En pleines ténèbres : le nouveau roman passionnant de Star Wars - La Haute République
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Après une belle introduction avec La Lumière des Jedi, que vaut En pleines ténèbres, le second roman « ado/adulte » de Star Wars - La Haute République (cf. notre index), écrit par Claudia Gray ? Critique.

Cette nouvelle incursion, se déroulant deux cents ans avant La Menace Fantôme, est réjouissante et globalement une réussite ! Difficile de ne pas « comparer » avec le précédent ouvrage tant les deux sont connectés et se déroulent à peu près au même moment. Mais là où le premier (La Lumière des Jedi donc) s'égarait parfois en multipliant les protagonistes, dans le second (En pleines ténèbres), l'équipe de personnages principaux est réduite et, de facto, nettement plus simple à suivre. Cette approche un peu plus intimiste est bienvenue. On prend le temps de présenter chaque membre de l'équipage du Vaisseau (le nom de leur… vaisseau !), de s'attacher à eux de les accompagner durant une périlleuse mission. 

Cette mission correspond au résumé de quatrième de couverture : Le Padawan Reath Silas rêve de devenir un grand érudit et préfère lire les aventures des autres plutôt que d'en vivre lui-même. Cependant, son maître, la très respectée Jora Malli, a d'autres projets : elle a accepté une affectation sur le Flambeau Stellaire, le tout nouvel avant-poste de la République, situé aux frontières de l'espace connu. En tant que Padawan, Reath se doit de quitter Coruscant pour l'y rejoindre, que cela lui plaise ou non. Mais suite à un dysfonctionnement de l'hyperespace, le transport qui devait le conduire à son nouveau foyer se retrouve bloqué au milieu de nulle part avec, pour seul refuge, une étrange station spatiale abandonnée. Les secrets qu'elle recèle vont non seulement obliger Reath à affronter son destin, mais pourraient également plonger la galaxie entière dans les ténèbres.

Vous l'aurez compris, Reath Silas est le héros du livre. Padawan auquel on peut facilement s'identifier, jeune homme fragile, peu féru d'action, il rechigne à affronter le danger. Processus d'écriture extrêmement basique mais efficace : le personnage subit et est contraint de sortir de sa zone de confort – ce n'est pas lui qui souhaite partir à l'aventure contrairement à un schéma narratif plus convenu et répandu [1]. Mais Silas n'est pas seul dans son périple. Autour de lui cohabitent d'autres personnages, plus ou moins soignés et intéressants. En premier lieu, deux Maîtres Jedi : Cohmac Vitus et Orla Jareni. Le premier est assez « commun » de l'image du Jedi : un guerrier sage efficace mais emprunt de quelques doutes quant à sa nature profonde et son rôle de Jedi. La seconde est sans aucun conteste l'un des points forts du titre. D'abord en retrait puis de plus en plus présente, Orla Jareni s'est proclamée Cheminante [Wayseeker en VO], c'est-à-dire une Jedi évoluant « en marge » de l'Ordre Jedi (on comprend pourquoi au fil du récit) [2]. Ce statut d'indépendance confère une aura passionnante à cette charismatique Jedi qui se bat avec un double sabre laser à lames blanches. Star Wars est toujours palpitant dès qu'il s'éloigne des visions manichéennes.

Affie Hollow, Leox Gyasi et Géode complètent l'équipe principale (cf. image ci-dessous). Tous trois pilotent le fameux Vaisseau et accompagnent donc la troupe de Jedi. Affie évolue d'une façon intéressante là où Leox, pâle copie d'un Han Solo, mais sans son charisme, est moins marquant. Quant à Géode il s'agit… d'un rocher ! Un grand caillou. On ne sait pas trop, il ne parle pas… mais cela permet d'avoir pas mal de scènes drôles avec lui. Un prisme « absurde » rare dans Star Wars, sujet à être clivant… Traité avec amusement au début, on s'attache à cet étrange artefact vivant au fur et à mesure qu'on avance. Enfin, citons Dez Rydan, Chevalier Jedi partiellement présent, frère d'armes de Reath et premier apprenti de leur maître Jora Malli. D'autres personnages se grefferont bien vite à l'histoire comme la pétillante jeune fille Nan et le vieux Zabrak Hague, ainsi que les ennemis : à nouveau quelques Nihils et, surtout, les Drengir, créatures végétales dangereuses qui apparaissent pour la première fois dans l'univers Star Wars (mais elles sont assez décevante, in fine – on y reviendra).

En pleines ténèbres enchaîne moments de bravoure et dramatiques, avec assez d'humour pour être plaisant tout en ayant des personnages majoritairement attachants (Reath, Orla et Affie en tête). La découverte d'un univers hostile est bien menée, on est clairement en immersion avec l'équipe. Cela fait partie des autres atouts du livre : l'ensemble est palpitant, le rythme est assez bon (un peu bizarre lors d'un « aller/retour » express à un moment mais pas très grave), on se prend de passion à suivre nos héros (et donc à craindre pour leurs vies). L'ambiance semi angoissante (notamment des débuts) est, elle aussi, une réussite. Pourtant, de grossières ficelles narratives plombent le titre dans sa deuxième moitié. Un protagoniste « disparaît » subitement, laissant entendre qu'il a été tué. Ses compagnons acceptent cette situation presque sans sourciller. Il est évident qu'il n'y a pas eu de mort et qu'on retrouvera la victime plus tard… On aurait aimé se tromper mais, hélas, ce n'est pas le cas. Trop  prévisible donc…

Heureusement, il y a de belles surprises et, même, des retournements de situation qu'on n'avait absolument pas venir – quel plaisir ! Un deuxième récit, situé dans le passé, se dessine le temps de six chapitres éparpillés parmi les vingt-six autres « au présent ». S'il reste intrigant tout du long, il prend son sens dans sa conclusion qui le connecte plus ou moins (forcément) à l'histoire principale. D'autres fils narratifs se tissent en toile de fond pour aboutir à des choses concrètes à la fin (la Guilde de Byne par exemple) ; là aussi c'est appréciable. En revanche, le roman patauge un peu quand la nouvelle menace se concrétise à travers les Drengir. On les imagine assez bien (tout le titre est bien fichu à ce niveau-là, davantage que La Lumière des Jedi, les descriptions sont légion sauf quand En pleines ténèbres mentionne un paquet de Jedi en activité dont on peine à savoir à quoi ils ressemblent…). Les « créatures du marais » (oui oui, elles sont nommées ainsi, comme Swamp Thing donc) et leur « règne botanique » sont certes menaçantes mais on ne les voit pas vraiment à l'œuvre et elles semblent assez primaires… Les Drengir sont même, finalement, assez peu présents (on espère les revoir dans une autre œuvre de façon plus prononcée [3] – dans l'immédiat, leur potentiel n'est pas du tout exploité), l'auteur (voir encadré ci-dessous) préférant alterner et poursuivre son texte avec les nouveaux ennemis principaux de cette ère Star Wars : les Nihils. Là par contre, c'est une réussite mais nous n'en dévoilerons pas plus.

Parmi les autres bonnes choses, on retrouve plusieurs remises en question des préceptes Jedi, déjà évoquées dans l'ouvrage précédent. Par exemple : « Il lui fallut de nombreuses années avant de […] comprendre que si l'Ordre lui disait d'ignorer la Force… ce n'était pas la Force qui se trompait. » ou encore « Malgré tous ses désaccords avec les choix de la hiérarchie Jedi, [Orla] n'avait jamais remis en question les fondamentaux de leur doctrine. » Une fois de plus, il faut espérer que tout cela converge vers une sorte « d'explosion » au sein des Jedi ultérieurement. Autres extraits :

             Bien sûr. Nous devons tous maîtriser notre colère…
            — Pourquoi ? Pourquoi devrais-je la maîtriser ? Si je ne peux pas ressentir de la colère après avoir perdu un homme de sa trempe, alors je ne peux rien éprouver du tout. L'Ordre nous demande de nous couper de ce qu'il y a de plus profond en nous – pour quel résultat ? Pour [qu'une personne] puisse mourir sans être pleurée ?

Ces sujets permettent aussi de désamorcer une ambiance parfois anxiogène, comme par exemple quand on parle sans détour de l'abstinence sexuelle obligatoire des Jedi !

            J'ai déjà entendu parler d'utilisateurs de la Force. Mais en quoi cela fait-il de vous des moines ?
            — […] Nous nous vouons à une existence spirituelle et renonçons aux attachements individuels afin de nous concentrer uniquement sur de plus larges préoccupations.
            — Donc, ça veut dire pas de sexe.

            […]
            — En gros.
            — Donc, des moines. Clairement !    


La station amaxine (détails plus loin).

   

Aussi, En pleines ténèbres évoque certains paradoxes de l'univers Star Wars comme… l'entraînement au combat laser ! En effet, « l'aura qui entourait cette discipline avait tendance à éclipser une vérité toute simple : c'était une situation qu'un Jedi n'avait que très peu de chance de rencontrer dans sa carrière au service de l'Ordre. Seuls les autres Jedi portaient des sabres laser ; or les Jedi ne se battaient pas les uns contre les autres […]. Par conséquent, pratiquer l'art du duel n'avait que peu d'utilité si ce n'était pour faire de l'exercice. » Bien sûr, la vérité est plus complexe mais ce genre de remarques parsèment avec brio l'ouvrage (on rappelle qu'il n'est pas censé y avoir de Sith notamment). De la même manière, le discours est parfois radical et tranche avec l'imagerie populaire « gentille » qu'on peut avoir des Jedi. 

            Je me fiche des infections ! J'ai perdu mon bras ! […] Vous autres Jedi, vous êtes responsables de ça…
            — Tout comme vous êtes responsable de la tentative d'enlèvement d'une jeune femme. […] Vous avez reçu des sommations. Vous auriez pu vous arrêter. Mais vous ne l'avez pas fait, pensant qu'un jeune Padawan Jedi ne pourrait pas vous empêcher de kidnapper cette fille. Vous vous êtes lourdement trompé sur le sujet et vous en payez les conséquences.

Le jeune Padawan est bien sûr Reath qui, quelques pages plus tôt fut pris dans une spirale de violence – particulièrement bien rédigé (qu'on vous laissera découvrir). « À contrecœur, il dégaina son sabre laser. Le temps était venu de faire respecter la loi. Reath n'avait jamais joué ce rôle. Mais il fallait un début à tout. » Pour l'anecdote, une rapide mention est faite de Vernestra Rwoh, héroïne du roman jeunesse Une épreuve de courage. Il est vrai que connaître l'entièreté des œuvres autour de La Haute République est précieux. La sensation d'imbriquer petit à petit des pièces de puzzle (la prochaine est la bande dessinée, qui mettra en image quelques têtes déjà croisées) est agréable. Difficile de savoir par contre si En pleines ténèbres a un intérêt en étant lu de façon indépendante et sans connaissance en amont, a priori non… Le titre propose « un peu moins » de nouveautés quant à la mythologie des Jedi : Le statut de Cheminante pour Orla [2] et son double sabre laser inspiré non pas par celui de Dark Maul mais celui de « Dark Rey », aperçue brièvement dans le film L'ascension de Skywalker (dont la novélisation sera bientôt chroniquée sur UMAC). On note aussi l'arche aux Kyber, un lieu emblématique appréciable (les fins connaisseurs doivent déjà se douter pourquoi) ou encore la station amaxine où échoue l'équipage et où évoluent les Drengir (cf. image ci-dessus, issue des concepts arts).


En synthèse, En pleines ténèbres est globalement un sans faute mais entaché par deux ou trois éléments narratifs loupés. La traduction de Lucile Galliot est une fois de plus brillante et la mise en page bénéficie d'ajouts par rapport à La Lumière des Jedi avec notamment deux fins filets en bas de chaque page autour de la numérotation et le logo de La Haute République pour séparer quelques paragraphes. Des compléments qui semblent mineurs mais qui apportent un certain cachet élégant au livre. Quant à l'histoire en elle-même, c'est Leox qui la résume le mieux à Orla : « Je suis le seul pilote à la ronde qui accepte de faire un boulot impliquant des robots jardiniers psychopathes, des lianes vénéneuses, d'attachantes jeunes filles […], des Nihils et la présence mystérieuse du côté obscur que vous avez personnellement aidé à libérer. »

 

Claudia Gray
est une valeur sûre dans l'univers littéraire de Star Wars. Née en 1970, Amy Vincent (son vrai nom) a d'abord travaillé en tant qu'avocate, journaliste, disc-jockey et serveuse ; elle atteint une certaine renommée avec sa saga jeunesse Evernight publiée de 2008 à 2011 et sa série Sortilèges et Malédiction (2013-2015).
La romancière, spécialiste en science-fiction et fantasy et habituée au registre young adult, propose Étoiles perdues en 2015, son premier pas dans Star Wars. Le roman a la lourde tâche d'enrichir le « nouvel univers » en construction depuis le rachat par Disney et, surtout, d'introduire le très attendu film Le Réveil de la Force. Le livre reçoit un accueil critique et public enthousiaste, Gray alterne ensuite ses propres séries comme Firebud (2014-2016) ou Génésis (2017-2019).
On lui doit, en plus d'En pleines ténèbres, d'autres excellents titres. Liens du Sang (2017), se déroule toujours avant Le Réveil de la Force et apporte un lot conséquent d'explications « géopolitiques » qui ont mené à la situation exposée dans le métrage, tout en suivant l'ascension de Leia – indispensable complément du film donc ! Maître & Apprenti (2019) se concentre sur Qui-Gon Jinn et Obi-Wan Kenobi peu avant l'épisode I, et Leia - Princesse d'Alderaan (2021) explore, entre autres, la jeunesse de Leia, personnage désormais indissociable de Claudia Gray qui lui a redonné un certain souffle avec élégance.
 

Son premier titre Star Wars, Étoiles perdues sera enfin en vente au format poche le 2 décembre prochain. Une réédition très attendue par les fans.


On rappelle que tous nos articles sur Star Wars - La Haute République sont compilés dans cet index. Après trois titres, on reste pour l'instant plutôt conquis et enthousiaste par cette ère inédite.

[1] Pour schématiser, c'est un peu comme Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux. Dans le premier, Bilbo décide de partir à l'aventure avec le magicien et les nains, dans le second Frodo n'a pas le choix et est (presque) obligé/contraint d'y aller contre son gré. La quête du héros n'est donc pas forcément souhaitée de prime abord même si on y retrouve ensuite quelques ingrédients classiques du schéma d'aventures (cf. Le Héros aux mille et un visages de Joseph Campbell).

[2] Cheminante/Wayseeker est un terme conçu pour La Haute République mais il fait écho à une appellation bien connue des fans : le Jedi Gris. Un Jedi confirmé mais qui n'hésite pas à s'écarter du chemin et des préceptes de l'Ordre voire à désobéir. Qui-Gon Jinn est probablement le « Jedi Gris » le plus célèbre. Quinlan Vos s'en rapproche aussi plus ou moins. Dans le cas d'Orla Jareni, il n'y a pas d’ambiguïté, « l'Ordre Jedi et moi, nous ne voyons plus… les choses de la même manière » assume-t-elle à propos de son statut en début d'ouvrage. 

[3] C'est le cas dans les comics Star Wars - La Haute République (critique du Tome 1) qui les réhabilite grandement.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une équipe (réduite) de protagonistes très attachante
  • Un bon rythme, on ne s'ennuie pas
  • Équilibre entre les personnages et évolution pertinente de certains d'entre eux
  • Des surprises et retournements de situation peu prévisibles
  • Une seconde histoire (sous forme de flash-backs) en parallèle du récit principal (qui, lui, se déroule "au présent")
  • Une remise en cause de préceptes Jedi
  • De l'humour


  • La disparition d'un personnage en milieu d'ouvrage à laquelle on ne croit (à raison) absolument pas...
  • ... et les réactions des protagonistes qui "acceptent" cette situation assez facilement
  • Les (nouveaux) ennemis, les Drengir, peu exploités