Les Artilleuses 3/3 - Le Secret de l'Elfe
Par

Troisième et dernier tome des Artilleuses. La promesse est-elle tenue ?


Nous avons déjà longuement parlé des deux premiers tomes de cette série et vous savez donc tout le bien que l'on en pense (si vous n'aviez pas lu le premier article, cliquez sur les petits mots en bleu, hein... je ne vais pas vous tenir par la main, quand même !). Si vous en voulez un résumé, ça se déroule dans une France, imaginée par le romancier Pierre Pevel, qui n'est pas la nôtre mais presque... une France qui aurait été mise en contact avec l'Outremonde, le pays des Elfes. Les populations des deux mondes se sont mélangées dans le Paris des Merveilles et l'histoire se passe en 1911, dans une ambiance Belle Époque des plus agréables.
Le récit met en scène trois voleuses qui ne font dans la dentelle que pour leurs tenues : Lady Remington, Miss Winchester et Mam'zelle Gatling, auxquelles la plume d'Etienne Willem offre des traits aguicheurs et énergiques.

Et voilà : c'est la conclusion de ce triptyque. Mais autant vous le dire d'emblée, si l'arc est bel et bien fini, la porte à une suite est entrouverte. Non, plutôt ouverte. Grande ouverte. Enfin, disons-le tout net : la fin appelle une suite à cor et à cri. Mais le cycle est bel et bien fini et autosuffisant. La fin est bien pensée, quoi, en somme ! Je me suis laissé dire qu'il y aurait un triptyque de triptyques... comprenne qui saura.

On a une fois de plus une couverture qui agrippe le regard dans son style Belle Époque avec dorures, art floral, dessins représentatifs de certaines scènes-clés et portraits des Artilleuses, un dessin soigné, un univers atypique intéressant... ne revenons pas sur ce qui faisait le contenu de la chronique précédente !


Mais restons-en à ce tome 3. 
Nous avions quitté nos trois amies coincées entre trois feux alors qu'Audrey Remington avait été faite prisonnière par le Département IIIB des services secrets du Kaiser. 

La belle blonde ayant refusé de divulguer le moindre renseignement, ils comptent bien se débarrasser d'elle en la lynchant sans autre forme de procès. Mais, bien entendu, c'est sans compter sur Miss Winchester et son efficacité redoutable au tir ni Mam'zelle Gatling et... euh... son audace confinant à la folie ? Enfin bref, les deux filles parviennent à faire s'évader leur comparse et l'on est bien heureux pour elles... même si l'on ne peut s'empêcher de se demander comment Louison Gatling a bien pu planquer un sidecar sous le gibet destiné à sa copine au beau milieu du camp ennemi... Ouais, je sais, c'est hautement improbable. Mais vous savez quoi ? On s'en fout.
Oui, je vais bien. Oui, moi, le gars hostile à la moindre incohérence narrative, je m'en contrebats les steaks à mach 3. Pourquoi ? Parce que ce passage est comme tout le reste des trois tomes : c'est enlevé comme une intro de James Bond ou n'importe quel action movie décomplexé poussant le délire au maximum. On sait que ça ne tient pas la route mais le genre veut ça ; ça fait partie de l'effet de surprise qu'il nous promet et ça exige de la part du lecteur une suspension consentie d'incrédulité que j'accorde volontiers aux Artilleuses tant elles remplissent leur part de ce contrat bilatéral qui nous lie à elles. On veut du fun, elles nous en offrent. En échange, on accepte qu'un sidecar chargé de trois minettes puisse dévaler un échafaudage ou qu'un duel à l'épée soit possible sur le toit d'un wagon tiré à pleine vitesse par une locomotive en furie... 
Une fois ce contrat de confiance établi entre la BD et nous, Les Artilleuses se révèle être une série à l'ancienne que l'on a d'autant plus de plaisir à suivre que les personnages sont de plus en plus sympathiques et attachants ! J'ai, d'ailleurs, une mention spéciale à décerner à Louison qui gagne encore en assurance, en spontanéité et dont une ou deux blagues sonnent presque comme des punchlines d'actioner.

Comme on en a désormais l'habitude avec ce titre, l'album va dérouler les scènes d'action, l'intrigue va avancer et la plupart des interrogations vont trouver réponse (certaines étant vraiment bien vues et originales). On aura des retournements de veste avec des ennemis devenant des alliés temporaires et l'introduction de deux nouveaux personnages que je considère terriblement prometteurs pour une suite potentielle. 
Pour parler de cela, la collaboration entre Pierre Pevel et Drakoo est bel et bien reconduite mais pas immédiatement sous la forme d'une suite aux Artilleuses ; ils envisagent plutôt, avec le même dessinateur, d'adapter dès 2022 la saga Le Paris des Merveilles... à voir.

En l'état, le triptyque du spin-off qui vient de se conclure n'est à recommander à un jeune lectorat que s'il est déjà un peu habitué aux récits d'intrigues, selon moi... Cette histoire de complot politique contre la reine Méliane d'Ambremer organisé par une société secrète est certes fun à tout âge grâce aux trois nanas explosives qui servent d'héroïnes aux albums mais ne devient compréhensible de A à Z que lorsque l'on a une certaine maturité de lecture. Ou alors, vous comptez sur cette série pour que l'enfant développe précisément sa capacité de concentration lors de ses lectures. Bon plan aussi ! Sachez juste que ce n'est pas seulement une série de cascades et de fusillades : l'intrigue politique a bel et bien son intérêt !

Tant que j'y suis, je vais me permettre un tout petit reproche, tiens ; en parlant de ces scènes d'action : le dessin y est efficace, les angles de vue sont bien choisis, mais... les cases traditionnellement rectangulaires me semblent bien trop sages, à notre époque, pour une scène comme celle ci-dessous, où Miss Winchester dégomme à tour de bras des drones assassins dans une tenue inédite et qui, avouons-le, doit donner des idées à plus d'une cosplayeuse ! Je suis persuadé que Willem est parfaitement capable d'augmenter l'impact et le dynamisme de cette scène dans des cases plus grandes et asymétriques. Pourquoi ne pas jouer, même, sur certaines planches, avec l'esthétique Belle Époque dans la mise en page ? Je ne demande pas à ce que toutes les bandes dessinées aient le look de Dans la tête de Sherlock Holmes mais l'univers du Paris des Merveilles se prêterait quand même particulièrement bien à un peu plus d'originalité que ces strips sagement alignés. 


Mais bref... qu'il me soit permis, puisque je ne compte pas dévoiler plus avant l'histoire de ce tome, d'user de la fin de cet article pour parler d'un sujet annexe qui m'a fait grincer des dents.

Pour marquer le coup et célébrer la fin du triptyque des Artilleuses, Drakoo sort un coffret regroupant les trois tomes et un "jeu de rôle" exclusif écrit par Pierre Pevel et réalisé par les soins de Casus Belli Magazine, à la manière d'un Livre dont vous êtes le héros (en gros, le lecteur fait des choix tout au long de sa lecture et cela aura des conséquences sur les péripéties à venir). J'ai les trois tomes à la maison et suis relativement amateur de jeu de rôles. Cette idée me semble donc d'autant plus sympathique que le coffret est vraiment joli. Bonne idée, du coup, non ? Ça devrait être bien accueilli. Eh bien non. À peine l'annonce parue sur les réseaux sociaux de Drakoo que nombre d'abonnés vinrent se plaindre du fait que, possédant déjà les deux premiers, voire les trois tomes, ils étaient déçus qu'un coffret sorte après leurs achats. Je comprends bien qu'il serait plus sympathique de récompenser la fidélité en venant chez chaque possesseur des trois albums pour lui donner en mains propres ledit coffret, le livret de jeu de rôle et un bisou sur le font... mais le monde de l'édition est soumis à quelques impératifs qui me semblaient n'échapper à personne. 
Diplomate, le responsable de collection Christophe Arleston (qu'il me soit permis de le citer) leur a répondu ceci :
"Bonsoir à tous...
Oui, je comprends bien votre déception de voir sortir un beau coffret alors que vous avez acheté des albums séparés, et moi aussi ça m'énerve que les premiers lecteurs, les plus fidèles, ne soient finalement pas récompensés.
Mais quelle solution trouver ?
Pendant un temps, Soleil sortait des coffrets avec juste le T3 et une cale, qui permettait d'y mettre les deux premiers tomes achetés avant. Mais en logistique c'était une usine à gaz qui coûtait très cher à tout le monde, et les libraires faisaient presque unanimement part de leur mécontentement. En plus il était difficile de viser juste pour savoir combien de lecteurs ça allait intéresser...
Résultat, lorsque Delcourt a racheté Soleil, il a carrément arrêté tous les coffrets : trop compliqué à gérer...
À l'arrivée, tout le monde est puni, du coup !
Après il y a aussi la solution de vendre un coffret vide, à commander à la maison d'édition. Mais là il faut l'emballer correctement pour qu'il n'arrive pas abimé, et au bout du compte, entre le coût du coffret, la manutention et l'envoi, sans même que l'éditeur prenne une marge, qui serait prêt à payer 20 ou 25 €, plus cher qu'un album, pour une boîte en carton vide ?
Je cherche moi aussi quelle serait la solution qui pourrait marcher...
Et si vous avez des idées ou des suggestions, très sérieusement, je suis preneur !"

Eh bien j'ai une solution toute bête issue de ma vie de bédévore de 45 balais : sortez-vous les doigts du cul, les bédéphiles ! La vie ne vous offrira pas toujours nécessairement tout ce que vous désirez sur un plateau ! Arrêtez de faire les pleureuses. Contentez-vous de ce que vous avez ou démenez-vous pour obtenir ce que vous voulez par vous-mêmes.
On approche de Noël, bande de nouilles : offrir vos deux premiers tomes à Noël à un proche et vous offrir le coffret, ce n'est quand même pas compliqué, si ? Vous n'y aviez pas pensé ? La BD est pourtant une passion, non ? Une passion, ça se partage ! Je prenais les bédéphiles pour des passionnés mais ce sont juste des collectionneurs, alors ? Des entasseurs à la con ? Vous les lisez, vos bandes dessinées ou vous ne faites que les ranger pour faire joli ?
J'en vois même "menacer" Drakoo de ne plus acheter de BD de cette maison d'édition rien qu'à cause de ça. Eh bien bravo, les gogols ! À une époque où on n'a de cesse de faire des cadeaux en diverses occasions, à une époque où le marché de l'occasion est plus développé que jamais, vous ne trouvez que ça comme solution : bouder ? C'est pathétique ! Mais je sais, je sais : les gens préfèrent critiquer au lieu de réfléchir dix secondes. Parce que cette génération ne supporte plus la frustration : "Il me faut tout, tout de suite, je le veux !"
Désolé mais, aimant la BD, pour ma part, je me débrouille pour trouver les versions qui me plaisent, j'offre ou je garde les autres, je me débrouille dans mon coin et ne m'amuse certainement pas à embêter les créateurs avec mes petits soucis... Nous avons, avec Drakoo, une collection qui fait quand même un quasi sans-faute jusque-là dans la qualité de ce qu'elle sort. Il serait regrettable de les dégoûter pour de bêtes petits soucis égocentrés et nombrilistes de collectionneurs compulsifs.
Le monde de l'édition a ses impératifs financiers et logistiques qui ne dépendent pas que de la bonne volonté des créateurs. Si vous avez la flemme de vous renseigner à ce propos, ne vous manifestez pas à ce sujet : quand on ne sait pas, on ferme sa gueule !

Oups... je... j'ai été un peu sec, non ? 
Désolé mais ça me gave. Je vis un peu ça quand je mets en place des pièces de théâtre avec des ados : on répète une année entière avec des gosses qui sacrifient leurs temps libre pour offrir au public un spectacle de qualité, et certains gros débiles inaptes à faire le centième de ce que font ces gamins ne retiennent que le pauvre trou de mémoire de trois secondes d'une gamine de 14 ans qui avait 180 répliques à se farcir !
Trop souvent, ceux qui critiquent le plus sont ceux qui en font le moins !
Alors qu'ils en fassent encore moins et cessent aussi de critiquer pour retourner complétement à leur état larvaire. Ça fera des vacances à tout le monde !

Oh... et à part ça, euh, oui.
Oui, le tome 3 des Artilleuses tient bel et bien ses promesses, oui.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est toujours fun, joli, intéressant et énergique.
  • Les personnages sont toujours plus attachants.
  • L'intrigue ne souffre d'aucune lenteur et est assez riche pour offrir des surprises, en plus de nombreuses scènes d'action.
  • Il y a un joli coffret qui sort !
    Et c'est bien, c'est très bien, c'est très-très bien !
    Na !
  • La mise en page est très sage, vraiment très scolaire. Il y aurait moyen de la dynamiser ou d'en améliorer l'esthétique à de nombreuses occasions.