemment pour. Quel crétin rétrograde et obtus pourrait être contre ? 
Si l'on veut engager des réformes, judiciaires ou éducatives, pour éviter le harcèlement et la violence subis par les femmes, ou en général les plus faibles, je suis également évidemment pour. C'est du simple bon sens.
Si par contre on vient me dire que c'est en charcutant la langue et en laissant des trous du cul la "réformer" à coups de truelle qu'on rendra le monde meilleur, là, j'ai comme un doute. C'est cependant typique des dérives actuelles et d'une génération (c'est une généralité, elle souffre donc évidemment de nombreuses exceptions) qui s'offusque plus facilement des symboles qu'elle invente ou croit desceller que de la violence véritable, perpétrée en bande et dans l'impunité totale, dans les rues ou sur le net. 

Je suis peut-être un boomer
mais je dégaine plus vite que
toi et j'ai un QI à trois chiffres,
contrairement au tien qui est
inférieur à ta pointure de godasses,
après, le duel, perso je suis partant,
à toi de voir si c'est pas trop
"oppressif"...
Je vais terminer par une anecdote, à la fois désespérante et malheureusement représentative.
Elle concerne l'un des rédacteurs de ce site, Gérard, dont j'ai parlé plus haut.
Je dois vous en dire quelques mots.
Gérard, en plus d'être un passionné de BD, de JdR, de wargames, de théâtre et de bien d'autres choses, aime, contrairement à moi, le débat. Il aime aussi sortir les plus paumés de l'obscurantisme dans lequel ils végètent parfois avec délectation. Normal, c'est un prof. Un bon prof selon mes critères, pour ce que je peux en juger. Perso, échanger avec un inconnu sur un sujet polémique, je m'en tartine le fion. Je considère ça comme une perte de temps. Gérard, lui, aime sincèrement ça. C'est quelqu'un d'ouvert, qui sait construire un propos, développer des arguments et qui a sincèrement envie d'échanger, poliment et respectueusement, sur un tas de sujets. Il y a peu de temps, j'ai pu voir quelques captures d'écran sur lesquelles, parce qu'il avait eu l'audace de donner son avis sur l'écriture inclusive (avec tact et retenue hein, on n'a pas le même style), l'on pouvait constater les différentes dérives d'un forum de merde où il n'aurait jamais dû aller... Il a non seulement été banni mais insulté et moqué. Et l'un des arguments, aussi brillant que paradoxal, qu'on a pu lui opposer était : OK boomer !
Rien que ça, ça permet de montrer le gouffre intersidéral qui existe entre un mec qui a certes un peu de bouteille (ceci dit, ni lui ni moi ne sommes issus du baby boom, faut pas déconner, mais bon, encore faut-il savoir ce que c'est), mais surtout une certaine éducation et un propos construit, et un branleur fini à la pisse de cheval qui, alors qu'il pense défendre une injustice basée sur le sexe, emploie des insultes basées sur l'âge de son interlocuteur pour le discréditer... ah, les "grands humanistes" autoproclamés sont souvent les pires merdes hein, normal, se penser dans le camp du "Bien" absolu permet d'abolir toutes limites. 

Finalement, l'écriture inclusive a sans doute les "soldats" qu'elle mérite pour assurer sa défense, des gens enivrés par l'effet de meute, sectaires, infoutus de comprendre des évidences et s'enorgueillissant d'une étiquette de SJW (ou de "woke") remportée sans risques et sous le bouclier honteux des écrans. En attendant, ceux qui ont encore un brin de recul et un minimum de respect pour leur propre langue s'expriment autrement qu'avec des mèmes ou des éructations de moins de 140 caractères. Question de style, sans doute. D'âge peut-être. De QI, certainement. 
Bien que je ne sois pas né dans la liesse de l'après-guerre, elle va finir par me convenir cette étiquette de boomer... après tout, si cela veut dire que je ne considère pas, comme certains végans, qu'un boucher commet des crimes en faisant son taf, ça me va plutôt. Et si cela désigne ceux qui choisissent de respecter un brin de logique grammaticale, ma foi, je signe aussi.
Racine et le barbecue, ça a certes un petit côté rustique, mais ça conserve une saveur incomparable.

— Alors, tu t'y es mis à l'écriture inclusive ?
— Nan, je me suis mis au yoyo. Attends, je suis fan de comics, c'est sans doute le medium où il y a le plus de femmes fortes,
qu'est-ce que j'irais m'emmerder avec leurs conneries de points médians ? Je le sais que je ne fais pas le poids face à Emma Frost ou Miss Hulk.
— Hmm... ouais, c'est pas con.
— Et toi, le tofu ?
— Pareil, je le sais que les animaux sont délicieux.