La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner 1/2
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Arleston qui publie chez Drakoo, c'est un soulier d'or qui joue à domicile.


Et là, j'ai jeté dans l'article dès le chapeau tout mon vocabulaire footballistique ; n'en demandez pas davantage, je suis à sec. Et ça tombe foot-rement bien vu que ça n'a carrément rien à voir avec le Schmilblick (par contre, niveau "colucheries", j'ai du stock, Gérard oblige !).

La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner (titre qui, même transformé en tentative d'acronyme, reste quand même "LBEDMQNVPT"...) est un récit fantasque (j'ai trouvé le synonyme que j'ai pu à "baroque", hein... t'es marrant, Jean-Kévin, tu veux ma place ?) narrant l'épopée d'un jeune empereur en devenir, avide de démocratie, qui va devoir trouver, à l'aide de précieux alliés et malgré de dangereux opposants, comment relancer la rotation du monde sur lequel il est promis à régner. Le genre de pitch sans doute on ne peut plus normal dans la tête d'un Christophe Arleston à poils durs moyen mais pas précisément le type d'histoire qu'on a l'habitude de lire tous les jours quand même !

Allez... à quoi ça ressemble ?
Déjà, c'est très joli. C'est un objet d'une classe infinie, messieurs-dames... Ah mais admirez-moi ces dorures faisant courir sur cette magnifique couverture blanc cassé des reflets enchanteurs conférant à l'objet une apparente richesse et une élégance de bon aloi. Sans déconner, c'est de la couv' de compet' ou pas, ça ? Ah, là, les gens, on en a pour nos piastres, hein ! Comment ça, quelles dorures ? Votre écran ne vous montre pas les dorures sur la couverture ci-contre ? Jetez-le et achetez-en un nouveau, il est foutu ! Je vous assure : en vrai, ça brille !

Premier réflexe de vieux briscard de la BD : on feuillette. Ah bah ça ! Bien trop de couvertures vendent du rêve pour nous vomir du cauchemar à la face dès la première planche venue. Alors je me méfie, depuis le temps ! 
Je pose le livre sur une grande bâche, je prends un peu de recul, j'empoigne ma pince télescopique et, éloigné de la source possible d'éventuels miasmes bédéistiques, je tourne les premières pages avec autant d'angoisse que de fébrilité.
Ouf ! On est sur de la couverture-vérité, ce n'est pas de la boîte de corned-beef militaire (mais si, vous savez : kaki dehors, caca dedans... j'avais prévenu, pour les colucheries !).

Le dessin est très joli, comme vous le constatez sur cette première planche. Joli et détaillé, coloré, chargé... foisonnant, on va dire !
Moi, j'accroche de suite : des traits à mi-chemin entre la patte européenne et la touche manga, un peu comme chez Barbucci, pour les premiers Monster allergy. Des tas de petits détails, de touches de couleur, de zigouigouis, d'onomatopées, de mouvements, d'expressions... C'est enlevé et frais, ça sent le dessin soigné qui se prête à la comédie ; le style de Dana Dimat est donc parfait pour cet album dont on va parler. Et les couleurs de Florence Torta complètent cela très avantageusement ! 
La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner est une comédie qui a l'audace de nourrir également de véritables ambitions scénaristiques. Une marque de fabrique de l'auteur depuis Lanfeust : une vraie histoire parsemée de gags et de situations rocambolesques et truculentes dans un univers original cohérent mais foisonnant de bizarreries. Alors, est-ce qu'il est bien, cet album ?


Il s'agit de l'histoire d'Altek, l'héritier légitime de la charge d'empereur planétaire, laissée vacante par son défunt père. Sa sœur Lythek et lui reçoivent leur instruction de la part de la plus progressiste des astrantes, la fougueuse Irliti Milti Tidzi Ziil. Lors d'un de ses cours, les deux enfants sont attaqués par des mercenaires très vraisemblablement envoyés par leur oncle, second héritier potentiel très désireux de devenir premier et unique. Fort heureusement, tant la bravoure et les capacités martiales des enfants que l'intervention de Grish, leur autre oncle (qui, lui, leur est fidèle et dévoué) permettent à Altek de s'en sortir indemne là où Lythek est, pour sa part, blessée au combat.
 
Tout ensuite va s'emballer : Lythek est empoisonnée par la lame qui l'a blessée et le remède aura des conséquences fâcheuses et propices à quelques gags, Altek nous apprend qu'il se débat avec un secret intime plutôt encombrant quand on est en pleine adolescence et... Irliti constate un étrange ralentissement de la rotation des astres, rallongeant les jours et risquant de plonger bientôt la planète entière dans la situation inédite d'être à l'arrêt ; le froid s'installant sur sa face cachée, la chaleur sur sa face exposée. Dans une telle configuration, seule la frange crépusculaire resterait habitable... Par la force des choses, poussés par les traditions et les superstitions de leur peuple, Altek doit quitter le tournoi visant à le couronner en compagnie d'Irliti et de deux voleurs des rues ayant appris par hasard le secret de cet étrange futur empereur ne souhaitant pas le devenir.
Leur mission : relancer la rotation de leur monde, ni plus ni moins !
Ils trouveront en travers de leur route les ambitions de l'oncle Lompyste qui n'hésite pas à envoyer ses propres fils, Frinoste et Marmül, aux trousses du jeune héritier dans le seul but d'allier leurs compétences pour mettre fin à ses jours. En fait de compétences, Frinoste est intelligent et calculateur, froid comme la face cachée d'un corps céleste à l'arrêt, alors que Marmül est brutal et impulsif, bouillonnant comme la face exposée... 
Parviendront-ils à éliminer cette étroite frange de stabilité potentielle pour le monde qu'incarne Altek, à la fois combattant et éveillé à la sagesse, à la fois impulsif et réfléchi, à la fois jeune homme par son éducation et... 


La série aborde des tas de thèmes et de styles de narration dans une élégance héritée de la très grande expérience d'Arleston en matière de création d'univers aussi sympathiques que dépaysants. Empruntant tantôt au théâtre par les apartés de certains personnages mettant parfois à mal le quatrième mur sans jamais vraiment le casser, tantôt aux mangas dans ses intercalaires humoristiques entre les chapitres, tantôt à certains genres de cinéma comme celui de Terry Gilliam, tantôt aux procédés de la parodie ou à la pratique de la voix off, La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner est une expérience de lecture originale qui fait du bien grâce à cette inventivité toute fraîche entre les mains d'un des experts du genre.

La collaboration Arleston/Dimat avait déjà été remarquée grâce aux Elfes Noirs de la série Elfes aux éditions Soleil. Mais ici, ils sont de toute évidence bien plus libres (Drakoo oblige, de toute évidence !) et en profitent pour sortir un objet bédéistique difficilement classifiable mais hautement recommandable. 
Alors oui, des esprits chagrins diront que l'auteur aux plus de 15 millions d'albums vendus nous fait à nouveau du Lanfeust et ce serait faire acte de mauvaise foi d'affirmer qu'il n'en est rien ... mais c'est aussi bien plus que ça, c'est terriblement différent, aussi. Et foutrement audacieux, qui plus est.

Une fois de plus, on assite à une réussite de la part de cette jeune collection qu'est Drakoo et au triomphe de ce fin limier qu'est Arleston... Bamboo, en lui confiant la tête de sa récente branche "fantasy, science-fiction, fantastique" a fait, à mon sens, un des coups éditoriaux les plus qualitativement enthousiasmants de ces dernières années dans le monde de la BD européenne.

La collection au dragon se permet tout tant que c'est de bon goût : du classicisme, de l'humour, de l'innovation, de l'audace, des relectures, des univers originaux... pourvu que ce soit efficace, que ça sente la liberté de créer et que ça emporte le lecteur dans un univers cohérent mais dépaysant au possible.

Je n'aurai de cesse de lire les titres qu'ils éditeront, je ne cesserai de rester critique et objectif et continuerai à suivre leur travail... mais je ne vois pour l'instant qu'une louable progression de cette collection vers les sommets. De mois en mois, les sorties s'accumulant, l'ensemble a de plus en plus des airs de renouveau de l'époque dorée du Lanfeust Mag
Même la politique éditoriale visant à annoncer par avance le nombre de tomes d'une série et s'y tenir me séduit : c'est là le signe d'un respect du lecteur et d'un réel appétit de mener à bien des histoires, des projets narratifs et pas seulement de mettre en place des licences rentables ou des pompes à fric juteuses.
Avec Drakoo, le produit, c'est Drakoo et, jusque-là, je suis acheteur, pour le moins !
En plus, à 15,90 € pour 80 pages... j'en connais un paquet chez les concurrents qui doivent rougir du prix de certaines de leurs productions en regard de la qualité bien moindre d'édition.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'originalité des enjeux.
  • La fluidité de la narration.
  • L'audace de l'esthétique globale.
  • La beauté des dessins.
  • La chatoyance des couleurs.
  • La qualité d'édition.
  • Si on veut chipoter, peut-être une focalisation trop importante sur les histoires individuelles des personnages, reléguant un peu la trame centrale au second plan... mais c'est un tome 1, sans doute est-ce normal.